Les nouvelles amours
130 pages
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Description


Les nouvelles amours


Six nouvelles de Pédro Torres


Mon premier dix-huit trous

Thibaut d'Aménoncourt, jeune rédacteur en chef du magazine Biz'Art, doit interviewer un artiste connu pour ses œuvres scandaleuses. Ce dernier, manipulateur hors pair, essaiera de convaincre Thibaut de participer à l'une de ses créations.


Trail cow-boy

Un cow-boy convoie un troupeau de bétail le long de la rivière Gila. Il sympathise avec un jeune vacher de son âge. Le travail harassant, la promiscuité avec les vétérans, leur offrent peu de moyens de se retrouver ensemble.


Flight 11 arriving from Boston canceled

Une rencontre dans un avion permet à Alain de sympathiser avec un steward. Ce dernier devient vite l'amant de l'hôte new-yorkais du jeune homme.


Les découvertes sexuelles du jeune Sire Concy

XIVe siècle, le jeune Aubin, fils d'un comte normand, découvre la sexualité comme tous les jeune de son âge à son époque.


Rock and cock star

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Hitlerjugend

Pour assurer au peuple allemand une hérédité irréprochable, Hitler a créée le "Groupe des Jeunes Géniteurs de la Race Aryenne". Cette école est vite dévoyée par des dignitaires sans scrupules.


