Le dernier film de Louis John-Johns
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Description

Le dernier film de Louis John-Johns
Maxime Fulbert
Roman de 469 000 caractères, 80 200 mots, 390 pages en équivalent papier.
Valentin est un jeune professeur de lettres rouennais, homosexuel, d’une vingtaine d’années. Il souffre de l’image que lui renvoient ses élèves. Réalité ou légère paranoïa ? Bien que ses parents soient des psychiatres compétents et aimants, il ne s’est pas confié à eux, ni n’a osé de coming-out en général.
Le hasard d’un terrible accident de voiture lui fait rencontrer le jeune et talentueux cinéaste gay Louis John-Johns.
Une amitié naît entre eux et lorsque Louis sort de l’hôpital, il propose à Valentin de venir avec lui à Montréal, découvrir sa famille et le milieu du cinéma. Valentin s’attache à Louis, mais ce dernier, malgré son inclination pour Valentin, vit avec un quadra et héritier milliardaire, Arnold Virgatti.
Un triangle complexe se constitue fait d’espoirs et de souffrances, jusqu’à ce qu’un certain Joshua fasse irruption dans l’histoire de Valentin. Le quatrième homme est impétueux et semble parfois souffrir de crises. Quel avenir pour Valentin ?
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: Éditions Textes Gais

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Informations

Publié par
Date de parution 20 février 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9791029402630
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le dernier film
de Louis John-Johns
 
 
 
Maxime Fulbert
 
 
 
