Le Serviteur marocain (roman gay)
160 pages
Français

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Le Serviteur marocain (roman gay) , livre ebook

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160 pages
Français

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Description


Le Serviteur marocain


de Jan Vander Laenen

L’auteur, Jan Vander Laenen, Belge néerlandophone, est un écrivain bruxellois vivant de ses rentes. Il vit une sexualité quotidienne liée à l’alcool dans un bar cuir.

Il y rencontre Mimoun, un jeune Marocain dont il tombe vite éperdument amoureux.

Il le dénonce à ses parents afin que ce dernier, chassé du foyer familial, puisse trouver asile chez lui.

De ce jeune amant, il fait un serviteur. Un domestique particulier puisque, à son attention, il recrée Les contes des Mille et Une Nuits dans des nouvelles gaies, imaginatives et bien troussées.

Le Serviteur marocain a été publié en Belgique néerlandophone et en Italie.



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Informations

Publié par
Date de parution 10 juin 2011
Nombre de lectures 426
EAN13 9782363070203
Langue Français

Extrait

Cover

 

 

Le Serviteur marocain

Jan Vander Laenen

 

Roman

 

Traduit du néerlandais par Line Berger

avec la collaboration de l’auteur.

 

Éditions Textes Gais

31 rue Bayen

75017 Paris

Chapitre I

 

 

« I was thinking that maybe I’d get a maid,

Find a place nearby for her to stay.

Just someone to keep my house clean,

Fix my meals and go away…

A man needs a maid. »

 

(Neil Young, A Man Needs A Maid)

 

 

Eh oui ! Tant que Dieu, Allah ou Jéhovah me permettront d’errer sur ce globe, je me souviendrai de cette période du nouveau millénaire et autant de mon quarantième anniversaire comme de l’époque jusqu’à présent la plus autodestructrice de mon existence déjà pas trop propre. Je travaillais et j’écrivais à peine, ma santé psychique avait exigé que je fasse appel à un psychiatre, j’avalais des antidépresseurs, je ne mangeais presque pas, je buvais chaque jour des quantités d’alcool à me faire crever le foie, je fumais trois paquets par jour ; la nuit, je titubais, beurré, à travers le ghetto homosexuel de Bruxelles et je couchais avec n’importe quel homme de la façon la moins sûre et la plus décadente possible en utilisant un maximum de poppers et d’« accessoires » – car mon véritable « accessoire » n’était plus infaillible après tous ces excès.

Ce genre de vie ne me convenait pas ; naturellement, ma santé, mon apparence et mon compte en banque s’en ressentaient, mais bizarrement cette période dépravée me valut, malgré tout, de nombreux beaux moments, beaucoup d’amis et de contacts ; apparemment, mon inspiration tournait tous azimuts en ce temps-là. Ma foi, il arrive que la vie d’un pécheur soit toujours plus intéressante qu’une hagiographie.

Grâce à mon ami et serviteur érotique actuel, Mimoun, et à une discipline impeccable de ma part, cette inspiration imbibée d’alcool n’est pas restée une billevesée mythomane éphémère. Au contraire, elle a pris une forme définitive dans ces mots et ces contes que vous lisez.

Merci, Mimoun, je t’en suis éternellement reconnaissant ; tu m’as remis sur le droit chemin et tu as rendu un sens à ma vie ; mais j’espère de tout cœur que tu ne sauras jamais de quelle manière rusée, laclosienne, et avec quelle préméditation je t’ai fait maître de mon destin pour toujours et comment, uniquement par égoïsme, pour me détourner de mes excès, je t’ai dégénéré en mon serviteur dévoué...

Mais, bon, permettez que j’en revienne à cette période, la plus autodestructrice de ma vie, et que je cite tout de suite le nom le plus important qui y figurait : Le Duquesnoy. La plupart des gens qui connaissent un peu Bruxelles savent bien sûr que quelque part entre la Gare Centrale et la Place Saint-Jean s’étend une rue dite Rue Duquesnoy. Les Bruxellois pourront vous dire qu’elle porte le nom d’un sculpteur du même nom qui vivait au dix-septième siècle. Ce que j’ignorais moi-même ; mais ce que j’ai appris au moyen de quelques recherches scientifiques sur Internet, c’est qu’il n’y a pas eu qu’un, mais quatre sculpteurs de ce nom, à savoir le père, son fils et deux petits-fils. À défaut d’un prénom, il n’est toutefois pas précisé auquel des quatre artistes le nom de la rue rend hommage. S’agit-il de Jérôme Duquesnoy l’Ancien, dont la fontaine Manneken-Pis qui date de 1619 est devenue le symbole de la ville de Bruxelles ? S’agit-il de François Duquesnoy Fiammingo, dont la statue monumentale de saint André rehausse l’éclat de la Basilique Saint-Pierre à Rome ? Ou s’agirait-il de Jérôme Duquesnoy le Jeune, lequel Jérôme était au service de l’évêque Triest à la cathédrale Saint-Bavon à Gand, et mourut au bûcher pour homosexualité et sodomie dans cette bonne ville le 28 septembre 1654 ?

Malheureux Jérôme Duquesnoy le Jeune : s’il avait su que, ,vers l’an 2000, il y aurait un bar portant son nom dans sa rue, et que chaque nuit un public exclusivement mâle s’adonnerait fougueusement aux pratiques qui, à une époque moins tolérante, l’avaient condamné au bûcher ! Le Duquesnoy était devenu mon café habituel vers la fin des années quatre-vingt-dix et le lieu où, chaque nuit, je retrempais mon inspiration pour pouvoir écrire ce livre.

Je me trouve à présent devant une lourde tâche ; comment décrire le décor, le public, l’ambiance totale du Duquesnoy d’une façon pondérée, alors que j’y passais mes nuits avec plus d’alcool que de sang dans mes veines ? Je pourrais vous dire que l’intérieur était celui d’un bar cuir typique avec des plafonds entièrement peints en noir, une musique tonitruante, des chambres noires équipées d’une baignoire et d’un sling, un éclairage chiche et des ornements sous forme de chaînes et de bottes usées, bref, les mêmes ingrédients qu’utilisent tous les bars cuir du monde, qu’ils se trouvent à Hambourg, à Paris ou à Los Angeles.

Je pourrais vous dire que le public était incroyablement international, un échantillon homosexuel d’une ville de Bruxelles cosmopolite où étaient représentés tous les pays de l’Union européenne, une poignée d’ex-pats américains, et de temps en temps – et à mon grand ravissement ! – un Marocain, un Turc ou un Congolais égarés.

Néanmoins, ils s’adaptaient tous au code de conduite et au code vestimentaire particulièrement pittoresque à l’époque dont je parle ; ils avaient la tête rasée de près, une courte barbe en collier ; ils portaient des brodequins, des blousons de cuir, des pantalons kaki, des jeans déchirés, et tout cela épicé de tatouages, de boucles d’oreilles, d’anneaux au bout du sein.

Je pourrais vous dire que l’ambiance dans le temps était – et les barmans sympas y étaient pour quelque chose – joviale, trempée de sexualité, mais surtout fin de siècle, une sorte de fin de siècle où je me sentais éminemment bien et que je suis heureux d’avoir vécue. Personne, apparemment, ne caressait plus d’espoirs. Tout le monde semblait attendre l’an deux mille sans but et avec résignation – en supposant qu’on ne succombe pas au sida avant ; et pour passer ce temps creux, on jacassait, on fumait, on buvait et on faisait l’amour. Au fond, les habitués, le noyau stable du Duquesnoy en ces années-là, semblaient s’être évadés du feuilleton mélo le plus décadent, le plus désespéré et le plus pervers – encore que merveilleusement solidaire – qu’on puisse imaginer.

Il y avait par exemple Raymond, un coiffeur homosexuel, un Suisse de stature frêle aux yeux bruns de biche traquée. Il était en effet traqué par le sida dont il était atteint depuis des années et dont il s’efforçait de ralentir les symptômes destructeurs en se bourrant de médicaments – le soi-disant cocktail révolutionnaire. Le virus toutefois allait imperturbablement son chemin, et je suppose que c’est pour cette raison qu’il avait décidé de vendre très cher sa peau. Au pied de la lettre, car au fur et à mesure qu’il paraissait plus décrépit, il mutilait son corps toujours davantage en y appliquant des piercings et des tatouages, si bien qu’à l’époque où commence cette histoire, il avait l’air d’un tableau vivant, un tableau représentant des dragons, des chaînes et des motifs fleuris à partir desquels les nazis auraient pu fabriquer des dizaines d’abat-jour.

