Le huitième ciel après le septième
32 pages
Français

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Le huitième ciel après le septième , livre ebook

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Description

En Inde, dans les années 40, aux confins du désert. La guerre vient de dévaster une petite cité caravanière. Seule une maison close de grande renommée, le Moti Mahal, est restée ouverte.
Derrière ses moucharabiehs, la tenancière et sa mère espèrent encore. Pourtant, plus un seul client. Et seulement deux filles. L'intenable Putli, et Mira, qui ne connaît rien du métier. Au fil des jours et de l'ennui, un jeu pervers commence. Jusqu'au matin où, enfin! un habitué déboule des dunes et des rocailles. La donne change. Mais sur cet échiquier brûlant, le plus fort n'est pas nécessairement celui qu'on croit…

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 juillet 2015
Nombre de lectures 18
EAN13 9782363154484
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0007€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Huitième ciel après le septième
Irène Frain
ISBN 978-2-36315-192-6

Août 2010
Storylab Editions
30 rue Lamarck, 75018 Paris
www.storylab.fr
Les ditions StoryLab proposent des fictions et des documents d'actualit lire en moins d'une heure sur smartphones, tablettes et liseuses. Des formats courts et in dits pour un nouveau plaisir de lire.

Table des mati res

Episode 1
Episode 2
Episode 3
Episode 4
Episode 5
Episode 6
Episode 7
Episode 8
Biographie
Episode 1
La première fois que j’ai vu Shekhar, c'était avec Putli, près du petit lac. Quand elle s'est mise de dos, qu'elle a largement, solidement écarté les jambes et qu'elle s'est baissée.
L'eau lui arrivait aux genoux. Le visage de Shekhar est apparu au fond du triangle que formaient ses jambes au-dessus du clapot. Je suis sûre qu’il m’a vue, depuis là-haut. Adossée comme j’étais sous le figuier, le dos calé à un tas de pneus crevés, il n’a pas pu me rater.
Je l’ai questionné, par la suite. Il n’a pas voulu répondre. Forcément, ce jour-là, c’était Putli qui l’intéressait. Je peux le comprendre. Voici la scène :

*

Putli tournoie dans l’étang. Folle de soleil, folle de l'eau, et surtout folle d'elle-même. Quand elle se baisse, ses seins durs et petits se décollent à peine de son torse. Seize ans, une pure splendeur.
Il y a aussi ses hanches, à peine sorties de l’enfance. Et ses cheveux tellement raides, tellement longs. Elle les a lavés avec de l’argile puis rincés dans le petit lac. Ils ruissellent d’eau. Certaines mèches vont s’égarer entre ses fesses.
D’autres, par gros paquets, flagellent ses cuisses quand elle saute dans l’eau. Je n’ai que deux ans de plus qu’elle mais j’ai l’impression que cette beauté de la prime adolescence m’a désertée depuis des années. Je l’envie. Par moments, j’ai même envie de la tuer.
Et pourtant je reste là, à la regarder, sans bouger.
Donc Shekhar, je le vois arriver au dernier moment.
Ne disons plus Shekhar, d’ailleurs, mais « l’homme » ou « l’inconnu ». A l’époque, je ne sais absolument rien de lui.
Si je ne le vois pas venir, c’est aussi faute à la lumière. Midi fixe au-dessus du petit lac. Midi aveugle, qui blanchit tout.
Les dunes, les falaises de pierre, du côté du désert, leurs rocs abrupts. Et de l’autre côté, les remparts de Khimsar, les encorbellements de grès, les petits kiosques qui coiffent les maisons de marchands. Pour défier pareil soleil, il faut avoir l’impudence de Putli. Et la jouissance qu’elle trouve à s’exhiber.
Je n’avais pas remarqué que sa peau était si sombre. Ce qui m’intrigue, aussi, ce sont ces replis violets dans l’écart de ses cuisses. Sous cette lumière sèche, je lui trouve un air de ressemblance avec Nirti, l’obscène déesse des fissures qui grimace au fond du petit oratoire, au carrefour du désert et du chemin de l’étang.
Cette parenté me frappe encore plus, maintenant que Putli se met à mouliner des bras – elle les agite si vite que j’ai l’impression qu’elle en a dix, comme Nirti. Pour lui ressembler tout à fait, il ne lui ne manque que le gras empois de vermillon qu’on passe toujours, quand les déesses sont nues, sur la fente de leur sexe.