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Valentin Herbert était un garçon de vingt-cinq ans, un beau garçon sans contredit, mais qui n’en avait pas vraiment conscience. Il présentait un visage d’un bel ovale, mais sans l’excès des visages de la Renaissance italienne. Il avait les cheveux bruns, mais pas trop, pas d’un noir corbeau, et relevés en houppette à la Tintin, devant, en une petite vague indécoiffable, même par vent marin, à Dieppe, sur la plage ou sur le voilier familial. Son nez était d’un infime épatement à la racine, fin tout de même, dans la typologie des visages. Il séparait deux yeux d’un vert clair lumineux, et, sous ce nez, se dessinait une bouche pulpeuse aux lèvres charnues, la lèvre inférieure plus charnue, soulignée par un léger renflement de la peau, au bord de la muqueuse. Sous la bouche, une barbiche au menton était finement clairsemée. Malgré ces avantages physiques, il se sentait « sale » dans sa tête, selon une expression curieuse qui s’était logée dans cette même tête, comme un squatter désagréable et destructeur. Cette idée squatteuse de saleté était tapie en lui et revenait subrepticement à sa conscience, quoiqu’il fasse pour essayer de l’oublier.
Quoi qu’il fît, qu’il marchât dans la rue, qu’il conduisît sa voiture pour aller faire cours au lycée, qu’il fût à l’arrêt, à un feu tricolore, par exemple, ou qu’il roulât ; qu’il fût au cinéma et s’accrochât à une scène un peu ennuyeuse qui réclamait de l’attention ; qu’il fût dans une librairie, qu’il y lût les quatrièmes de couverture de bouquins qui l’avaient attiré, et voilà que la pensée en question s’immisçait dans son esprit, puis le bloquait : il était « sale ». C’était irrémédiable, quoi qu’il fît, à un moment donné, l’idée fixe pointait : il était salement sale. Était-il possible que les gens autour de lui ne voient pas cette saleté ? Aurait-il la chance que ces personnes ne sachent pas qu’il était porteur d’une saleté intérieure ?
Il l’espérait, sinon une sourde angoisse le paralysait. Il se sentait sale, c’est-à-dire ? Sale, pourquoi ? Il pensait être porteur d’une tache. Une tache indélébile, telle une tache de gras qu’il aurait pu se faire, en mangeant rapidement et maladroitement dans un restaurant, avec des amis, ou au cours d’un dîner familial, avec des invités. Peu importaient les conditions d’apparition de la tache, elle restait là, immatérielle, hostile à tout dégraissage. On dit que les enfants des cordonniers sont les plus mal chaussés. Cela semblait se vérifier pour Valentin. Ses parents étaient psychiatres tous les deux, et ils n’avaient pas décelé chez leur fils un comportement anormal aux différents moments où il se sentait sale. Valentin, lui-même, aurait pu leur soumettre cette sensation, leur demander ce qu’ils en pensaient. C’était impossible. La pensée tapie en lui était une souffrance, il n’allait pas l’amplifier en l’extériorisant.
Valentin était un garçon apparemment bien socialisé. Enfin, dans les grandes lignes. C’était un jeune homme brillant qui avait passé l’agrégation de lettres modernes haut la main, qui avait fait des stages pratiques dans des lycées où il avait été adulé par certains élèves. Pourquoi ce jeune homme-là, en tous points parfait, se sentait-il sale ? De quelle saleté s’agissait-il ? Pourquoi s’en attristait-il, en souffrait-il ? Il mit un certain temps à le réaliser, malgré son intelligence vive. C’est qu’on peut manifester une intelligence vive et ne pas avoir de recul vis-à-vis de soi, alors qu’on est clairvoyant sur les autres, qui sont aisément analysables du fait d’une distance naturelle. Il se sentait sale d’être homosexuel.
C’était ça. C’était absolument ça. Il se sentait sale d’être un « pédé ». Il se sentait sale parce qu’il lui avait fallu supporter les regards insistants de certains garçons de ses classes de stage pratique. Des garçons des trois niveaux : des élèves de seconde, de première et de terminale, aux regards de plus en plus troubles et appuyés pour la dernière catégorie. Il s’était senti tout de suite mal à l’aise du fait de l’insistance de certains regards qui évoquaient un désir ou de regards désobligeants, discrètement moqueurs. C’était cette dernière espèce de regards, de regards malveillants, qui l’avait blessé.
Dans la salle des professeurs, il se précipitait vers la machine à café pour s’y faire verser un jus chaud et sucré, propre à lui redonner de la force, du courage pour affronter les jeunes antagonistes qui ne disaient mot, mais dont les yeux parlaient, dans cette pièce de théâtre qu’il jouait sur l’estrade, dos au tableau vert, comme un décor de pièces minimalistes. Ces jeunes parlaient avec les yeux, qu’ils fussent attirés par lui ou qu’ils le rejetassent avec mépris, le mépris souverain du petit conformiste homophobe par ce que c’est dans l’air du temps, que des manifestations ont eu lieu contre « le mariage pour tous », contre un autre modèle de famille : celui du papa et du tonton d’un même enfant, le papa et le tonton dormant dans la même chambre ou celui de la maman et de la tata du même enfant, les deux femmes dormant dans le même lit.
Il avait été meurtri par les défilés haineux de chrétiens censés aimer leur prochain, d’aristocrates ridicules agrippés à la morale. La morale d’antan, la morale de tout temps, la morale irréversible de l’Ancien Testament au Dieu jaloux et punisseur. Il était meurtri par les débats télévisés où une passionaria ridicule terminait ses argumentations en fondant en larmes que les caméras fixaient intensément. Elle s’était baptisée du nom déformé d’une actrice française, icône des années 1960, Française blonde, objet sexuel nationaliste contre Marilyn Monroe. Cette passionaria pleurait-elle vraiment ? Était-ce une mise en scène pour faire pleurer, non plus dans les chaumières, mais dans les HLM des cités et dans les petits pavillons proprets des banlieues ? Curieusement, la passionaria anti-mariage pour tous disait qu’elle avait de nombreux amis gays…
Mais les meurtrissures venaient surtout des élèves qu’il avait côtoyés. Qu’est-ce que ces élèves rétifs à l’évolution des mœurs pouvaient entendre chez eux, le soir, à table ? Ou alors lorsque que la famille, modèle et naturelle, était installée dans le salon à regarder les reportages du journal télévisé ou des documentaires sur la question de l’homosexualité, de l’homoparentalité, de la gestation pour autrui et autres sujets de ce tonneau ? Qu’est-ce que disaient les pères, bons mâles, sirotant de la bière ? Et les mères, les mères lionnes, à qui il ne fallait pas proposer de partager un enfant avec une autre femme ? Une autre femme imaginaire pour qui elles nourrissaient quand même une féroce exécration, puisqu’une femme, une vraie, ne peut qu’être attirée par un homme, un vrai : footeux ou même pas. Un footeux en chambre suffisait. Un homme, un vrai, en tout cas, qui aime le ballon rond, ou ovale, la chasse, la pêche et qui vote Nature, chasse et pêche contre les écologistes. Que pensaient tous ces gens ? Du mal, du mal de lui potentiellement. Lui, le professeur de lettres de leur gosse, de leur fils, qui devait obéir à un schéma de normalité clair et net, et ne devait pas être un homosexuel, individu dégénéré, mais figurer un modèle sans faille de masculinité pour les jeunes esprits en formation.
De toute façon qu’un homme soit professeur de lettres était déjà une erreur, une erreur grave. Comment un homme, un vrai, pouvait-il être ému par des poèmes, passer du temps à corriger des copies sur le héros romantique d’une pièce de théâtre ou d’un roman du dix-neuvième siècle ? C’était aberrant, c’était hors norme. La poésie et le romantisme sont des notions abordables par les femmes, uniquement. Qu’un jeune homme avec le physique de Valentin, c’est-à-dire un physique parfait, mais dégageant une impression de trop grande douceur, se montre intrigué, en réunion parents professeurs ! que leur fils ne s’intéresse pas à son cours, pas à la poésie, pas au personnage romantique… Comment était-ce possible ? Pourquoi laissait-on un homme de cette nature enseigner à des garçons ? Cela avait-il été dit réellement ? Les parents de ces garçons-là, ces garçons-là eux-mêmes avaient-ils dit que Valentin devrait être interdit d’enseignement ? Cela n’était pas sûr. Était-ce Valentin qui pensait entendre dire cela dans sa tête ? C’était possible. Son sentiment d’autodénigrement était si profond qu’il pouvait en être la cause.
Ce jeune type, bardé de son diplôme de lettres d’un autre âge, voulait faire la loi chez eux, demandait que les règles de vie du chéri, le téléphone soudé à la main, toujours en lien direct avec ses copains sur Facebook change ses habitudes, pour lire… C’était une abomination. Un pédé qui vient donner des leçons à des parents relevant d’une parentalité extrêmement normale, on ne peut plus normale, était un manquement politique de l’Éducation nationale, une défectuosité de la machine à éduquer les jeunes…
Mais ces parents-là évoquaient leur jeunesse pour faire la comparaison avec la société dite actuelle, société sans plus de valeurs, selon eux. Oui, ils avaient eu et avaient encore des valeurs, qu’ils eussent été bien en peine de définir. Ces bons parents-là n’aimaient pas les pédés, ils n’avaient pas à se justifier. Les pédés étaient de potentiels pédophiles, de dangereux prédateurs assoiffés du sang du bon fils de famille, gorgé de Touche pas à mon poste !, Secret Story, ou Les Chtis en Californie et d’autres programmes encore. Ces programmes étaient certes réjouissants, selon les parents, mais ils apprenaient tant de choses, des choses concrètes sur les individus, la société, ce qui n’est pas le cas de l’école. Ces idées tournoyaient en bourrasques dans l’esprit de Valentin et le désespéraient. Un désespoir étayé

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