Fulgurances
119 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Fulgurances , livre ebook

-

119 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

La voix d'Ahmed Ben Dhiab possède le clair-obscur des troubadours. Elle s'empare du jardin mais laisse planer le mystère longtemps après. Mais n'est-ce pas là un chant de mystique errant dans cette jungle de signes qui donne à nos cités un air de perdition. Fulgurances est une prise de possession de l'invisible qui fait tant défaut à nos esprits cernés par les mots d'ordre et les images calibrées.
Michel Cassir

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2011
Nombre de lectures 932
EAN13 9782296714366
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Fulgurances
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http:// www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-55200-5
EAN : 9782296552005

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Christine Devic


Fulgurances


nouvelles


L’Harmattan
A mes trois filles
La femme de sa vie
L’ homme à l’imperméable qui prend tous les matins le 36 – un autobus exagérément bondé – et qui, dans l’autobus, lit attentivement, abstraitement une grammaire allemande, est tombé trois fois amoureux au cours de son existence.
La première fois, il avait quatorze ans et devint amoureux de la petite bonne de ses parents dans leur riche propriété de Saint-Vaast en Normandie. C’était la femme de sa vie, pensait-il très sérieusement. Chaque fois qu’il la voyait, il devenait pivoine et elle s’éclipsait joyeuse, riant de son émoi. Les parents s’en étaient aperçus, avaient renvoyé la petite bonne et mis le fils en pension. Il y passa deux années mornes jusqu’à ce que la ruine du père le remît au lycée d’état. Consciencieux, il s’acquitta de son baccalauréat et même de ses classes préparatoires. La première année à Polytechnique, il largua les amarres et eut des maîtresses comme on déguste un fruit. La deuxième année, son professeur de philosophie était une femme, jeune et dynamique, qui les incitait intelligemment à faire des recherches sur ordinateur. Elle était plus âgée que lui. Qu’importe ! Mais elle était mariée à un homme éminent, un avocat très médiatisé qui n’aurait pas voulu voir sa carrière brisée pour une peccadille. Peccadille, l’amour de sa vie ? Mais oui, c’est comme cela qu’elle lui représenta les choses quand dans un grand déchaînement lyrique, il lui avoua son amour et son désir de faire d’elle sa femme. Le cœur déchiré, il y renonça.
Le temps passa. Il n’avait pas été bien classé à Polytechnique et fut embauché comme subalterne. Il était passé de la voiture avec chauffeur, au taxi puis au métro. Cela n’aurait eu guère d’importance s’il ne s’était amouraché d’une secrétaire blonde et glamour comme on en voit dans les magazines et, comme il se doit, amoureuse de son patron. Inférieur hiérarchiquement, il devait reconnaître qu’il l’était aussi physiquement avec son ventre bedonnant et sa calvitie précoce. Cette fois, il aborda la situation philosophiquement et reconnut que la secrétaire était sensée. Mais il décida que ce serait le dernier grand amour de sa vie : à trente-six ans ses espoirs s’en étaient allés avec la femme idéale, il se contenterait d’amitiés viriles et de vagabondages sans conséquence.

Jusqu’à ce qu’un jour, grève de métro, il montât dans le bus 36, 36 comme mon âge, pensa-t-il.
Il découvrit Paris sous un autre jour, cessa de n’en connaître que les souterrains et se délecta à l’idée de pouvoir enfin revivre les saisons. Son entreprise ouvrant une succursale en Allemagne, il profitait des jours où le bus bondé ne lui permettait pas de voir le paysage pour réviser sa grammaire allemande. Peut-être serait-il nommé outre – Rhin, promu à un grade plus honorifique, et ses secrétaires seraient-elles amoureuses de lui.

