Les Jambes Écartées
52 pages
Français

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Description

Il n’y a pas de péchés dans la nature, ce sont les hommes qui ont inventé le péché. Nous sommes une génération qui a poussé à la musique jetable et au porno, avec les images du 11 septembre en toile de fond. Le taux de suicide explose, les étudiants rampent dans l’addiction et les soirées de débauche. Les pires d’entre nous appellerons leurs enfants Mathéo ou Apolline. Pauvres gosses de riches que nous sommes. Stéphane et moi nous ne savons pas vraiment où nous allons, dans ce cirque, dans la grande comédie humaine qui respire le sexe et les écorchures. Puis un jour le corps a lâché, et tout a commencé.

Informations

Publié par
Date de parution 30 avril 2013
Nombre de lectures 313
EAN13 9782312010151
Langue Français

Extrait

Les Jambes Écartées

Maxence Celerier Battistella
Les Jambes Écartées
Suivi de
Selan Ruchomal













LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2013 ISBN : 978-2-312-01014-4
Avant-Propos
Cela fait maintenant beaucoup trop de temps que j’écris dans des cahiers. J’ai eu, un jour, le besoin de mettre tout ça au clair, de faire le constat de ce qui constitue ma génération. J’aurais certainement pu aller piocher dans des moments de vie personnelle, forcé de constater que rien de tout ça ne fut passionnant. Rien de ce qui va être maintenant rédigé dans ces quelques pages n’est autobiographique, vraiment rien.

Comme bien souvent, tout ce qui arrive autour de moi répond à des schémas très établis, certains appelleront cela le hasard, d’autres, comme moi, se contenteront de remarquer que rien de tout ça ne se produit sans que nous ne l’ayons provoqué. Avec du recul sur les événements, si nous avions su écouter les signes qui nous entourent, tout aurait été plus simple. Le problème est sans doute qu’ici, nous perdons notre instinct animal pour devenir des animaux culturels, nous n’écoutons plus les signes qui nous environnent.

« Nous étions jeunes et larges d'épaules, bandits joyeux, insolents et drôles, on attendait que la mort nous frôle ».
Bernard Lavilliers
Il n’y a pas de péchés dans la nature, ce sont les hommes qui ont inventé le péché. Dans la grande comédie humaine, il y a ceux qui, un jour, vous prennent par la main, le reste n’a alors, à ce moment précis, plus aucune importance.