Ou encore Ramon, un jeune diablotin espagnol qui voulait consacrer tout son temps à la muse de l’écriture exclusivement, et qui avait donc accepté de devenir esclave au service d’un maître. Il touchait un salaire solide, il avait beaucoup de loisirs, mais naturellement il devait toujours être prêt à assouvir les fantasmes sexuels déviants de son maître, lesquels n’étaient pas vraiment simples, car que penseriez-vous d’un confinement dans une cave pendant des heures, d’une promenade à la laisse comme un chien, ou d’être prêté à des maîtres encore plus cruels qui le considéraient volontiers comme leurs latrines personnelles ?

Il y avait également Steve, un Anglais épileptique qui avait conçu l’idée originale d’ouvrir « un hôtel » pour tous ceux désireux d’être dilatés par voie anale, et Yorgos, le chanteur chypriote, qui affirmait que rien n’était aussi propice à ses cordes vocales qu’un solide écoulement de sperme dans la bouche, ou Nicolas le Hollandais qui s’excitait particulièrement lorsqu’on l’autorisait à ranger les chambres noires et à essuyer les décharges de sperme avec son T-shirt, et Charlie, et Léopold, et Marc, et Alex...

Et moi, bien sûr... Jan Vander Laenen, historien de l’art, traducteur, homme de lettres, mais par-dessus tout un quadragénaire qui avait vu son petit monde s’écrouler graduellement vers la fin du millénaire ; un quadragénaire qui cherchait désespérément un nouveau point de repère pour le reste de sa vie.

Ce nouveau point de repère, c’est donc toi qui me l’as provisoirement donné, mon beau Mimoun.

Mais permettez que je raconte d’abord les trois révolutions que j’ai vécues dans les années quatre-vingt-dix : des révolutions sans guillotine certes, encore que j’aie souvent eu le sentiment désagréable d’avoir perdu la tête – et le bon sens – pour toujours.

Dans le domaine de l’amour, il y avait d’abord eu la rupture totale avec Forestano, mon ami italien. Il avait réussi, de 1983 à 1997, à donner au moins un peu de structure à mes jours. La rupture signifiait la disparition pour toujours de nos gambades érotiques quotidiennes et fort traditionnelles, mes promenades dans la pinède de Viareggio, mes heures quotidiennement consacrées à l’écriture, nos bavardages incessants sur les sujets les plus variés, nos appartements coquets et bien rangés à Bruxelles et à Viareggio, nos repas nutritifs et appétissants deux fois par jour. La pagaille avait fait son apparition...

Du point de vue de ma carrière non plus je n’avais pas le vent en poupe. Les traductions et les tours guidés tardaient à arriver et mon espoir de pouvoir poursuivre une carrière d’écrivain, d’auteur dramatique et de scénariste, me semblait de plus en plus vain. Non pas parce que je mettais en doute mes propres talents, pas du tout : au fur et à mesure que les portes menant à l’estime se fermaient davantage, je commençais à jouer le rôle typiquement flamand du génie dépité, celui qui, au bistrot, se vante la nuit entière de ses projets en bafouillant, bref, quelqu’un qui préfère « les bons contacts », le « lobbying » et la chasse aux subsides à la livraison d’un matériel de qualité...

Le revers le plus sérieux, je l’avais toutefois essuyé, inconsciemment d’ailleurs, dans le domaine familial : je pourrais en effet écrire un roman sur mon père cupide qui était notaire de son état et qui trouvait son notariat plus important que le trône de Grande-Bretagne, sur mon frère aîné qui aurait dû prendre sa succession, mais qui, en sa première année de Droit, trouva la mort dans des circonstances peu claires : au volant de sa voiture, contre un poteau en béton sur une route départementale ; sur mon unique sœur, sur ma mère... Mais je doute qu’un tel roman puisse avoir des qualités littéraires, et les échos les plus importants de tout ceci vous parviendront parcimonieusement à travers les contes de ce recueil. Je n’en dirai donc pas plus, sauf que la bande de voyous qu’était ma famille éclata à la fin des années quatre-vingt-dix et qu’il est plus qu’un petit peu douloureux d’être le seul responsable d’une mère congédiée de la façon la plus cruelle par son mari, d’encaisser les reproches d’une sœur hystérique qui vous lance régulièrement : « Vieux pédé, nique ta mère », et de devoir rompre le joug psychologique d’un père qui ne veut plus vous voir parce que vous êtes homosexuel et qui entre-temps tient des propos racistes, entretient une maîtresse, vote pour le Vlaams Blok, et qui par-dessus tout cela – folie furieuse – assiste très dévotement à la Sainte Messe chaque dimanche. S’il existe un Dieu, Il aurait au moins pu l’ensevelir sous une voûte gothique dans une de Ses Maisons...