Il rêvassait ainsi sur son Gougenheim quand monta dans le bus une petite brunette, toute potelée et bien dégourdie qui, malgré la foule, ne tarda pas à se trouver une place. Justement celle en face de lui dans le sens inverse de la marche du bus. Pris d’un subit désir de galanterie, il proposa d’échanger leur place. Elle serait ainsi dans le bon sens. Mais la jeune femme n’en avait cure. Elle se cala contre son dossier, posa son sac à main sur ses genoux et en sortit un Celan dont l’aspect montrait qu’il avait été beaucoup lu et relu. Elle s’absorba dans sa lecture, lui contemplait les boucles brunes qui faisaient un halo autour de son visage. Il fallut un fort coup de frein pour que le livre s’échappât des mains de la jeune femme. Il plongea immédiatement sous le siège et dit en le lui tendant :
Fort mais un peu dur.
Certainement, dit-elle tout en le remerciant. Il ne faut pas chercher du mièvre dans Celan.
Il se jeta derechef dans la brèche ainsi ouverte.
Ce que je préfère chez Celan, c’est La Rose de Personne.
Et il voulait commencer un discours sur le non-être chez cet auteur quand il se rappela que la métaphysique lui avait valu bien des déconvenues. Alors il se contenta de dire :
La traduction n’est pas mal, n’est-ce pas ? d’autant qu’elle n’est pas facile. Celan a de ces trouvailles !
Trouvailles, vous appelez cela trouvailles, s’exclama-t-elle. Appeler trouvailles de pures créations poétiques !
Les yeux bruns lançaient des éclairs.
Encore une bévue, pensa-t-il. Il se rabattit sur l’aspect extérieur du recueil :
Vous avez dû beaucoup l’aimer et le méditer. Vous êtes professeur de philosophie ?
Cette fois, les yeux pétillèrent :
Si le livre est vieux, c’est que j’ai pris tout Celan en occasion sur Price Minister. Quant à mon métier, je suis bonne à tout faire.
Les yeux étaient toujours aussi gais. Il ne put s’empêcher de sourciller. Son visage avait sans doute l’air d’un point d’interrogation car elle ajouta :
Je suis secrétaire médicale, ce qui revient au même. Je range les ustensiles, tiens en ordre le carnet de rendez-vous et la salle d’attente, réponds aux appels téléphoniques, recueille les remontrances des patients, essaie de combler les retards, de réparer les oublis, de consoler les déprimés… Vous voulez que je continue ?
Non, bredouilla-t-il, vous avez beaucoup de travail, je comprends.
Il admirait ses genoux pointus qui dépassaient juste dessous la jupe. Pendant qu’elle parlait, il constatait que son tailleur avait la couleur des feuilles d’automne. Il repensa à Justine, son premier amour. Elle aussi avait cet air enjoué qui ne la quittait pas. Elle aussi posait sur ses genoux le travail qu’elle avait à faire dans la cuisine. Quelle différence entre les poulets à la tête tranchée que Justine devait plumer et les fleurs retournées au néant d’un poète allemand ? Mais je divague. C’est cette cohue qui me fatigue. Voyons plutôt son décolleté. La poitrine est bien ronde et bien ferme. Il n’y a que le livre qui défaille. Usure du livre, usure du temps. J’ai déjà trente-six ans. Et si, pour une fois, je renouais la conversation. Oui, mais parler de quoi ? De la foule, mais le bus est ainsi bondé chaque matin. Du temps qu’il fait, c’est médiocre pour quelqu’un qui lit Celan même en occasion. Du dernier amour de Sarkovsky. Hum ! Sujet scabreux et ce n’est pas une midinette. Il ne semble tout de même pas que la presse people soit au chevet de son lit. Je vais évoquer le film qui doit sortir demain et dont on parle depuis trois semaines.
La brunette était replongée dans son livre. Il ne se présentait pas de raison particulière pour l’en sortir. Il toussota, se trouva ridicule, eut l’impression d’être un personnage de vaudeville et reprit conscience de son âge. Certes, pour ses vingt ans, il devait être un vieux chauve, en complet gris rase-mur, un Gougenheim à la main dont les déclinaisons ne sont pas particulièrement folichonnes. Il fallait tout reprendre depuis le début et réviser son vocabulaire. Le temps pressait car l’arrêt où il descendait approchait. Mais le début se situait où exactement ? Retenter Celan était risqué, l’usure du livre, goujat et son métier… Il devait bien y avoir des aspects positifs. Il bafouilla quelque chose d’incompréhensible qui sembla être une apparence d’intérêt pour la question.
Oh, oui ! Il y a ceux qui me remercient de les avoir pris en urgence, les habitués qui m’appellent par mon prénom. Cécilia, je m’appelle Cécilia et vous ?
Misère, il n’avait pas pensé à cela. Il savait que son prénom était redevenu à la mode mais il en demeurait complexé.
Je m’appelle Jules, comme Jules Romains puisque vous aimez la littérature.
Ça n’a pas dû être facile, ce prénom quand vous étiez petit.
Elle compatissait, c’était toujours ça.
Mais on ne pouvait en rester au prénom. Il commençait à craindre l’arrêt où elle pourrait descendre et à désirer plus que de la compassion d’autant que ses bottines, qu’il n’avait pas remarquées tout d’abord, étaient à la dernière mode, presqu’à la poulaine et lui allaient à ravir, mettant en évidence la minceur de ses chevilles et le dodu du mollet. Avec ces bottines-là, elle devait être au courant du film que tous les critiques encensaient. Il ne fallait pas qu’il lui donnât l’impression d’être aussi vieillot que son prénom ou son

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents