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Et tu toucheras le fond
Alain Meyer
Roman de 141 000 caractères
C’est encore moi qui fais les courses. Frédéric a toujours un prétexte pour échapper à la corvée : un dossier important, une visite aux Baumettes, la prison de Marseille, ou bien au tribunal, l’empêchent de m’accompagner. J’ai pourtant les mêmes obligations que lui. Tous les deux, nous sommes avocats. Le fait d’avoir créé, ensemble, notre propre cabinet, il y a tant d’années, n’est pas ce qui nous rapproche. Je l’aime depuis bien avant. Je sais qu’il m’aime aussi. Notre liaison n’est plus un secret pour personne. Nos familles la connaissent, le milieu judiciaire marseillais aussi.
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Et tu toucheras le fond
Alain Meyer
Je dédie cette histoire à Cédric qui sait…
Avertissement
Ce récit est œuvre d’imagination. J’ai dû le rêver. Hélas, il ne s’est jamais réalisé.
Avant-propos
Bien sûr, c’est encore moi qui me farcis les courses. Frédéric a toujours un prétexte pour échapper à la corvée : un dossier important, une visite aux Baumettes, la prison de Marseille, ou bien au tribunal, l’empêchent de m’accompagner. J’ai pourtant les mêmes obligations que lui. Tous les deux, nous sommes avocats. Le fait d’avoir créé, ensemble, notre propre cabinet, il y a tant d’années, n’est pas ce qui nous rapproche. Je l’aime depuis bien avant. Je sais qu’il m’aime aussi. Notre liaison n’est plus un secret pour personne. Nos familles la connaissent, le milieu judiciaire marseillais aussi. Au début, cela fit scandale, et pour cause. Depuis les gens se sont habitués. Tant de temps a passé.
Évidemment, je sais qu’il a horreur de pousser un caddie. Pourtant, chaque fois qu’il refuse de m’accompagner, je râle. C’est devenu un jeu. Comme lorsque nous étions jeunes, il laisse passer l’orage, me sourit tendrement, s’approche, pose sa tête contre mon cou et murmure :
— Je t’aime.
Moi, je fonds. C’est dans la poche, il a gagné. Je ne résiste pas, je l’embrasse, le désir nous emporte et nous faisons l’amour. Après… eh bien après, je prends seul la voiture et file vers le supermarché. Je suis rodé. Je sais tout ce qu’il aime et j’aime lui faire plaisir. Pourtant, je le surveille. Il a tendance à l’embonpoint : c’est un gros gourmand. Régulièrement, je le mets au régime. Pendant un mois ou deux, j’affronte la tempête, fais le dos rond, mais tiens bon. Ses hurlements ou ses câlins n’y font rien. Seule la balance décide de la fin de ses tourments. C’est merveilleux la vie de couple !
Je parcours les rayons, l’esprit ailleurs. Tout à l’heure, en le quittant, il m’a regardé gravement, les yeux au fond des yeux, en disant simplement :
— Thibaud, demain… c’est notre trente-cinquième anniversaire…
Mes yeux se sont mouillés quand j’ai répondu :
— Trente-cinq ans que je t’aime.
Là, poussant mon chariot, cette phrase me poursuit. C’était il y a si longtemps. Tout est resté gravé dans ma mémoire, une histoire incroyable d’amour et de souffrances. Ce salaud que j’adore, Dieu, qu’il m’en a fait voir ! J’étais pourtant certain de l’avoir perdu à tout jamais… vous n’allez jamais me croire…
Chapitre 1 : Le songe d’une nuit d’été
Il va être trois heures du mat. J’en ai marre. Je n’ai pas envie de jouer les attardés dans la boîte de nuit qui commence à se vider. J’ai pas mal dansé. Ce soir, aucune des filles ne m’a vraiment emballé. C’est pas tous les jours fête. Il y en a bien une qui, après deux slows, m’a collé après. Franchement, ce n’était pas mon style. Vous savez, genre intello, avec de grosses lunettes et des cheveux bien raides. J’ai prétexté une envie de pisser urgente, pour la laisser tomber. C’est décidé, je me tire. Je me lève, fais un vague signe d’adieu à deux ou trois copains qui sirotent encore leur verre, je pousse la porte et me retrouve dans la rue.