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Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2009
Nombre de lectures 322
EAN13 9782914679619
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les nouvelles amours
Nouvelles
Pédro Torres
Mon premier dix-huit trous
Je m’affale sur le sofa à l’écoute de ma femme qui, une fois encore, me rappelle son désir d’acheter une maison de campagne. Je reviens d’une séance de rédaction tardive et fatigante. J’y ai appris qu’il me fallait absolument me rendre à New York le surlendemain pour interviewer je ne sais trop quel artiste givré qui n’expose que des organes génitaux masculins. Je n’ai pas encore retiré ma cravate et les gamins me sautent déjà dessus pour que je joue avec eux.
— Chérie, nous n’avons pas les moyens de nous offrir une maison de campagne. Je viens juste d’avoir trente ans. J’ai à peine réussi à mettre de côté de quoi la meubler ou acheter une nouvelle voiture si la nôtre nous lâche. Tu sais ce que ça coûte trois enfants à nourrir !
— Merci ! Vraiment, merci ! dit Valériane, énervée. Je le sais mieux que toi, figures-toi ! C’est moi qui fais les courses. Ce seront bientôt les congés scolaires et, une fois de plus, je ne sais pas quoi faire de nos vacances. Tu sais bien que ma mère vieillit et qu’elle ne peut plus s’occuper des trois gamins à la fois. Quant à la tienne, excuse-moi, mais…
— D’accord, d’accord, mais où veux-tu que je trouve l’argent ?
— Il va falloir trouver un organisme de crédit. Une petite maison en Bretagne avec un jardinet à une dizaine de kilomètres de la mer. On peut dénicher cela à partir de 125 000 euros. Je ne veux plus me poser la sempiternelle question de savoir où aller en vacances à la Toussaint, à Noël, à la mi-février, à Pâques et tout l’été. À chaque fois, il me faut résoudre le problème, je n’en peux plus !
— Bon, écoute, je demande à mon père s’il peut faire un geste. Fais-le de ton côté avec le tien et on empruntera le reste. Mais je hais les crédits… Au fait, je pars jeudi à New York. Tout un programme : je vais voir Dick Head le bien nommé, ça veut dire « tête de nœud ». Il vient de vendre au Chicago Metropolitan Museum une œuvre pour… 450 000 dollars. Elle représente un mur de méats, tu sais, le méat urinaire, les lèvres du gland. Il y a dix-huit colonnes de vingt-cinq vignettes, de vingt centimètres de côté chacune. Elles représentent toutes un méat différent. Neuf mètres carrés de méats, tu te rends compte ! Je ne comprends pas pourquoi on vend à ce prix-là un tel monceau de chair obscène. Le seul aspect artistique que l’on pourrait y voir est la disposition de ces lèvres : verticales, horizontales et perpendiculaires. C’est ridicule ! Tu devrais lui demander de t’offrir ta maison de campagne, il a les moyens, lui.
— Pourquoi y vas-tu ? Fais jouer ta conscience. Dis que tu as des principes moraux très affirmés et que la pornographie n’est pas ton truc.
— Chérie, je suis rédacteur en chef de Biz’Art, et dans Biz’Art, il y a « Art », mais aussi « Biz » qui veut dire « Business ». Un quasi-inconnu qui vend une toile, que dis-je, une série de photos pour 450 000 dollars, je ne peux pas laisser passer ça. Sinon, je vais planter des artichauts et des choux-fleurs dans le jardin de notre prochaine résidence secondaire.
***
Pendant le vol vers New York, me revient l’obsession de ma femme pour son petit nid breton. Je ne savais pas que me marier signifierait gagner toujours plus d’argent pour satisfaire une adorable, mais insatiable famille. Mon rêve est de m’acheter une petite toile ici et là, et attendre quelques années pour que l’une d’elles puisse nous permettre une petite folie. À chaque fin de mois, lorsque je retourne mes poches, je les trouve désespérément vides. Seul mon banquier s’en tire bien avec un compte régulièrement en découvert dès le début du mois. En guise d’œuvre, je ne peux m’offrir que quelques petites choses dans le très bas de gamme à moins de deux cents euros, une vraie misère. Pendant que je me perds dans mes pensées et commence à somnoler en attendant l’atterrissage, les petites toiles qui auraient fait mes délices se transforment en appareils génitaux géants. Cette interview m’angoisse réellement. Qu’y puis-je ? Ça ira vite, je ne fais qu’un aller-retour.
