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EAN : 9782335095371
©Ligaran 2015
Étude sur Pascal
I
Pascal appartient à ce petit groupe d’hommes qui ont conquis leur immortalité sur la terre ; il diffère de la plupart d’entre eux, si ce n’est de tous, en ce sens qu’il ne l’a pas cherchée et qu’il n’y a même jamais songe.
Lorsque, enfant encore, il arrachait à la science ses secrets ; quand, devenu homme, son génie s’élevait à des hauteurs où les autres hommes eussent été pris de vertige, était-il préoccupé d’une pensée de gloire ? nullement. Jamais esprit ne fut plus détaché de lui-même. L’homme pour lui, c’était l’humanité.
Son père le destinait aux lettres et l’éloignait des sciences exactes auxquelles il s’appliquait lui-même avec ardeur. Seul, sans livres (ils lui étaient tous cachés), sans autres secours que ceux qu’il trouvait dans sa puissance de volonté et sa confiance en soi, il devina les mathématiques. Ce fut son premier pas, et quel pas de géant ! Dans quel intérêt avait-il ainsi surmené son intelligence ? pour la contraindre à lui obéir ; il essayait sa puissance sur lui-même. Déjà il entrevoyait l’emploi qu’il en allait faire. Il ne tira aucune vanité de sa première victoire ; c’était un précédent auquel il devait rester fidèle. Dans cet enfant, il y avait plus qu’un homme.
À l’âge où les frivolités tiennent une large place dans l’existence, il cherchait dans son entendement la force de l’entendement de l’homme, c’est-à-dire de l’humanité. Il ne lisait guère que les Essais , fort à la mode en ce temps. Tandis que ce livre d’un profond sceptique lui parlait du néant des sciences, il écrivait son traité des coniques et se disposait à parcourir le cercle des sciences humaines. Le scepticisme de Montaigne, loin de l’ébranler, lui fut un stimulant de courage, et son audacieux génie conçut la hardiesse d’appliquer au monde moral les formules impératives des géomètres, et de l’analyser en quelque sorte avec des ronds et des barres qui avaient à ses yeux une bien autre logique que les mots.
Il n’eut d’autre précepteur que son père. Sans négliger ses enseignements, il se passait de lui pour apprendre ce qu’il voulait savoir. C’était un père très honnête homme, mais sans tenue dans l’esprit. Montaigne était son auteur favori, et il n’avait pas trouvé mauvais que son fils, qu’il aimait tendrement, cherchât quelques règles dans un livre où lui-même puisait ses principes, sa doctrine, ses jugements, et jusqu’à ses irrésolutions. Il appartenait à cette société de vertueux sceptiques que coudoyaient parfois avec une insolente brutalité les apôtres de l’athéisme. C’était le bon temps des prétendus adorateurs de la matière. On discutait leur absurde théorie, on les prenait au sérieux ; cet honneur leur portait au cerveau et les attachait à ce qu’ils avaient l’air de croire. Le zèle religieux faisait leurs petites affaires, et leur vanité s’en trouvait bien : ils ne songeaient pas au reste. Donc autour de Blaise Pascal florissait l’athéisme, non comme conviction, il faut d’abord accepter ce qu’on veut croire, et la raison ne peut accepter ce que repousse la nature, mais comme entraînement. C’était affaire de mode.
Le Que sais-je ! de Montaigne l’avait séduit sans le convaincre, nous allions dire sans le corrompre. Tout religieux qu’il était, il prit ce « que sais-je ! » pour point de départ, et voulut dire : je sais !
Descartes était venu. Ses grands et nobles travaux avaient ouvert une route nouvelle à l’intelligence. En procédant du doute, il avait voulu arriver à l’évidence absolue, et n’avait rencontre qu’une évidence relative. Il avait dit : j’essaye de douter de tout ; je ne puis douter que je doute ; donc je pense, donc je suis ; et, dans un autre ordre d’idées, ma pensée me fait ce que je suis. Elle est finie, imparfaite, faible ou forte, fausse ou vraie, donc je suis fort, faible, impartial et fini. Le fini, l’imparfait, ne peut être un principe : je ne suis donc pas et je ne puis pas être le principe de mon être. Il y a donc au-dessus de moi un principe supérieur, supérieur à moi, supérieur à tout ce qui existe ; c’est la perfection, c’est l’infini. – Ce raisonnement n’était pas nouveau. Socrate et Platon l’avaient fait en termes moins rigoureux, mais Descartes était le premier qui l’eût formulé avec la précision d’une vérité mathématique. Cependant on lui attribua tout le mérite d’une nouveauté, et ce fut un coup de fondre pour le matérialisme.
