Ex Corner
88 pages
Français

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Description

ExCorner

Marc Leleux

388 000 caractères, 67 500 mots.

C’est un film Pride qui a permis à Marc de pouvoir se dire avec évidence : « Je suis gay ».

C’est une ville Cologne qui lui a permis « d'être gay ».

C’est dans l’un de ses bars, Le ExCorner aux rencontres amicales ou furtives, qu’il a enfin pu « vivre gay » !

Originaire du Nord, Marc se retrouve dès qu’il le peut à Cologne, la grande ville allemande après avoir traversé la Belgique.

La ville est pro gay, simple, conviviale, chaleureuse, on n’y reste jamais seul. C’est là que Marc se découvre dans sa relation aux autres. Et c’est au ExCorner qu’il a la vision de tous les possibles. Là commence sa vie. (Couverture Andreas, barman au Ex Corner, photo de l'auteur)

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Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9791029401602
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

XƎ CORNER
 
 
 
Marc Leleux
 
 
 
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
 
Photo de couverture :
Andreas, serveur au Ex Corner, Cologne, Allemagne.
 
 
 
Chapitre 1
 
 
Longtemps, on m’a privé de rêves. À peine osais-je fermer les yeux, me laissant emporter par l’ivresse profonde du chant d’une brise d’été, que mon cœur s’emballait comme si j’eusse transgressé le plus sacré des dogmes. Je haletais, refusant pourtant de les rouvrir, et m’épuisais dans une transpiration au souffle lourd. Je sentais chacun de mes muscles, chaque particule de mon corps prêt à éclater. Tout en moi suffoquait. Rapidement, la douleur devenait immense, mais, parce que je sentais que ma vie en dépendait, mes paupières restaient closes, refusant d’obéir, s’obstinant à vouloir forcer mes yeux à voir ailleurs, à lire un autre monde. Je luttais, je m’efforçais de prolonger l’existence de cet instant interdit, de cette évasion furtive qui n’appartenait qu’à moi. Encore une seconde, une seule seconde, une autre… tenir, tenir encore un peu…
 
*
* *
 
Tout a commencé par un film et un aveu : « Je suis gay ». Révélation bouleversante d’un juge britannique en quête d’absolu qui quitte prématurément ses fonctions pour retourner sur les lieux, un temps oubliés, de son enfance et de son adolescence. Il y a dans le regard de cet homme quelque chose de troublant, comme un vide à combler, la peur de ne laisser derrière soi qu’une vie inachevée, lisse et sans mémoire. La douloureuse sensation résonne, elle envahit l’espace et suspend l’écoulement du temps. Elle est porteuse de tout un monde qui défie le silence. « Je suis gay », ces mots tournent et se posent, je les sens sur ma peau. Ils sont à la recherche de tout un temps que j’ai perdu dans une profonde déchirure.
Cet hôtel Marygold, c’est un dernier espoir de retour à la vie, c’est une chance d’avenir, un précipice de rêves qui en passe d’abord par le regard porté sur soi. C’est un éveil aux autres dans un cri de refus. Notre juge, qui étouffe depuis trop longtemps dans son costume trop bien cintré, se souvient qu’un jour il a vécu, qu’il a senti l’air frais et apaisant d’un matin de printemps pénétrer sa poitrine et faire battre son cœur. Il se laisse emporter par ce qu’il fut et ce qu’il a aimé.
« Je suis gay », le dire c’est peut-être respirer pour la première fois. C’est d’une telle évidence, d’une telle simplicité, d’une telle difficulté aussi. À travers les quelques mots de cet homme mûr, je ressens tout le poids qui me pèse sur la gorge depuis tant d’années, tout le bonheur aussi qu’il y a à s’en libérer, à forcer les murs de sa chrysalide pour déployer des ailes encore maladroites, mais qui ne demandent qu’à s’ébattre. Une larme me vient, trop lourde pour la retenir, mais j’ai dû, l’espace d’une seconde, esquisser un sourire d’une pureté enfantine, sans contrainte, sans fard, juste un souffle sauvage et interdit qui se déchire au grand jour.
Je ne sais pas d’où vient cette difficulté à dire, cette inaptitude à être qui nous pousse à voiler notre regard, à dissimuler qui nous sommes, à brimer notre cœur, à avoir plus que d’autre peur d’affronter la vie. Trouver des mots, les dire, les cracher dans l’air pour qu’ils fassent écho, ne plus être un autre, ne plus avoir honte, décoller toute cette boue amassée par le temps, aimer la lumière et le vent. Ouvrir les yeux au monde, apprendre peut-être à rire, continuer le rêve, savoir aimer la vie. « Je suis gay », comme ces mots résonnent en moi…
 