L’air de la nuit est tiède, en cette mi-septembre. Nous sommes samedi. Non ! Plus exactement, dimanche matin. Les rues du centre de Marseille sont quasiment vides à cette heure. Je croise quelques rares noctambules en regagnant ma voiture.
Sur mon court chemin, je me surprends à penser à Josiane. Nous avons passé le mois de juillet ensemble, dans un minuscule village de l’Isère. Je la connaissais depuis peu. Josiane est une nièce, par alliance, d’une de mes tantes, veuve récemment. Cela fait deux ans que je perds une partie de mes vacances avec elle, dans cette petite maison, à une cinquantaine de kilomètres de Lyon. Je m’y emmerde un peu, beaucoup. Pourtant, l’état cardiaque de tante Reine ne permet pas qu’elle reste seule. Elle m’aime comme le fils qu’elle n’a jamais eu. Je lui rends son affection et j’accepte de lui tenir compagnie en m’isolant du monde, avec elle, pendant tout un long mois, si ce n’est plus. Dur, dur, quand on est jeune, de sacrifier ses vacances dans un trou perdu.
Consciente de ma solitude, ma tante Reine a décidé, cet été, d’inviter Josiane dans sa campagne. J’ai vingt-deux ans. Josiane, un an de moins. Elle est très mince, blonde comme les blés, de beaux yeux clairs. Je me souviens surtout de son caractère. Je ne me rappelle pas avoir, depuis, connu quelqu’un d’aussi doux. Vous aurez deviné que, très vite, la relation amicale des premiers jours a cédé la place à une liaison beaucoup plus tendre. Ce ne fut pas facile. Je ne suis pas trop timide, elle l’est. Cela doit être contagieux. J’ai longtemps hésité avant de lui prendre la main, au cours d’une promenade. Nous avons flirté, sans aller bien loin. Quand nous nous sommes embrassés, la première fois, ça m’a fait quelque chose, au fond du cœur. Je garde des dix derniers jours passés à ses côtés, un agréable et nostalgique souvenir. La fin du séjour est arrivé. Il a fallu nous séparer. Josiane est retournée sur Lyon, moi vers Marseille. Elle avait les yeux humides au moment des adieux. Je crois que moi aussi. Nous nous sommes promis de nous écrire et de nous revoir.
Tante Reine, fine mouche, s’est vite aperçue du tendre rapprochement entre nous. Elle en est ravie et commence à rêver – tout haut – d’un futur mariage qui unirait sa famille à celle de son défunt mari. Le destin ne l’a pas voulu. J’ai failli le regretter, dans les plus mauvais moments.
J’arrive à mon véhicule qui m’attend dans une de ces petites rues qui forment le quartier de l’Opéra. Je sais que je suis tombé amoureux de Josiane. Nous nous écrivons régulièrement des lettres de plus en plus passionnées. Elle me manque comme je lui manque. J’ouvre la portière en me disant qu’il me faudra, prochainement, faire un petit voyage à Lyon. Je suis tout heureux de cette décision en mettant le contact. En route ! J’ai la moitié de la ville à traverser pour regagner le domicile familial, et Marseille est vaste.
Marseille ! J’aime cette ville. Pourtant, je n’y suis pas né. Je n’y vis que depuis quatre ans. Quatre ans que le vent de l’histoire a soufflé, m’obligeant, comme des milliers d’autres, à passer d’une rive à l’autre de la Méditerranée. J’avais dix-huit ans quand j’ai vécu cette lamentable débâcle. J’en ai vingt-deux depuis quelques jours, je vous l’ai dit, au moment où commence cette histoire qui va marquer ma vie à jamais, la bouleverser, bien plus que l’exode de ces « pieds-noirs » dont je fais partie.