*

Putli s’est maintenant mise en tête de m’attirer dans l’eau, elle m’appelle :
- Mira, Mira !
Elle a la voix légèrement enrouée. Et des intonations rauques qui, je ne sais pas pourquoi, me troublent beaucoup plus que son corps nu. Mais il faut dire aussi que, depuis mon arrivée à Khimsar, c’est la première fois que Putli m’adresse la parole. En huit jours, pas un mot. Même pas le soir où l’armée a tout mis à sac. Au premier regard, on s’est détestées.
Elle, parce que je suis une nouvelle. Moi, parce que la Sangsue m’a prévenue que j’aurai fort à faire avec elle. Sur la mauvaise piste qui m’a amenée ici, la maquerelle n’a pas arrêté de me seriner : « Ne fais pas la maligne, surtout ! Avant que tu arrives à la cheville de Putli... »
Pauvre Sangsue ! Putli et moi, on n’a pas encore eu l’occasion de se mesurer : le lendemain de mon arrivée, les militaires ont déboulé à Khimsar et ont chassé les derniers habitants de la citadelle. La vie s’est arrêtée.
On n’est plus que quatre, maintenant, rien que des femmes. Putli, moi, la Sangsue, enfin Kanchi, le vieux tas de graisse qui lui tient lieu de mère, Jusqu’à aujourd’hui, on est restées claquemurées au Moti Mahal mais ce matin, la Sangsue n’y a plus tenu, elle est partie à Ramkana faire du ravitaillement et en profiter pour prendre des nouvelles. La vieille Kanchi somnolait. Putli en a profité pour filer. Ca m’a intriguée, je l’ai suivie. A bonne distance – elle me fait peur.

*

Et maintenant, voici qu’elle veut faire ami-ami. Elle n’arrête plus de s’égosiller :
- Mira, Mira, fais comme moi, mets-toi nue, viens te baigner !
J’hésite. Et c’est à cet instant que je vois l’homme.
Je devrais prendre mes jambes à mon cou, courir au village, aller me terrer dans ma chambre. Parce que la tête qu’il a... cet œil rapace, ce sourire qui s’effile...
Mais non, je reste. Et je ne préviens pas Putli. Je fais comme la seconde d’avant : je la regarde, je la détaille, nue comme elle est. Comme l’homme.
Première fois en huit jours que je m’amuse.

*

Putli ne sait toujours pas qu’elle est observée. Elle soulève maintenant autour d’elle d’énormes gerbes d’eau.
Mais voilà qu’elle m’en envoie une en pleine figure, l’idiote ! L’eau est trouble, je n’y vois plus rien. Le temps de m’essuyer, ma haine explose :
- Sale...
Mon insulte ne sort pas de ma gorge. Derrière Putli, l’homme a disparu.

*

- Ne vas pas crapahuter dans les sables autour de Khimsar ! m’a averti la Sangsue, il y a une semaine, quand j’ai vu la citadelle se profiler au fond du défilé. Tu te perdrais vite. Toutes les dunes, toutes les falaises se ressemblent...
Puis elle a fouetté les deux petits chevaux qui s’escrimaient à tirer notre carriole – mauvais, le coup de fouet, une des bêtes en a henni de douleur – et elle a repris :
- Ça m’est arrivé une fois, je sais de quoi je parle ! Le soleil tape, on n’a pas idée... Même en hiver ! Toutes ces images qui viennent danser devant les yeux, quand on est bien ébloui... Pas une légende, les mirages ! Le nombre de gens qu’on n’a jamais revus... Il n’y a que les nomades pour s’y retrouver. Alors une gamine comme toi, une petite oie blanche qui n’a jamais connu que la ville ! Mais de toute façon, au Moti Mahal, tu seras bien, tu n’auras pas envie de sortir...»

*

Donc cette tête d’homme, oui, sans doute un mirage.
Ou alors c’est de ma cervelle qu’ont jailli ces yeux rapaces, cette bouche un peu grasse. Une image venue d’une vie antérieure. Pas étonnant, je m’ennuie tellement, ici.
Ce regard-là me rappelle aussi l’homme qui me guettait quand je suis sortie de la maison de la femme qui m’a vendue à la Sangsue, à Bijapur. Le marché venait de se conclure, on s’est retrouvées dans la rue, il y avait ce type sur le trottoir qui avait l’air d’être plein aux as. Il semblait bien connaître l’adresse.

*

Rien qu’à me souvenir de ce moment-là, j’ai oublié Putli. Ça l’exaspère, elle se remet à me provoquer. Elle se cambre, flagelle à nouveau ses cuisses de ses cheveux mouillés et recommence à crier :
- Viens, fais comme moi, mets-toi nue !
Je devrais me laisser tenter, je baigne dans ma sueur. Me déshabiller tout de suite, pour éviter qu’elle ne s’en charge. La Sangsue m’a aussi dessalée, sur ce point-là : « Tu vas voir, c’est une délurée, elle est capable de tout ».
D’ailleurs voici qu’elle s’approche. L’air de rien. Je suis sûre qu’elle mijote quelque chose.
Eh non ! Ce n’est pas à moi qu’elle en veut, mais à une petite savonnette rose vif qu’elle a oubliée au bord de l’étang quand elle s’est déshabillée... Elle s’en empare – bond de féline – puis retourne dans l’eau. Et reprend face à moi, la même pose qu’au début, jambes solidement écarté

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