Et de paroles Nanti
56 pages
Français

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Et de paroles Nanti , livre ebook

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Description

A l'instar d'un Jean Moréas, lui aussi versificateur d'une grande habileté, Antonio Carvajal renoue dans ce "florilège" avec la tradition classique des sylves, ces "poèmes-forêts" qui virent le jour sous la plume de Stace. Mais ici la sylve d'Antonio Carvajal est aussi un lieu propitiatoire, un lieu de nature assiégée, où celle-ci est trahie et soumis à la Parole. Voici un des principaux poètes de la génération de 70 qui nous dévoile une poésie à la fois pleine de baroque et à la fois ludique et cultiste du XVIIème siècle espagnol...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2009
Nombre de lectures 251
EAN13 9782296685383
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0424€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Et de Paroles Nanti

Antonio CARVAJAL


Et de Paroles Nanti


Traduction, introduction et notes :
Ramón Romero Naval
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www. librairieharmattan.com
dififusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-10129-6
EAN : 9782296101296

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Antonio CARVAJAL :
Et de Paroles Nanti, ou l’héritage d’une confession éparse

A mon ami Rafael Campos Blanco,
qui m’a légué l’impérissable …
In Memoriam

Dans certaine œuvre bien connue du Siècle d’Or espagnol {1} , l’on peut voir la Fortune, excédée, accepter une fois encore de graisser sa roue et de la lancer sur terre : le résultat est ce triste tableau du passage du monde comme il va à un monde comme il devrait aller. Car cette « Heure » n’a guère sonné qui viendrait nous ravir la seule chose par laquelle nous tenions à ce « monde », précisément : et c’est bien la Parole, celle dont nous héritons tous pour dire -d’égale façon-le pire et le meilleur, tout de même que des acteurs jouant leur propre rôle sur la scène inverse de la contrefactualité. On parle en effet beaucoup pour dire ce qui n’est pas qui aurait pu être, on porte un masque, une « persona », et l’on parle par sa bouche, on a peur et l’on parle, on est seul et l’on parle, on parle en attendant la fin de la partie. Parfois, de dégoût dans la bouche, on choisit de se taire, et d’ouïr le fracas que fait en nous le silence, nous, corps un beau jour déchus, abandonnés de Dieu et /ou des hommes, légataires de mots désormais vains. Et pourtant on parle encore, obéissant à une loi impitoyable. Nous ne sommes pas encore au bout, il faut parler, nous sommes encore plein de mots, des nantis repus de paroles régurgitées et sans goût, infiniment.
Or, cette loi des hommes est elle aussi tributaire, légataire d’un certain langage. Mais on la dit aveugle. C’est là sa chance, qu’elle ne sache, offusqués ses yeux d’un linge, s’il faut compter avec ou malgré cette Parole dont on a hérité. Et cette loi édicte : tu réaliseras un héritage. A peine le mot a-t-il été prononcé que s’ouvrent les deux portes, closes en temps de paix, du temple de Janus… Et c’est la guerre, la confusion, la solitude, les vestiges… Vestigum : trace de pied … Pasos de un peregrino son errante … {2}
Emboîtant le pas à une infinie lignée de "pèlerins" -dont était Góngora, poète sur lequel nous reviendrons souvent-Antonio Carvajal nous montre, dans ces miscellanées pleines de grâce, la part qui lui a échu en partage de la Parole. Là encore, faut-il se réjouir du legs ou se préparer à s’acquitter des multiples dettes qui vont s’ensuivre ? La première partie de la plaquette a pour titre "Silva de Juegos y de Veras" , Sylve de Jeux et de Vérités (que j’ai traîtreusement traduit par « Florilège du Déduit en Trompe-l’œil »). Ce peut être un aveu. Et d’abord, qu’il ne faut pas s’y fier : "juegos", c’est aussi l’habileté -d’où le trompe-l’œil-dont fait montre un escamoteur – autrement dit celui qui retire quelque chose du droit chemin, qui tire amusement – d’où le « déduit »-à le faire déchoir, ou « déduire » ; quant à "de veras", quel crédit accorder à une vérité qui "joue" à la fois sur l’ubac et l’adret, telle une capricieuse -bien qu’"illustre" (esclarecida) -lumière, dont on ne sait pas vraiment, de source sûre, quel astre la distille. Ensuite, que sous la sylve de Stace couve peut-être le lumignon grenat de Góngora, et que la nature oblative de Lucain, pas si lointaine, certes, peut recéler une sève autrement subtile et pervertie , soit renversée , telle cette "sincère face/ Renversée à l’abri de la face qui ment" dont parlait Baudelaire…
Antonio Carvajal choisit de commencer par nous donner une leçon exemplaire de distinction : Art Poétique, sorte de composition héraldique qui réunit les caractéristiques du blason : synthèse de concision, d’expression et d’esthétique, répondant au besoin ( menester) fondamental d’une perception a priori sans équivoque et d’une compréhension rapide. L ’Art Poétique de Antonio Carvajal définit moins qu’il ne distingue. Concis et insolent, il est le parfait pendant du dernier poème, au titre résolument descriptif : Où l’on évoque le tableau de Murillo représentant la visite de l’enfant à Saint Antoine de Padoue. Si dans ce dernier poème Antonio Carvajal rend la lumière – le Verbe-tangible l’espace d’une coïncidence entre deux corps -dont on ne sait, de celui du Saint ou de l’Enfant, lequel recèle davantage la Lumière et sa volition-, le premier texte, lui, rend compte d’une déhiscence qui aboutit au même résultat : le désir, la volonté que la lumière -ou que la parole-soit, et qu’elle soit contradictoire :


que la parole soit
comme la lune,
(…)
Que la parole soit
ponctuelle comme le soleil
(…)
que la parole possède
la lune, le soleil aussi bien :
agile sa lumière sacrée,
versant le sang son coeur.


Le blason et le tableau. Le geste intemporel de l’ordre, et l’écoulement, le "fluide" de la narration. Le signe de "reconnaissance" (notons au passage que c’est là le terme employé en héraldique pour désigner les signes composant les armoiries), le cri de guerre et de ralliement, d’un côté, et, de l’autre, la reconnaissance intime, le "partiment" d’amour où chaque "moitié" accomplit son bout de chemin :

Un rai de lumière t’amenait jusqu’à moi ,
et vers toi m’élevait l’amour : tous deux si près ,
toi mi-descendu, pour ainsi dire en arrêt ,
moi suspendu, évoluant dans la joie.

Amusons-nous un peu : entre un blasonnement qui nous proposerait, par exemple, un écu parti de sable et d’argent au coeur de l’un en l’autre et accosté d’un soleil et d’une lune d’or, et un tableau de Murillo représentant Saint Antoine de Padoue visité par un enfant, Antonio Carvajal nous décline différentes "voix" de succession. Il est vrai que la sylve -le florilège-permet le mélange ; à nous d’en ouïr le fracas ou l’harmonie… Mais nous nous y "reconnaîtrons" toujours, pourvu qu’il y ait héritage, passation de pouvoir, de Parole, de flamme :

"agnosco veteris vestigia flammae",

se réjouit d’écrire un Virgile. Je reconnais la trace de mon ancienne flamme…

Nous parlions plus haut d’"emboîtage de pas" et insinuions le visage retranché de Góngora, ainsi que les pas d’un pèlerin errant :

"Pasos de un peregrino son errante "

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