***
— Hello ! I’m Thibaut d’Aménoncourt from Biz’Art. I have a meeting with M. Head, dis-je.
— Biz’Art ? Vous avez dit Biz’Art ? Comme c’est bizarre ! me dit un jeune homme dans un français impeccable et visiblement assez au fait de la culture française. Bonjour, entrez, c’est moi. Vous venez de Paris pour me voir, c’est courageux. Je connais bien votre revue. Elle est très classique, mais excellente.
— Vous êtes français ?
— Non, suisse, mais j’ai fait les Beaux-Arts de Paris. J’y ai un peu perdu mon accent et j’y ai beaucoup gagné en vivacité. Vous le savez, les Suisses sont du genre grand calme, me sourit-il.
— Si vous voulez, nous pourrons faire l’interview en discutant et après on verra les points sur lesquels se fera l’article, dis-je un peu décontenancé, ne sachant comment aborder le sujet.
— Comme vous voulez, je n’ai rien à cacher. Avec mon type d’œuvre, ce serait ironique.
— Vous semblez d’ailleurs jouer là-dessus. Ne serait-ce que votre nom.
— Dick Head ? Vous savez, c’est presque mon vrai nom. Je m’appelle en réalité Richard Edde, et « Dick » est le diminutif de « Richard ». J’ai appris à mes dépens la signification de mon nom assez jeune. J’en ai été mortifié au début. Plus tard, lorsque j’ai compris que j’étais homosexuel, l’idée m’est venue de jouer avec ce nom autant qu’avec les parties génitales. « Tête de nœud » : la découverte d’une vocation !
C’est un obsédé ! Les parties génitales, Richard Edde en a fait son univers. Son loft est rempli de posters géants représentant des sexes masculins de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Il y a des glands, des hampes et des testicules à vous en donner la nausée. Le sofa ? Une bite. Les sièges en forme de poires remplies de billes de polystyrène ? Des testicules. Les abat-jour des lampadaires ? Un habillage de diapositives de glands. Un tableau d’art moderne ? Un frein de prépuce géant de deux mètres. Et partout des petits cubes d’une vingtaine de centimètres de côté sur lesquels chaque face comporte quatre photos de méats. Le tout baigne dans une ambiance chaude de couleurs rose et chair. En entrant, je m’attendais à ce qu’il règne une odeur de sexe masculin tellement l’ambiance se prête à la chose. Heureusement, si je dois fermer les yeux pour me sentir à l’aise, au moins l’air est respirable. J’enchaîne immédiatement, très professionnellement, pour évacuer mon malaise :
— Il y a un an, vous étiez totalement inconnu. À quoi devez-vous votre succès ?
— Vous voulez la réponse ? J’ai beaucoup couché !
— Au moins, vous n’avez pas la langue de bois.
— La langue ? Non ! Mais, j’ai aussi un sens aigu de la promotion et on me trouve talentueux.
Mon métier de journaliste, c’est aussi de deviner quel homme se cache sous la carapace. Cet « artiste » est plus jeune que je ne l’aurais pensé. Je m’imaginais un barbon ayant largement vécu et n’ayant plus rien à perdre. Un homme mûr connaissant le milieu artistique et ayant rendu suffisamment de services pour avoir tout le monde dans sa poche. C’est plutôt un garçon de bonne famille, avec une certaine distinction, une recherche dans son habillement. Je ne sais pas s’il est maquillé, mais son visage à la peau parfaite me semble suspect. Il est doux, souriant, agréable. Je le regarde fixement afin d’éviter de trop poser les yeux sur le décor qui m’oppresse.
— Ne pensez-vous pas que la somme de 450 000 dollars ne soit pas un peu cher payée pour votre dernière œuvre ?
— « Méat maxima culpa » ? C’est celle dont vous parlez ? Vous savez, il n’a coûté au musée de Chicago que 1 000 dollars le méat. Il y a vingt-cinq colonnes de dix-huit photos. Vous pensez qu’on puisse facilement trouver 450 méats différents à photographier ? Chaque photo est vitrifiée, enchâssée à la main. C’est beaucoup d’efforts. Le prix me semble raisonnable.
— Avouez quand même que c’est de la provocation. Ça ne peut pas valoir le prix que l’on pourrait donner à une œuvre classique.
— Vous voulez dire que c’est de la merde ? Pas encore ; pour l’instant, ce n’est que de la verge, mais qui sait, en vieillissant ! Pour l’instant, je ne suis pas vraiment tenté. Mais puisque nous parlons de merde, je suis sur une nouvelle œuvre « Kolossale », commandée par le Kunstmuseum de Berlin, qui s’appellera « Dix-huit trous de balle ». Je vais photographier en relief dix-huit anus. Ils seront reproduits en mousse de latex. Chacun s’étendra sur quatre mètres carrés. Ils serviront pour un minigolf. Ce sera un happening très tendance.
— Vous voulez dire qu’il faudra envoyer des balles de minigolf dans chaque trou, heu !…
chaque anus ?
— Tout à fait, et j’ai décidé de faire appel à des anus vierges garantis 100 % hétéros. Vous voyez, mon œuvre n’est pas si facile à réaliser.
— Comment allez-vous convaincre vos « modèles » ?
— L’argent, mon ami, l’argent. L’argent achète tout. Tenez, voici un cube « Méat culpa » tiré de mon œuvre « Méat maxima culpa ». Il y a quatre méats par côté, donc 24 méats en tout. Je les vends 50 000 dollars pièce. Sur un tirage ferme de 500 exemplaires, j’ai déjà reçu plus de 600 commandes. Ceux qui sont là me sont réservés. Ils sont numérotés de 1 à 20 comme vous pouvez le voir. Pour vous montrer que l’argent peut tout, on va faire un jeu. Vous me dites où se trouve mon méat sur ce cube et je vous donne 1 000 dollars. Vous avez une chance sur vingt-quatre de gagner. Si cela peut vous aider, vous pouvez observer les lèvres… de mon visage, dit Richard Edde en éclatant de rire.
— Je suis désolé, je ne joue pas. Ne soyez pas choqué, si je vous dis que j’ai du mal à le regarder. C’est un peu… un peu gênant pour moi.
— Bravo, aux États-Unis tout le monde aurait déjà joué. Je suis agréablement surpris. Si je vous dis sur quelle face il se trouve, vous n’avez plus qu’une chance sur quatre de gagner le gros lot. Il vous suffit juste de me désigner du doigt une photo au hasard.
— Désolé, je ne suis pas très joueur. Et puis, ça me fait un peu le même effet que de voir une araignée ou un serpent, ça me fait froid dans le dos.
— Décidément, vous m’êtes de plus en plus sympathique. Je dois vous quitter pour un rendez-vous important. Pouvons-nous dîner ensemble ce soir chez Paul André ? Le restaurant français à la mode. Je vous y invite. C’est la moindre des choses, n’est-ce pas, avec l’argent facile que je me fais, dit-il en souriant et en me donnant une chaleureuse poignée de main.
***
Ouf ! Je m’en tire bien. Pourtant, ce jeune artiste, si l’on peut dire, a un certain charisme, une voix douce ensorcelante. Le temps passé avec lui a été moins désagréable que je l’appréhendais. Après tout, si ça l’amuse et s’il réussit à se faire une notoriété avec son sexe et celui des autres, pourquoi pas ? Il y a pire façon de faire fortune, même si je ne peux approuver celle-là.
Je suis quand même idiot, j’avais une chance sur quatre de gagner 1 000 dollars. Il me suffisait de pointer n’importe quelle photo. Ah ! Moi et mon amour-propre ! Bah, toute ma vie, je me suis reposé sur des valeurs auxquelles je crois et auxquelles je tiens. Ce n’est pas Valériane qui me contredira. Je pense même qu’elle sera fière de moi lorsque je lui dirai ma capacité de résistance.
Le temps a passé tellement vite dans le loft de Richard que je n’ai plus qu’à attendre
quatre heures jusqu’à notre dîner. Il ne me reste plus qu’à me promener dans les rues de New York en levant les yeux bien haut pour y admirer les gratte-ciel. Sur le sommet des immeubles de taille moyenne, les citernes d’eau rondes en bois à toit conique, typiques du début xxe siècle, m’étonnent. Je n’arrive pas à savoir si on les garde pour leur utilité ou pour le patrimoine qu’elles représentent pour la ville. Le temps se gâte, lorsque l’heure est venue de me diriger vers le restaurant Paul André, sur la 5e Avenue.
La pluie commence à tomber à verse. Et même si je suis à New York, l’attente, à peine protégé par l’auvent d’une banque, devient rapidement aussi ennuyeuse qu’à Paris. Le sentiment d’incertitude dès que la personne attendue a plus de cinq minutes de retard me ronge. Heureusement, alors que je regardais compulsivement ma montre, Dick sort de sa limousine.
— Ah, vous êtes là. Désolé de ce retard. Mais vous êtes fou, vous auriez dû rentrer dans le restaurant. Vous êtes trempé. Quelle pluie !
— Je n’étais pas sûr que vous viendriez. J’ai regardé la carte, je ne pense pas que mon magazine accepterait la facture d’un seul des plats de cet antre de la gastronomie.