Voilà les trois révolutions qui avaient complètement gâché ma vie ; et jusqu’à l’arrivée de Mimoun un soir noir de décembre, le courage d’entreprendre un grand nettoyage en attendant une nouvelle ère m’avait fait défaut. Et pourtant ce n’est pas sans nostalgie que je me souviens de cette période où je menais une existence d’une marginalité dorée – j’étais en effet cousu d’or, quelque chose dont on a pu se rendre compte au Duquesnoy

J’étais donc un de ses habitués les plus fidèles. J’y passais pratiquement toutes mes nuits. J’y buvais ma portion de cervoise. J’entrais en conversation avec n’importe qui sur n’importe quel sujet. J’offrais des tournées. Je donnais de gros pourboires aux barmen. Pourtant, je me rendais rarement dans les chambres noires au deuxième et au troisième étage – la raison pour laquelle la plupart des clients faisaient un saut au Duquesnoy –, et je suppose que pas mal d’entre eux me considéraient comme un être asexué ou pis, comme un alcoolique qui avait de la peine à faire couler du sang dans un certain organe. Ce qui n’était vrai qu’en partie, car si à la fin des années quatre-vingt-dix cet appétit juvénile d’une portion quotidienne de chair mâle s’était tempéré, je réussissais pourtant à maintenir une moyenne de deux « contacts » par semaine. J’avais entrepris de chercher ces contacts – à part quelques partenaires de batifolage fidèles – dans un bon nombre de cinémas pornos et dans les saunas bruxellois dont la clientèle me plaisait mieux que celle du Duquesnoy, une clientèle composée surtout d’hommes mariés et de Maghrébins.

 

Les Maghrébins.

Depuis que l’un d’eux m’avait dépucelé lors de vacances passées en Tunisie en 1978, ils ont toujours pu me séduire ; mais après ma rupture avec Forestano, les hommes originaires de ces pays m’étaient devenus une véritable obsession – une monomanie ; l’odeur de leur bas-ventre avait le même effet sur moi que l’odeur d’une truffe souterraine sur une truie ; leurs yeux noirs et leur accent agressif en français éveillaient des sentiments de soumission en moi, et oui, le fait qu’ils pullulent à Bruxelles était finalement une des raisons majeures pour lesquelles mon cœur restait tellement attaché à la capitale de la Belgique.

Ma fascination pour les Maghrébins pourrait s’expliquer de la manière suivante : j’étais brisé par la rupture avec Forestano et incapable de commencer une relation durable une deuxième fois, et j’orientais donc mon attention érotique vers les Marocains surtout, parce qu’une relation durable avec l’un d’eux me semblait pour ainsi dire exclue. La distance entre un pauvre immigré et un riche autochtone me paressait pratiquement insurmontable ; et leur culture tout comme leur religion leur défendaient de surcroît de pratiquer ouvertement l’amour au masculin, et encore plus de fonder un foyer bidon avec un autre homme. Ce qui n’empêchait pas certains d’entre eux de donner, à ma grande joie, libre cours à leur passion pour le même sexe en cachette, en tapinois, dans les saunas et les cinémas pornos de Bruxelles.

Inutile de dire que j’étais toujours un candidat docile pour ces sournois, et il s’ensuivit une série d’aventures originales, car que penser d’un jeune Marocain qui portait toujours des slips de femme et qui voulait qu’on le traite de pute pendant qu’on le sodomisait, ou du brave père de famille qui voulait être servi oralement seulement tandis qu’il regardait un porno, ou de cet homme robuste dans la trentaine qui, après avoir joui, fondait toujours en larmes parce que son père avait pris une deuxième femme ?