Pour Maeva et Sébastien.
Les Jambes Écartées

11 H 34
Le bruit de la douche d’un voisin est à cet instant la seule perturbation sonore de l’appartement. Du onzième étage, c’est à peine si l’on distingue qu’il y a une vie en bas, dans cette rue, qui borde un large cimetière qui ne m’était jamais apparu comme si vaste et si fourni en végétation. Tout est si calme et si normal qu’une bombe pourrait exploser ici, et maintenant, que rien ne m’empêcherait de finir le café à moitié froid qui repose sur ma cuisse.
Je crois que c’est le tic-tac de la pendule qui fait maintenant office de Bombe, pour sortir mon corps, de la léthargie ultime, dans laquelle il aime à s’abîmer. J’ai donc posé ma tasse de café dans l’évier, je la laverai plus tard, je rentre dans la chambre attrape un tee-shirt, un jean, un boxer, je me mets nu. C’est assez singulier mais quand j’observe mon corps à cet instant, je sais qu’il est propre, que je n’ai pas besoin de me laver, que je serais mieux si je ne modifie rien, si je reste comme ça avec ce corps-là qui n’aura pas connu le réveil salutaire de la douche, celui qui vous coupe de la nuit, qui vous fait dire que c’est aujourd’hui, qu’avant la douche c’était hier. Je passe beaucoup de temps à regarder mon corps dans la glace, mais ce n’est ni pour l’admirer ni pour chercher un truc qui cloche, c’est simplement pour avoir une image, une image que je maîtrise tout autant qu’elle me maîtrise. Je finis par mettre mes vêtements, quarante secondes plus tard je suis dans l’ascenseur. L’odeur de la cigarette sur mon tee-shirt me rappelle que je suis encore un peu chez moi, que ce vêtement est à moi, j’aime avoir cette seconde peau de nicotine.
La voiture de Stéphane est en bas, juste devant l’entrée. Le temps est couvert mais Stéphane a des lunettes de soleil. Je lui dis qu’il est cliché avec son look néo dandy rock à la Lou Reed. Il rit un peu, à l’arrière Justine dort encore. La chanson à la radio s’appelle «La Forêt». Je crois que c’est en sortant de la ville que je me sens enfin débarrassé d’un poids. Stéphane dit que la maison est libre et que ses parents lui ont laissé les clefs, que son cousin sera sûrement là, sans grande certitude, qu’il a apporté du vin et plein d’autres choses que je n’écoute pas. Justine est belle quand elle se réveille, de tout de façon Justine est toujours belle, même les jours de pluie.
La route est longue et j’essaie de ne pas avoir envie de fumer dans la voiture. Stéphane raconte que sa mère ne voulait pas le laisser partir car la maison n’avait pas été chauffée de l’hiver, que le temps n’était pas au mieux depuis deux semaines, puis qu’il ne fallait pas que l’humidité rentre dans les pièces. Stéphane a dû faire comme d’habitude, il a dû dire oui et ne pas argumenter. Stéphane n’argumente jamais, il reste simplement là, ouvre grand sa bouche, pour déployer un large sourire qui va arrondir la forme de ses yeux verts, afin que l’interlocuteur d’en face vienne s’y planter, et que seul lui soit le centre d’attention. Il est comme ça Stéphane, il ne reste jamais plus d’une heure sans essayer de séduire pour obtenir ce qu’il veut, pas besoin de parler, son regard reste de la pornographie qui argumente à sa place.
Justine, et moi, avons rencontré Stéphane le jour où il s’est retourné parce qu’il n’avait pas de crayon, ce fut alors d’une banalité à en mourir. C’était certainement parce qu’il avait besoin de ne pas se sentir seul, parce qu’il ne voulait sûrement pas encore passer pour l’extraterrestre du groupe. Je me souviens également que c’était un mardi après midi. Il y aurait un livre à écrire sur tout ce qui peut se passer les mardis après midi. Ce que j’aimais à l’époque c’était rester là juste à côté de lui pendant des heures, comme à son habitude il ne disait rien, il restait planté bien sagement à attendre, à se laisser observer. J’éprouvais lors de sa présence, une forme d’admiration, exactement la même que celle que j’ai pu ressentir le jour où je suis entré dans ce petit musée en Italie, le contact avec une œuvre m’avait alors procuré une sensation étrange, coincée entre l’érotisme et l’admiration.
Justine émerge enfin. Elle veut un café, elle dit qu’elle a mal au dos et qu’il va falloir qu’elle pisse, mais elle ne dit pas qu’il faut qu’on s’arrête, ça doit être trop compliqué à formuler. Stéphane me parle de trucs et d’autres sans que cela ne me passionne vraiment. Je me demande pourquoi j’ai mis des préservatifs dans mon sac, c’est ridicule ce besoin de toujours mettre des capotes dans son sac de voyage et de ne jamais en avoir sur soi au moment où il faudrait. J’ai donc lâché quelques secondes la conversation avec le reste de l’habitacle, résultat des courses je suis paumé.
Sur l’air d’autoroute, Justine ne va pas pisser, ça doit être une composante du mystère féminin qui n’est pas encore arrivé à pénétrer mon triste cerveau. Stéphane, lui, va pisser comme tout bon mâle qui marque son territoire aux hormones, même sur l’air de repos d’une autoroute. Il a ensuite dit « GO » et nous nous sommes donc exécutés, la route a continué à défiler.
Le soir se penche et lentement le jour devient orange, puis rouge. Je ne sens plus franchement l’odeur de la cigarette sur mon tee-shirt, peut-être que je suis en train de m’endormir.
La voiture semble ne plus s’arrêter, alors que la seule radio que Stéphane a réussi à trouver en plein milieu de la campagne diffuse une version pour piano de la Pavane de Gabriel Fauré, l’opus 50. Il mange une pomme en conduisant, et peu à peu, je perds la notion de temps et de lieu. J’aime imaginer être loin de tout, dans l’isolement d’une maison sans contact réel avec la ville. C’est un peu décider de faire une pause et de continuer à regarder les autres avancer sur le chemin bien orthonormé du temps. Cette sensation que je n’avais pas ressenti depuis l’enfance revient soudain envahir mon bas ventre, cette même sensation qui était apparue le jour où j’avais décidé de ne pas suivre le mouvement.

Tout d’abord, le cerveau opère une décharge d’adrénaline, qui, partant des glandes surrénales vient cogner de l’intérieur la paroi viscérale. Puis, il y a cette odeur de corde de chanvre dans cette voiture qui fait office d’une madeleine de Proust, c’est un moment surprenant. Tout s’arrête devant les grilles de la maison. Cette demeure est tout ce qu’il y a de plus calme, avec un jardin tout plein d’herbes hautes, de graines sauvages qui sont venues se perdre là

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