Introduction à Moi, laminaire... d Aimé Césaire
280 pages
Français

Introduction à Moi, laminaire... d'Aimé Césaire , livre ebook

280 pages
Français

Description

"En 1982, Aimé Césaire fait paraître, ce qui sera son dernier recueil de poésie publié : Moi, laminaire... Cet ensemble en trois parties, constitue à maints regards, un bilan de son oeuvre poétique et de sa confrontation à la vie et à l'histoire. Un bilan souvent désenchanté, même s'"il n'est pas question de livrer le monde aux assassins de l'aube". Les textes du recueil qui les rassemble dans un désordre lui-même battu par le vent et les vagues ont été écrits sur une période de quinze ans. Mamadou Souley Ba, René Hénane et Lilyan Kesteloot (dépositaire d'une vingtaine de poèmes) manuscrits, ont reconstitué la genèse de Moi, laminaire." Jean-Pierre Orban

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Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2012
Nombre de lectures 81
EAN13 9782296507166
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

chahuté par les combats parfois illusoires comme par le Lot et le ressac de la mer
M. Souley Ba, René Hénane et Lilyan Kesteloot
Introduction àMoi, laminaire... d’Aimé Césaire
Édition critique
Introduction àMoi,Oaminaire… d’Aimé Césaire
© L'HARM ATTAN, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique, 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-96639-0 EAN : 9782296966390
M. Souley BA, René HÉNANE et Lilyan KESTELOOT Introduction
àMoi,Oaminaire…
d’Aimé CésaireÉDITION CRITIQUE
L’HARMATTAN
1 AVERTISSEMENT
Lorsque trois chercheurs se sont penchés durant plusieurs années sur l’œuvre d’un poète, et lorsqu’ils se réunissent pour en élucider une partie, et singulièrement son dernier recueil, il n’est pas surprenant que chacun d’eux en ait une perception qui lui est propre. On ne s’étonnera donc pas que ces différences d’interprétation, comme de la façon d’en parler, apparaissent dans les textes qui introduisent à la poétique de Césaire et aux poèmes deMoi laminaireMais différences ne sont pas contradictions. Ce sont des manifestations plutôt de nos personnalités, de nos visions personnelles, qui nous ont fait privilégier telle ou telle tendance profonde d’une œuvre si riche qui les transcende toutes.
REMERCIEMENTS
Toute notre gratitude àPierre Brunelet àDanielMaximin
Le traitement, la mise en page et les transcriptions diplomatiques des manuscrits sont dus à la compétence et la gracieuse collaboration de Dominique Rudelle. Nous sommes profondément reconnaissants àLou Laurin-Lam etHeskil Lamnous permettent gracieusement de reproduire les sept eaux-fortes qui deWifredo Lam,Annonciation. Nous remercionsJean-Pierre Orbanpour ses conseils et sa relecture des textes etChekib Abdessalampour son assistance technique éclairée.
1  Les définitions des mots, en notes de bas de pages, sont extraites de : René Hénane, Glossaire des termes rares dans l’œuvre d’Aimé Césaire, Éditions Jean- Michel Place, 2004.
INTRODUCTION
… où le phénix renaît de la plus haute flamme qui le consume… (Spirales, Ferrements)
2 Les mille morts du phénix ’écriture poétique d’Aimé Césaire convoque sans fin le réel historique L placé tout entier sous le signe du chaos en ajuste les fragments, en combine les éclats à la recherche d’un modèle d’interprétation susceptible de rendre compte du pourquoi et du comment de ce procès manqué, de ce piétinement catastrophique et leurrant, faux devenir en somme, afin de permettre de penser la catastrophe autrement que comme catastrophe. Celle-ci ne signifie pas autre chose, mais signifie autrement. C’est une stratégie du signe dont il s’agit, sans laquelle et sans la mise en œuvre de laquelle par un sujet d’énonciation il n’a point d’historicité. Car l’Histoire est texte, et elle s’accomplit au milieu du signe. Lire, c’est alors s’ouvrir à sa propre historicité en rejoignant le dynamisme herméneutique d’un texte devenu milieu d’interprétation dans lequel le décryptage des signes d’histoire et l’exégèse des signifiants textuels se spécularisent, par mise en abîme réciproque.
Appel à l’herméneutique que cette présence allusive, mais insistante de traits mythistoriques référant à des figures hétérogènes (Prométhée, Orphée, Christophe, Lumumba, Christ, Caliban, Phénix, Louis Delgrès, etc.), mais qui, passant les uns dans les autres à travers tout un système de correspondances isotopiques, de symétries et de parallélismes, réunissant ensemble les conditions d’allégorisation de l’Histoire. Ces traits mythistoriques qui courent tout le long du texte, l’écriture poétique les entrelace inextricablement, non pour développer... leurs figures respectives mais l’infinité de figures ou de modes de la même rencontre du Sens et de l’Histoire. Le texte évoque et invoque ces personnages mythistoriques, leur confère l’aura qui les constitue en « répondants allégoriques » de la parole interpellante : du meneur de cœur du briseur de l’enfer(Statue de Lafcadio Hearn,Ferrements).
Ceux qui, exposés aux coups du sort, ont dû dans l’adversité absolue, au sein de la plus insupportable dissymétrie, reconquérir ce qui, en eux, est plus qu’eux-mêmes, maintenant envers et contre toute l’exigence du Sens, deviennent l’incarnation matinale de ce mouvement de reprise du sens qui est l’objet du texte poétique. La parole poétique plonge du côté de la perte, mais pour permettre d’y faire face. La pulsation poétique est déjà ébranlement, résistance au tragique, si bien qu’un texte césairien ne s’épuise jamais en une exténuation immobile d’un procès homogène, simple enregistrement d’un réel sans 2 Les citations d’Aimé Césaire sont en caractèresitaliques.