Oui, je suis « pied-noir », un rapatrié, comme on disait à l’époque. Je suis quand même différent de la plupart de mes « compatriotes ». Dans ma famille, on me surnomme le « renégat ». Il est vrai que j’ai un caractère bien trempé. Il m’a suffi de quelques mois pour réaliser que mon passé était à jamais derrière moi et mon avenir devant. Alors, la nostalgie du pays perdu, très peu pour moi. J’ai l’avantage de ne pas avoir l’accent de là-bas. Aujourd’hui, je n’ai toujours pas d’accent. Mon parler ne fleure ni le thym, ni la lavande et encore moins le romarin, malgré toutes ces années passées en Provence. Ce détail, insignifiant au demeurant, a facilité mon assimilation sur cette terre de France.
Il est vrai que mon arrivée en métropole m’a ouvert un espace de liberté que je n’imaginais pas. En Algérie, événements obligent, mes parents me tenaient la bride. Tous ces morts, ces massacres, surtout les deux dernières années, justifiaient leur inquiétude. Ils veillaient jalousement à ce que rien ne puisse arriver à leur fils unique. À Marseille, ils voulaient continuer. J’ai rué dans les brancards. Ils ont dû céder. J’ai commencé à sortir le soir, à fréquenter les boîtes de nuit.
Il faut dire que, vers dix-sept ans, en quelques mois, la chenille s’était transformée en papillon. J’ai atteint ma taille d’adulte, un mètre quatre-vingt-trois. Mon visage, ovale, aux pommettes légèrement saillantes et aux yeux noisette, pas très grands, a fait dire à beaucoup que j’étais un peu typé asiatique. Mes cheveux, châtain foncé, trop fins pour être coiffables, que je porte mi longs, rejetés en arrière, renforcent cette impression et dégagent un front bien proportionné. Mon nez, légèrement retroussé, une bouche dont la lèvre inférieure est sensuelle et un menton sans défaut, complètent l’ensemble.
Je pèse soixante-dix kilos. Pourtant, compte tenu de ma taille, je ne suis pas maigre, je suis mince. Je ne suis pas musclé non plus. Je ne m’en cache pas, je n’aime pas le sport. Il n’empêche que mes épaules sont bien développées. Mon torse n’a pas la moindre pilosité. J’ai des jambes qui n’en finissent pas, musclées comme il faut, où il faut, avec un duvet presque imperceptible. Ma mère est persuadée que je dois cette perfection aux massages à l’alcool à 90° qu’elle pratiquait lorsque j’étais bébé. Je reste très perplexe et dubitatif sur cette explication. Je sais surtout que je suis un bon marcheur malgré des pieds qui n’acceptent que du 42. Je ne regrette qu’une chose, depuis l’âge de sept ans, je porte des lunettes.
Dans l’ensemble, je dois être plutôt beau gosse, si je me réfère à mes succès féminins et aux regards que l’on pose sur moi quand je suis à la plage. Certains sont d’ailleurs très gênants. Ils émanent de garçons. Ça ne m’intéresse pas.
On n’en parle plus, le portrait est terminé et, Bon Dieu, qu’il est difficile d’essayer de se décrire soi-même objectivement.
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L’an dernier, j’ai passé mon permis. Ma voiture a élargi considérablement mes horizons. Il n’est pas rare que j’aille à Monaco, à Saint-Tropez ou ailleurs. Pour le moment, je viens de quitter la rue de Rome et je remonte la Canebière, en direction des Réformés. Merde ! Je suis con. Je vais me payer la traversée de toute la banlieue, alors que le trajet est bien plus agréable en passant par les ports. La décision est prise. En haut de l’avenue, pratiquement déserte à cette heure, je fais demi-tour pour rede