— Ah oui, je vous comprends. J’avais réservé à nos deux noms. Au pire j’aurais téléphoné pour que l’on vous serve à mes frais. Venez vous asseoir là et bavardons un peu. À mon tour de savoir un petit peu de vous... Je suis surpris. Vous n’êtes pas vieux. Comment êtes-vous devenu rédacteur en chef de Biz’Art ? Il me semble me souvenir qu’il s’agit d’une revue pour un lectorat assez âgé. J’ai d’ailleurs été très surpris que vous souhaitiez me rencontrer.
— Biz’Art veut justement rajeunir son lectorat et être plus proche de l’art actuel et des nouvelles tendances. C’est pour cela que j’ai été embauché. Mais je dois avouer que la conférence de rédaction concernant votre interview a été rude. Je n’étais personnellement pas favorable à ce que l’on parle de vous dans le magazine.
Mon ton est contrit. Après tout, je suis invité par Richard, il est normal que je me sente gêné. Mais il ne paraît pas me tenir rigueur de ma franchise.
— Aux Beaux-Arts, j’avais commencé par des yeux, des nez. Cela choquait déjà. Non le thème, mais l’approche de mon art. Je ne photographiais que des professeurs volontaires et croyez-moi ça n’a pas été facile de les convaincre. Heureusement, mes parents sont banquiers et propriétaires de différentes compagnies pharmaceutiques. J’avais de quoi susciter leur adhésion. Mon art, c’est le moyen plus que la fin ! En l’occurrence, dans « Méat maxima culpa », je n’ai photographié que des personnalités connues du grand public. Elles restent anonymes, bien sûr. Néanmoins, mon huissier de justice peut vous affirmer que chaque homme qui a posé pour mon œuvre est célèbre aux États-Unis. Convaincre mes modèles m’a coûté beaucoup plus que le prix de vente de l’œuvre. Je me rattrape avec les cubes et les autres produits dérivés sur lesquels je suis en train de travailler.
— Si vous payez une fortune pour convaincre vos modèles, où est la difficulté ?
— La difficulté ? Si je vous demandais de poser pour « Dix-huit trous de balle », vous seriez partant ?
— Certes non !
— Eh bien, voilà la difficulté… mon défi, si vous préférez.... décider une star de cinéma ou de sitcom ou bien encore un joueur de base-ball à accepter de se faire photographier le gland en macro. Cela nécessite, avouez-le, un certain art de persuasion.
— Pour vous, l’art, c’est donc aussi de convaincre d’illustres personnalités d’exposer leur petit bout de chair ?
— Vous avez tout compris. Sans cela, l’œuvre n’aurait été que scandale. Une fois celui-ci passé, elle aurait perdu toute sa valeur. Je conserve par contrat l’anonymat de ceux qui ont accepté de s’exposer, mais aujourd’hui, tout New York bruisse de noms.
— Personne ne s’est dévoilé ?
— Si ! Ils sont déjà sept courageux à avoir montré leur certificat. Soit ce sont des provocateurs exhibitionnistes, soit des célébrités en perte de vitesse ou des jeunes en mal d’ascension. Après tout, je sers sans doute la cause de ces névrosés. Certains prétendent même être présents sur ce « méatoscope » alors que je ne les ai jamais vus dans mon atelier.
Richard est un manipulateur hors pair de l’âme humaine. Jamais je n’aurais pu échafauder une telle élucubration ou même penser qu’elle aurait si bien fonctionné. L’humanité m’a toujours étonné, mais là, je reste littéralement scié. Richard m’apparaît comme un grand stratège. Je l’écoute comme un enfant.
— Je ne veux pour mon dix-huit trous que des hétéros vierges, analement parlant, bien sûr, puisque j’exige qu’ils soient mariés et pères d’enfants pour m’assurer de leur hétérosexualité.
— Peut-être tomberez-vous sur des bisexuels peu fortunés ?
— Non, je veux m’assurer que ce soit bien des hétérosexuels vierges.
— Comment les trouverez-vous ?
— Mais en parlant avec eux, comme je le fais avec vous !
— Ce n’est pas une proposition, j’espère ?
— Pourquoi refuserais-je votre candidature ? Elle correspond en tout point à ce que je recherche.
— Mais je ne suis pas candidat.
— Pour l’instant, non !
— Écoutez, cette conversation prend une tournure gênante. Pouvons-nous changer de sujet ?
J’ai, tout à coup, le sentiment que Richard tisse sa toile autour de moi. Je me sens piégé telle une souris hypnotisée par un serpent. Je dois me reprendre. Je plonge dans mon assiette sur laquelle trône un pigeonneau au sang, délicieux dès la première bouchée. Il est servi avec
un Saint-Julien 1996, idéal avec ce plat. J’attends également avec impatience le mille-feuille au marc de champagne. Pendant ce temps, mon hôte, d’humeur badine, entretient la conversation.