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dépassement, mais impulse toujours vers un au-delà du tragique, ce qui l’amène à se disposer constamment comme un lieu vers lequel convergent des événements opposés et au contact duquel ils trouvent leur champ allégorique. Chaque poème est agencement d’une dialectique en attente, c’est-à-dire est la construction hypothétique d’une structure ascendante qui pose la valeur à l’autre extrême ; par là, forfait historique est 3 irréversiblement intriqué à l’ascension de la liberté . Ce n’est pas tant cependant le retournement des rapports de forces qui importe que l’annonce d’un sens à venir et sens d’autant plus espéré qu’il est improbable. Le poème ne parle pas au nom du présent, ni même de l’immédiat avenir de l’action, mais au nom d’un temps qui les déborde tous et à partir duquel s’éclaire l’intelligibilité générale de l’Histoire. L’essence entière du texte se recueille alors dans le jeu splendide de l’anamorphose, cette superposition incessante du non-encore-advenu et du déjà advenu consacrant l’abolition du temps dans l’absolu d’une écriture au sein de laquelle le passé contient toujours le futur, qui lui-même le contient déjà, et permet l’accès à ce poste suprême d’où l’Histoire, juge l’histoire :
là l’origine des temps là la fin des temps(À hurler, Soleil Cou Coupé).
De cette position de surplomb, d’où se récapitule le point de vue superlatif de l’Histoire sur elle-même, il n’est de signe opaque qu’en attente du sens qui lui manque et qui est susceptible de se retourner en révélation : il n’est point de chute sans possibilité de rédemption, point de péril sans sa promesse de salut, point de déchirement du vécu qui ne soit occasion de réunification. (La relève imminente et légitime,Moi laminaire...). Chaque signe d’Histoire apparaît frappé du sceau de la réversibilité et de la conversion, et, dans son éclat double, s’inscrit et inscrit le texte dans un autre tour. Le lecteur se découvre prophétisé par un poème qui lui fournit en accéléré le mode de lecture de l’Histoire : à lui de tout remettre en perspective en généralisant à toute l’Histoire ce principe de double circulation du sens qui enjoint de percevoir sous chaque signe l’indication critique d’un sens supplémentaire à découvrir, et grâce auquel les aberrations de l’Histoire, ses leurres et ses apories, l’énigme de ses injustices sont renversées et directement réinscrites dans un autre système signifiant.
3 cf. …et les ressacs abyssaux nous ramènent / dans un paquet de lianes / d’étoiles et de frissons(Spirales, Ferrements) un enfant entrouvrira la porte(En vérité, Ferrements) tâtant le futur de nos gueules claquantes de bouc émissaire(Le bouc émissaire, Soleil cou coupé)splendides nous font un toit(Maison-Mousson, Ferrements).
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La parole prophétique, Blanchot l’a noté, n’est pas simplement celle qui dit l’avenir, mais a partie liée constitutivement avec un principe 4 d’interruption : elle ne dit pas seulement la nécessité de secouer l’anankede l’Histoire pour en réveiller un autre cours, mais plus fondamentalement, comme coupe dans le temps et saut hors du temps, elle exemplifie en permanence ce miracle vivant du futur antérieur, miracle d’un procès selon le mode entièrement paradoxal d’une antériorité à venir et dans lequel se construit tout le programme de réinstauration du sens. Ce qui a eu lieu une fois ne cesse pas d’avoir lieu :
… et le tumulte debout dans l’ombre des oreilles aura vu pour une fois sur la blancheur du mur gicler la noirceur de ce cri sans oubli (Viscères du poème,Ferrements).
L’avenir doit se replier voluptueusement sur le passé. D’où ces stupéfiantes prophéties du passé (comme dans le poème intituléAn neuf. Soleil Cou Coupé) que le lecteur doit écouter se dérouler en lui, non pas comme une simple réminiscence, mais comme garantie et préfiguration de l’avenir. Il y est dit que si le cours des choses est un contresens, il nous est imparti de parier contre lui. Le texte césairien, qui s’ordonne presque spontanément en parcours dialectique, rompant sans cesse toute menace d’immobilité de son développement pour se convertir en itinéraire où apparaissent les différents moments de l’avenir, est la reconduction indéfinie de ce pari en faveur du Sens. Il appartient au lecteur de décider, ici et maintenant, à même le texte, de la suite narrative qu’exige l’Histoire, il lui appartient de prendre le parti de la résurrection de l’inaccompli ; charge à lui, pour « qu’enfin l’avenir commence » (Moi laminaire...), de s’identifier à l’étoile neuve qui déjoue le fatumqui se marquait dans les astres ;
…une étoile de toujours se lève grand erre et sans laisser de lie s’éteint pour mieux renaître au plus pur…(Viscères du poème,Ferrements).
Tel est le sens du «phénicisme» de Césaire : à reprendre sans cesse les signes morts à l’Histoire pour les livrer au libre jeu de l’immémorial, à devoir mourir soi-même sans cesse à une Histoire arrêtée et close pour ressaisir une image de soi dans l’ordre des surgissements ; le lecteur à son tour se découvre en permanence comme acteur du drame exposé dans le poème et, comme tel, contraint d’en capter l’«energeia» (en son sens
4 Ananké : mythologie grecque, Ananké, déesse du Destin, de la fatalité, de la nécessité. Mot gravé sur l’un des piliers de la cathédrale, dans le roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris.
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