Pulpe : Recueil de nouvelles érotiques

Stéphane Dompierre, Collectif

Description

Seize auteurs aux styles variés osent une incursion dans la littérature érotique.
Emilie Andrewe
Marjorie Armstrong
Jean-Philippe Baril-Guérard
François Blais
Marie Demers
Stéphane Dompierre
David Goudreault
Geneviève Jannelle
Pierre-Luc Landry
Kiev Renaud
Jonathan Roberge
Simon Roy
Elkahna Talbi
Ghislain Taschereau
Mélissa Verreault
Audrée Whilhelmy

Sujets

• Érotisme
• Erotique

Informations

• Publié par: Québec Amérique
• Date de parution: 27 juillet 2017
• Nombre de lectures: 32
• EAN13: 9782764433775
• Langue: Français

Extrait

Suivi éditorial : Myriam Caron Belzile
Conception graphique : Nathalie Caron
Révision linguistique : Martin Duclos et Isabelle Rolland
Mise en pages : Andréa Joseph [[e-mail]]
Conversion en ePub : Marylène Plante-Germain

Québec Amérique
7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) Canada H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Vedette principale au titre :
Pulpe : recueil de nouvelles érotiques
ISBN 978-2-7644-3375-1 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-3376-8 (PDF)
ISBN 978-2-7644-3377-5 (ePub)
1. Histoires érotiques québécoises. I. Dompierre, Stéphane.
PS8323.E75P84 2017 C843’.01083538 C2017-941047-4 PS9323.E75P84 2017

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2017
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2017