Pascal s’initia à cette consolante métaphysique, mais n’en fut pas enthousiaste. Qu’avait-il besoin de cette consolation ! Le sentiment de la Divinité remplissait son âme. Il ne lui convenait pas, à lui géomètre, que Dieu fût traité en proposition. Ses ronds et ses barres , qui voulaient trouver le pourquoi de toutes choses, ne devaient ni aller si loin ni monter si haut. Il n’avait jamais éprouvé le besoin de se créer une méthode pour prouver Dieu. Dieu était pour lui la grande évidence d’où découlent toutes les vérités.
Descartes avait trouvé Dieu. Pascal l’avait toujours porté en lui. Il n’a jamais dit dans ses sublimes épanchements avec lui-même que l’homme n’eût aucune notion sûre de la Divinité avant le christianisme, mais il a affirmé qu’avant la venue du divin Rédempteur la raison humaine n’avait jamais été puissamment affermie en Dieu, ce qui est bien différent. Quant à la philosophie, prise dans son sens le plus général, il ne la considéra jamais comme la science de la sagesse. Il la connaissait peu d’ailleurs et la jugeait sur les contradictions des faiseurs de systèmes. L’idée d’un Dieu abstrait bouleversait sa raison. Il ne pardonna jamais aux philosophes d’avoir lancé cette idée dans le monde. Sa foi ne se sépara pas des choses de la nature, et l’on peut dire même qu’il la corrobora par l’étude de la nature. Son génie n’a point d’arrière-pensée : il éclaire parce qu’il doit éclairer. Pascal est tout passion cependant, mais passion extérieure et par conséquent impersonnelle. Ennemi déclaré du cartésianisme, qui répugnait aussi bien à ses sensations qu’à ses sentiments, il n’a jamais dénigré Descartes, et s’il ne l’a pas apprécié comme il devait l’être, du moins il en a parlé en termes où se peint son âme brûlée de vérité.
Dans un écrit intitulé l’Art de Penser , il met Descartes en regard de saint Augustin, et ce passage est du plus grand intérêt :
« Je voudrais demander, dit-il, à des personnes équitables si ce principe : La matière est dans une incapacité naturelle, invincible de penser , et celui-ci : Je pense, donc je suis , sont en effet les mêmes dans l’esprit de Descartes et dans celui de saint Augustin qui a dit la même chose douze cents ans auparavant.
En vérité, je suis bien éloigné de dire que Descartes n’en soit pas le véritable auteur, quand même il ne l’aurait appris que dans la lecture de ce grand saint ; car je sais combien il y a de différence entre écrire un mot à l’aventure, sans y faire une réflexion plus longue et plus étendue, et apercevoir dans ce mot une suite admirable de conséquences, qui prouve la distinction des natures matérielle et spirituelle, et en faire un principe ferme et soutenu d’une métaphysique entière, comme Descartes a prétendu faire. »
Ainsi, Pascal qui n’admet pas que Descartes ait fondé une métaphysique entière, complète et convaincue, reconnaît cependant qu’il a prouvé la distinction des natures spirituelle et corporelle, en se servant de la démonstration qu’avait faite douze cents ans auparavant saint Augustin, pour prouver dans la nature de l’homme l’image de la Trinité divine.
À son insu, il continuait Descartes. Il n’empruntait rien pourtant à sa métaphysique ; son génie était trop absolu pour ne pas se suffire à lui-même, mais il marchait dans le sillon lumineux qu’avait tracé ce grand homme. Quand Descartes ne doutait plus, Pascal doutait encore. C’est qu’il n’était pas déiste, il était chrétien. Où était le mérite de croire à Dieu ? Il voulait croire en Dieu. Les espaces silencieux de l’abîme l’effrayaient. Il pensait qu’il y avait du divin dans l’homme, et il n’admettait pas que ce divin eût une durée purement terrestre. La religion de Descartes ne satisfaisait pas sa grande soif d’aimer. Il voulait aimer Dieu d’un amour qui égalât celui que Dieu porte à la création. Il lui fallait donc savoir à quel point l’homme était aimé de Dieu. Quel était le but de la création ? Tout se terminait-il par la mort ? Dieu ne pouvait lui répondre. Ce fut à la nature, ce fut au cœur de l’homme qu’i