Il n’y avait que peu de personnes au Duquesnoy avec qui je parlais ouvertement de mes préférences islamiques, peut-être parce que, déjà à l’époque, j’avais l’impression que je jouais avec le feu. L’homosexualité n’était pas exactement appréciée par la plupart des Marocains bruxellois, au moins jusqu’à l’accession au trône de Mohammed VI, ce qui menait parfois à des collisions ; j’ai moi-même été attaqué une nuit, en 1999, et dévalisé par trois hommes au « physique nord-africain » en rentrant chez moi plein comme une barrique. Et après un conflit violent avec un gang de jeunes Albanais au Duquesnoy, tous les non-Européens y étaient temporairement devenus indésirables. Même Mimoun, mon serviteur actuel...

 

Mimoun avait fait son apparition au Duquesnoy une vingtaine de soirs avant l’an deux mille. Quand je l’aperçus – j’étais assis sur un tabouret de bar tout près de l’entrée –, j’eus l’impression que j’avais déjà rencontré cet homme auparavant.

« En rêve peut-être, ou dans un cinéma porno », me dis-je en hochant la tête, car ce Marocain qui devait avoir trente-cinq ans présentait pas mal d’aspects qui éveillaient ma curiosité érotique : une silhouette assez compacte dotée d’un cul rond où j’aurais beaucoup aimé donner une tape, une tête un peu ovoïde aux cheveux et à la barbe courts et un regard noir où j’avais l’impression de distinguer à la fois de l’agressivité et de la tendresse. Le reste de l’assistance par contre le voyait tout simplement comme une « sale gueule » dont l’arrivée annonçait des problèmes, un gêneur, un gigolo, un coquin qui voulait réussir son coup dans les chambres noires.

Lucien, le barman, évitait de le regarder. Chaque fois que le Marocain voulait passer une commande, il tournait la tête et servait quelqu’un d’autre. Je me sentais tout à coup pris d’une certaine pitié pour ce pauvre homme, un sentiment bien naïf de pitié. Je me demandais comment un véritable homosexuel marocain vivait son homosexualité. Ne jouait-il pas un jeu dangereux, à la fois le jeu d’une famille fondamentaliste aux yeux de laquelle l’homosexualité appartenait à un monde différent et qui attendait de lui qu’il se marie et qu’il fasse des enfants – beaucoup d’enfants – et le jeu des homosexuels belges qui, de temps en temps, le prenaient pour un joli joujou, mais le congédiaient aussitôt, par méfiance ?

Je me suis dirigé vers lui. J’ai demandé si je pouvais lui offrir à boire.

— Un ice-tea, a-t-il dit d’un ton ferme auquel je ne m’attendais pas.

J’ai commandé une bière et un ice-tea au comptoir et j’ai invité ma conquête potentielle à se retirer dans un coin obscur avec moi, tant soit peu hors de la vue du barman, où nous entamâmes la conversation.

— T’en fais pas s’ils ne veulent pas te servir, dis-je pour le consoler. Ce saint-frusquin vient d’être démoli par un gang albanais, et la plupart des gens ne font pas la différence entre un Turc, un Albanais ou un Marocain. Tu es marocain, je suppose ?

Mon nouvel interlocuteur opinait de la tête et évitait mes regards.

— C’est la première fois que tu viens ici ?

— Tu es trop jeune pour moi, dit-il en éludant ma question. Tu es encore trop turbulent. Tu te rends probablement encore dans les chambres noires, là-haut.

— Rarement ou pas du tout, répondis-je un peu décontenancé.

— Comment t’appelles-tu ?

— Jan.

— Mimoun, se présenta-t-il, et ses traits se durcirent tout à coup. Je suis un type tranquille. Si j’avais une relation stable, je ne serais sans doute jamais venu ici. Je me verrais bien avec un homme plus mûr, un homme qui n’éprouve plus le besoin de papillonner, et qui respecte ma nature calme.

— Et qui te nourrit, dis-je impulsivement – la bière m’avait rendu bavard.

Il me toisa, vida son ice-tea d’un seul trait et posa le verre sur l’étagère derrière lui, prit son portefeuille dans sa poche de veste et me remit un billet de cent francs.

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