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

© Éditions Québec Amérique inc., 2017.
quebec-amerique.com




Marie Demers
Tinder fucker
Mon téléphone vibre. Elle remue doucement, les yeux clos. Les secousses électroniques font à nouveau frémir le lit. Je farfouille parmi les couvertures pour récupérer l’engin. Ses orteils effleurent mon mollet, chatouillent la plante de mon pied. Elle fait clairement semblant de dormir, son corps cambré en une convexité cochonne ; fesses ressorties, poitrine aussi. Quand elle roule vers moi, la pointe de son mamelon atterrit sur mon bras. Sa main tombe à quelques millimètres de mon pénis. Invitation manifeste à une consommation matinale. But I can’t. It’s a Tinder-mergency.
Un nouveau message, deux nouveaux matchs . Lindsay, une anglophone légèrement gothique, trop maquillée mais très chaude. Photo en contre-plongée, duckface de lèvres écarlates, craque abyssale entre deux seins comprimés dans un bustier en cuirette noire. Une moue vicieuse pour compenser son acné sous-cutanée. Deux couches de fond de teint échouent à tromper un œil aussi expert que le mien. « In Montreal only for a few days. From Toronto. Looking for fun. » Very fourrable.
Le message provient de mon second match. Sur la première image, on la voit en plein saut, bras et jambes tendus dans l’atmosphère sur fond de coucher de soleil caribéen. L’image suivante la montre en compagnie d’une autre fille, plus jolie, qui la dépasse d’une bonne tête. La belle grande s’esclaffe tandis qu’un bébé singe fourrage dans la chevelure de mon match qui grimace. Gros plan sur la troisième photo. Deux yeux pâles brillent dans un visage ordinaire. Des sourcils un peu trop fournis, une petite bosse à la hauteur de l’arête du nez. Mignonne, sans plus. Clémentine, qu’elle s’appelle. Moyennement fourrable.
« Salut Jean-Phi,
Je n’avais encore jamais vu de licorne consommer de la bière. Celles que je connais s’en tiennent au champagne (toutes des snobs, ces licornes). Mais merci pour la découverte. »
Match n° 2 fait référence à mon propre répertoire photographique. Affublé d’un bonnet blanc et rose surmonté d’une corne, je cale une bouteille géante de trois litres de bière Duvel.
— Qu’est-ce tu fais ?
La cochonne convexe s’étire en frissonnant. Je passe mes doigts dans ses cheveux anormalement léchés. Sa tête s’appuie contre ma main avant de suivre la trajectoire de ma caresse, comme le font les chats.
— Tu veux un café ?
Elle acquiesce et se trémousse en sortant du lit. Une de ses mains manucurées se pose sur sa hanche tandis qu’elle scanne la chambre à la recherche de ses sous-vêtements. Elle roucoule en découvrant son soutien-gorge sous l’oreiller. Vraiment pas le goût de lui faire un café, finalement. Je m’invente un air préoccupé, regarde ma montre.
— Ah non, merde, sais-tu quoi ? Finalement, j’suis en retard ! Je dois me sauver ! T’es bientôt prête, la belle ?
x x x
« Faut que t’essaies Tinder. » Pourquoi « faut que » ? C’est quoi l’obligation ? Est-ce une application magique ? Est-ce que c’est garanti ou argent remis ? Mon amie Myriam m’en vante les mérites depuis deux ans, lorsqu’elle y a trouvé l’« homme de sa vie ». « Homme de ma vie » devrait disparaître du vocabulaire de toute femelle de moins de trente-cinq ans. Nier la précarité du couple en 2017, c’est comme contester la réalité du réchauffement climatique. C’est le complot du couple éternel. Mais il faut lui donner ça, à Mimi : ses deux ans de fausse félicité dépassent largement mon record personnel (216 jours). N’empêche, je le trouve con, son chum. Et si l’offre tindesque lui correspond, je préfère ne rien demander à l’application.
Swipe gauche, swipe gauche, swipe gauche, swipe gauche. Fuck, je peux pas revenir en arrière. C’était sûrement lui, l’homme de ma vie ; avec ses barniques géantes de friperie du Mile End, sa moustache molle et ses pantalons mille fois plus serrés que les miens. On aurait pu s’échanger notre linge, nos lunettes sans prescription, mais je l’ai perdu à tout jamais. Il faut y aller doucement avec Tinder, ce sont d’irrévocables décisions : tu magasines ton ever after , la face de tes futurs bébés. Mais qui est disposé à remplir mon vide momentané ?
Swipe gauche à l’infini : des chests découpés comme des râpes à fromage, des chapeaux portés pour masquer la calvitie grimpante, des obèses au visage mince qui selfient.
Swipe droit. Swipe right , qu’ils disent en anglais. Right , parce que c’est vrai. La vérité. Swipe left les mensonges d’êtres humains, de laideur ou de superficialité, jusqu’à l’apparition photographique de la perfection sur écran. Il s’appelle Jean-Philippe. « Cherche femme prête à jouer à la mère pour mes cinq enfants, produits dérivés de trois mariages différents. » Funné en plus ! Sa première photo est en noir et blanc. Une mèche de son abondante chevelure voile son regard de Crocodile Dundee en tout-inclus. Une de ses palettes est chevauchée par une incisive. Un sourire tannant. Maudite belle gueule de fendant. Sur la deuxième, il porte un chapeau de licorne et un veston sous lequel un t-shirt au col échancré annonce : « Sauf une fois au chalet. » Entre ses mains, une Duvel monstre. Douche , le coco ? Si ç’avait été de la Coors Light, peut-être. Il s’en sort de justesse. Troisième image : pas lui. Trois livres occupent l’espace : Les Liaisons dangereuses , Voyage au bout de la nuit et À la recherche du temps perdu . En enchaînant les titres, on obtient : « Les liaisons dangereuses voyagent au bout de la nuit à la recherche du temps perdu. » C’est joli. Je souris.
x x x
Il faudrait que je me calme un peu. Au bureau, je sens les reproches déguisés, les piques inoffensivement offensives. « Encore sorti tard hier soir, mon Jean-Phi ? » « Veux-tu une intraveineuse de café ? » Wink, wink. Mon compte d’épargne se vide à vue d’œil. Ça coûte cher et ça épuise, le serial dating . Si la cadence se maintient, je vais devoir puiser dans ma marge de crédit. Puis, je serai locataire toute ma vie. Un loser sans condo.
Ah, tant pis, c’est l’été, fuck it !
Clémentine… Clem, je l’appellerais. Les moins jolies sont les plus généreuses au lit. Tout le monde sait ça. Puisqu’elle est seulement moyennement cute , qu’est-ce que ça dit ? Performance pas plus qu’acceptable à espérer ?
Sur Tinder, on choisit toujours nos portraits les plus flatteurs, nos angles les plus avantageux. Ça s’enligne donc pour qu’en chair et en os, elle passe d’ordinaire à pichou.
Sous tous leurs angles, les filles sont souvent décevantes.
Carolanne est douze fois plus bandante que Clémentine.
Pis au fond, c’est quand même cool avec