— Désolé. Je vous comprends. Je sais ce qu’est votre interview, mais afin de vous cerner mieux encore, pouvez-vous m’éclairer davantage ? Quelles études avez-vous suivies ?
— Tout comme vous, les Beaux-Arts. J’y suis entré en 1999. J’ai essayé de vivre de mes toiles, puis j’ai rencontré ma femme, Valériane. À partir de ce moment, il était hors de question de mener une vie de bohème. Je suis devenu critique artistique dans divers magazines.
— Nous avons cinq années d’études d’écart. J’y suis entré en 2004. Quel est votre style ?
— J’ai fait du nu féminin, mais de façon très académique. Ah ! dis-je en souriant, je dois avouer avoir aussi fait du nu masculin. Mais pour des œuvres peu susceptibles d’éveiller votre intérêt : ce sont mes fils alors qu’ils étaient bébés. Si je me souviens bien, leurs attributs, bien que remarquables pour leur âge, n’étaient pas spécialement représentés sur mes dessins.
— Je vois le genre, un peu angelots asexués.
— On peut dire ça ainsi.
— Vous n’allez pas un peu loin dans la pudibonderie ? La nature nous a tous largement pourvus. Le sexe est une de nos préoccupations primordiales. Certes, je suis un peu provocateur, mais il n’y aurait pas de provocation sans ces tabous ridicules. Je ne m’en plains pas, ils font ma fortune actuellement.
— Je croyais que vous étiez riche de naissance ?
— Je l’étais, mais mes parents se sont un peu fâchés avec moi. La réconciliation est en bonne voie. J’ai offert une toile à mon père. Il l’a placée dans son bureau. Elle représente une coupe de fruits, c’est suffisamment classique pour le satisfaire. Tant qu’il me sait capable de peindre encore des natures mortes, il s’imagine que je peux rentrer dans le droit chemin.
— Vous tenez à l’image que vous donnez à votre père ?
— Beaucoup, et pour lui faire plaisir, je peins des œuvres classiques que je n’ai jamais montrées au public jusqu’à présent, c’est ma zone d’ombre… mon jardin secret, dit Richard, un rictus aux lèvres.
Ce jeune artiste m’intrigue. Il y a quelque chose que je ne peux analyser derrière sa provocation. Je n’arrive plus à voir en lui le pervers que j’avais imaginé. Ce désir de plaire à son père, de retourner à une certaine normalité. Je me persuade qu’il souffre de n’être connu que pour ces œuvres phalliques. J’ai peut-être là un axe de vision inattendu pour mon article. Il convient d’agir avec doigté.
— Vous m’avez montré des cubes que vous avez appelés « Méat culpa », soit « C’est ma faute », une phrase tirée d’une prière, le « Confiteor Deo ». Est-ce un simple jeu de mots ou une provocation dirigée contre l’Église catholique ?
— C’est sans doute un peu des deux, mais certainement plus une formulation d’excuse,
une contrition.
— Ne serait-ce pas plutôt un aveu à peine déguisé de la honte que vous avez d’aborder continuellement ce seul sujet ?
— On ne peut se satisfaire de consacrer sa vie aux parties génitales masculines. Cet amas de chair me culpabilise parfois. Mais, que voulez-vous, j’aime le sexe de l’homme et je ne peux m’en tenir éloigné longtemps. Alors, mon art joint l’utile à l’agréable.
— Quand avez-vous découvert votre homosexualité ?
— Ça fait partie de l’interview ?
— Il me semble, oui. Cela replace votre œuvre dans son contexte.
— Je pense pouvoir vous faire confiance et vous révéler mon jardin secret. Je vous propose d’aller terminer cette interview à la maison. Je vous y offrirai le café.
Je ne peux rêver mieux. Certes, je n’échapperai sans doute pas à une tentative de séduction de la part de Richard, – il me regarde avec les yeux de Rodrigue pour Chimène, – mais je désire ardemment voir ces œuvres qu’il cache au public.
Dans la limousine que Richard conduit, il me fait ses confidences sur ses premières aventures.
— J’ai été élevé dans un pensionnat très chic près de Sion. Je ne sais pas pourquoi, mais les cours de gym se finissaient toujours par un monter de corde lisse. J’imagine quelque perversité de notre professeur, mais à l’époque je ne pouvais le deviner. La corde entre nos jambes glissait sur notre sexe et nous faisait bander. Lorsque chacun d’entre nous avait monté ses cinq mètres, il pouvait partir pour la douche. Inutile de vous dire que nous étions nombreux à arborer une superbe érection. Un jour, je...
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