*
* *
 
Le cinéma n’est jamais très loin. Une bande-annonce, un trailer comme on dit, une minute quarante-deux. D’abord un chant, un chant typique du pays de Galles. Puis 1984, en pleine grève des mineurs, quelques images, des souvenirs touchants qui plongent leurs racines dans le terreau de l’enfance. Une petite vieille, par une porte entrouverte, et sans quitter des yeux ceux qui sont face à elle, s’exclame « Dai ! Tes gays sont arrivés ! » D’emblée je suis surpris, intrigué, amusé. Mon œil s’éclaire, ma tête se redresse, je suis attiré par cette scène étrange.
Soudain, c’est une rupture, musicale et visuelle. Sur fond de You make me feel, j’entends cet écho, « Lesbiennes et gays en soutien aux mineurs ». On vient de donner un grand coup sur ma vie, je chancelle, un peu sonné, je me mets presque à balbutier. L’improbable, l’impossible se dessine. Je viens d’un pays minier. Je ne sais que trop ce que sont les grèves, les luttes sociales, les combats pour survivre. Je les ai vécus alors qu’on étouffait mon pays noir sous le chômage et la misère après l’avoir étouffé dans les poussières de charbon. Je les vis encore.
« Thatcher out », ce seul nom du démon, ce diable en tailleur, ne peut qu’inspirer pour moi la solidarité avec les mineurs. Et pourtant, ce « je suis gay » tourbillonne encore. Ces milieux ouvriers où l’on interdit d’aimer et d’être heureux, où les pesanteurs ancestrales réduisent encore en esclavage, où la virilité mise en exergue a valeur de dignité, je sais trop le rejet de l’homosexualité qu’ils portent en eux. Mais cette histoire est vraie, elle montre un chemin. Plus de rejets, plus de haines, juste l’unité, la solidarité, deux mains qui se serrent, un vent de liberté. Tout devient possible. Étrange intuition que cette alliance insensée entre deux mondes qui s’affrontent en moi, entre le milieu d’où je viens et ce que je suis. Je dois voir ce film qui ne parle que de moi, qui ne parle qu’à moi.
 
*
* *
 
L’affiche disparaît vite des salles de cinéma. Le succès du film est mitigé. France rétrograde où les esprits sans âme demeurent fermés au bonheur. Il me faudra attendre. Et je l’attends, comme je l’attends cette sortie ! Janvier, je n’y tiens plus, je me précipite, je le vois, je le tiens ce DVD. J’ai entre les mains un trésor.
Un appartement de la banlieue londonienne. Un jeune homme en débardeur, l’œil brillant, l’air amusé, regarde à la télévision les informations. On y parle de la grève des mineurs britanniques qui sévit avec une violence particulière. Comme en pendant, un autre jeune homme apparaît au fond de la pièce : « Je t’ai laissé mon numéro… on ne sait jamais… on se verra peut-être à la manif… » Mark ne détourne pas les yeux du téléviseur, l’autre s’en va, l’air un peu triste. Le sourire carnassier de Thatcher apparaît, « Je ne peux pas changer de ligne, la fermeté est la seule ligne à adopter. Je ne peux pas faire preuve de faiblesse, je dois me montrer efficace et ferme. » Mark esquisse un sourire amusé en réponse, presque une provocation. Cet œil qui brille de plus en plus…
Londres, Gay Pride, 1984. Joe m’a ému dès le premier regard. Il est souffrance, il est déchirement, il est sur le point d’exploser. Cette histoire est la sienne, elle est la mienne. L’heure approche, vite le train et s’enfuir. Arriver à Londres, un peu maladroit, sans trop oser, plonger dans la Gay Pride… timidement. On revendique, on crie, on fait un maximum de bruit pour se faire entendre. « Tiens-moi cette banderole… Non, mais je… », faire ses premiers pas, terrifié, mais heureux, même sans savoir où l’on va. Mark arrive, on laisse tomber la banderole, on va faire la quête pour les mineurs en grève, quand Mark dit qu’on doit faire quelque chose, on le fait. Tu vois, Joe, ça n’aura pas duré très longtemps. On se sépare.
Joe, à nouveau seul, à nouveau à l’écart. Tellement de questions qui se bousculent dans ce brouhaha. Une tristesse infinie, une douleur sèche au milieu de la foule. Sur le trottoir, un réveil en sursaut. Une jeune mère de famille, « C’est écœurant !» Répondre, se débattre, s’en sortir, « …oui… » Puis immédiatement, un acide qui vous brûle, qui vous ronge de l’intérieur de ce reniement des autres, de ce reniement de ce que vous êtes. Une colère qui monte et qui se bat contre le silence. Cesser de n’exister que par la peur, montrer que l’on vit. Les voilà, « Vous aurez sans doute besoin d’un peu d’aide… », commencer enfin une autre vie, s’en saisir et la vivre. Timidement, esquisser un sourire. Puis cette vieille dame silencieuse, le regard fixe sur le bas-côté. Elle tient une pancarte, « Allez brûler en enfer. » Le temps s’arrête une seconde. Je crie plus fort.
 
 
 
Chapitre 2
 
 
Je suis gay, je suis Joe et j’ai soif de vivre. C’est avec François que j’allais étancher cette soif, boire au fleuve de la vie. François et moi nous sommes connus il y a quelques années sur un site de rencontres gays. Je m’y présentais en déclamant mon amour et ma passion pour l’Allemagne, ce pays dans lequel je me suis depuis toujours senti chez moi. C’est François qui, le premier, est venu à ma rencontre. Je me souviens encore de ce message tout empreint d’ironie et volontiers provocateur par lequel il soulignait son incrédulité quant à cet attachement qui lui paraissait fort improbable. Moi, je ne jurais que par la beauté des vignes sur les hauteurs de Rüdesheim-am-Rhein, par la force d’un fleuve magique et fascinant qui porte en lui toute une histoire, par Nietzsche, par Wagner, par Nena, par la douceur de vivre, par la tolérance, par l’amitié d’un peuple frère. François m’a tout de suite plu. Quelques échanges, des explications, la guerre, la vie, sa propre attirance pour la Pologne. Un tour dans sa Twingo rouge, un verre en terrasse, le début d’une très belle et très chère amitié.
Nous avions pris l’habitude, chaque année en septembre, au moment des journées du patrimoine, d’aller visiter un site industriel de la région ou d’ailleurs. Chacun à notre façon, nous y étions attachés. Immanquablement, François oubliait d’éteindre ses phares et nous nous retrouvions en rade sur un parking en attendant le secours d’amis appelés en urgence ou d’âmes charitables disposant de câbles de démarrage qu’évidemment François n’avait jamais achetés en prévoyance. Nous aimions également nous retrouve

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