Psychogéographie ! - Poétique de l’exploration urbaine
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Description

Poétique de l'exploration urbaine !


Depuis le flâneur des villes jusqu’à l’explorateur de salon, de la dérive au détournement, la psychogéographie nous procure de nouvelles manières d’appréhender notre environnement, des méthodes pour transformer les rues familières de notre expérience quotidienne en quelque chose de nouveau et d’inattendu.



Depuis Guy Debord et les situationnistes jusqu’à Jacques Réda, Iain Sinclair ou Will Self, en passant par Stevenson, Baudelaire, Léon-Paul Fargue ou Jacques Yonnet, nombreux sont les adeptes de la psychogéographie qui ont couché par écrit leurs errances et leurs explorations urbaines. Londres et Paris sont les territoires privilégiés de la psychogéographie, mais celle-ci peut se pratiquer tout aussi bien à New York ou à San Francisco, à Lisbonne ou à Bruxelles.

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Publié par
Nombre de lectures 3
EAN13 9782361831455
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Psychogéographie Poétique de l’exploration urbaine
Merlin Coverley
Traduction de André-François Ruaud © 2011-2013Les Moutons électriques ConceptionMergey CD&E Version 1.0.2 (06.01.2018) Ouvrage réalisé avec le soutien duCentre national du Livre
Depuis le flâneur des villes jusqu’à l’explorateur de salon, de la dérive au détournement, la psychogéographie nous procure de nouvelles manières d’appréhender notre environnement, des méthodes pour transformer les rues familières de notre expérience quotidienne en quelq ue chose de nouveau et d’inattendu. Depuis Guy Debord et les situationnistes jusqu’à Jacques Réda, Iain Sinclair ou Will Self, en passant par Stevenson, Baudelaire, Léon-Paul Fargue ou Jacques Yonnet, nombreux sont les adeptes de la psychogéographie qui ont couché par écrit leurs errances et leurs explorations urbaines. Londres et Paris sont les territoires privilégiés de la psychogéographie, mais celle-ci peut se pratiquer tout aussi bien à New York ou à San Francisco, à Lisbonne ou à Bruxelles. Cet ouvrage conduit le lecteur à travers l’histoire et les processus de la psychogéographie, en offrant à la fois une explication et une définition des termes concernés, et une analyse des figures et œuvres clefs de ce mouvement. Avec la collaboration d’Olivier Bailly, Julien Bétan, David Calvo, Raphaël Colson, Guy Darol, Damien Dion, Sara Doke, Patrick Marcel et André-François Ruaud. Traduction et adaptation d’André-François Ruaud
Introduction
« Psychogéographie : un guide pour débutant. Déplie z un plan des rues de Londres, placez un verre, renversé, n’importe où sur la carte, et tracez un cercle sur son bord. Prenez le plan, s ortez en ville et marchez le long du cercle, en restant le plus près possible de sa circonférence. Tout en la vivant, enregistrez cette expérience, sur les supports ayant votre préférence : film, photographi e, manuscrit, enregistrement audio. Saisissez le fil de la plume textuel de la rue ; les graffiti, les déchets de marque, les bribes de conv ersation. Coupez pour dégager les signes. Enregistrez le flot de don nées. Soyez attentifs au passage des métaphores, cherchez les rythmes vis uels, les coïncidences, les analogies, les ressemblances de f amille, les changements d’humeur de la rue. Bouclez le cercle, et l’enregistrement se termine. M archer crée le conten u ; les pas font le reste. »
? Robert McFarlane, « A Road of One’s Own », inTimes Litterary Supplement, 7 octobre 2005
Psychogéographierangement, car, en. Un terme qui est devenu étrangement familier — ét dépit de la fréquence de son usage, personne ne sem ble capable de vraiment définir ce qu’il signifie ni d’où il provient. Les noms sont familie rs eux aussi : Guy Debord et les situationnistes, Iain Sinclair et Peter Ackroyd, Ja cques Réda et Will Self. Sont-ils tous impliqués ? Et si oui, dans quoi ? Parlons-nous d’u n mouvement à prédominance littéraire ou d’une stratégie politique, d’une série d’idéesnew-age ou d’un ensemble de pratiques avant-gardistes ? La réponse, bien sûr, est que la psychogéographie recouvre toutes ces choses et bien d’autres encore, qu’elle résiste aux définitions à travers une série mouvante de thèmes interconnectés, constamment remodelés par ses praticiens. Les origines du terme ne sont pas trop obscures et peuvent être situées au Paris des années 1950 et aux lettristes, un mouvement annonciateur du situationnisme. Sous la direction de Guy Debord, la psychogéographie devint un outil pour tenter de transformer la vie urbaine, tout d’abord pour des raisons esthétiques puis plus tard avec des visées de plus en plus politiques. La « définition » souvent répétée de Debord pour la psychogéographie décrit «l’étude des lois exactes, et des effets précis du milieu géographiqu e, consciemment aménagé ou non, agissant 1 directement sur le comportement affectif des indivi dus ». En termes plus larges, la psychogéographie est, comme son nom le suggère, le point où la psychologie et la géographie entrent en collision : un moyen d’explorer l’impact de l’espace urbain sur le comportement. Et pourtant ce terme conserve, selon Debord, «un assez plaisant vague ». C’est aussi bien car, depuis son époque, le terme a été si largement acca paré et utilisé comme support d’un si affolant éventail d’idées qu’il a perdu beaucoup de sa signification d’origine. Debord était férocement protecteur du bébé qu’il avait imaginé et rejetait toute tentative d’établir la psychogéographie dans le contexte des précédentes explorations de la ville. Mais la psychogéographie n’a pas permis qu’on la réduise à une époque et à un endroit particuliers. En échappant à l’orthodoxie rigide du dogme situationniste de Debord, elle a non seulement
suscité un regain d’intérêt à notre époque, mais a de plus trouvé une validation dans des traditions culturelles qui précédent sa conception « officielle » de plusieurs siècles. Dans un ouvrage de cette taille, il semble nécessaire d’offrir une introduction et un panorama du sujet traité, plutôt que d’en offrir une analyse exhaustive. De plus, ceux qui chercheraient un examen méticuleux des idées psychogéographiques dans les strictes limites du schéma de Debord risquent d’être déçus. Nous allons parler des origines et du soubassement théorique du terme mais, à notre avis, il sera bien plus intéressant de faire l’examen de la tradition littéraire que les idées psychogéographiques ont engendrée, et à laquelle elles peuvent être clairement rattachées, plutôt que de suivre un débat trop souvent stérile. Au-delà de tout ceci, nous avons élargi l’horizon de ce volume afin d’inclure quelques autres idées, distinctes mais proches de la psychogéographie. Il sera ainsi question ici non seulement de la déambulation urbaine, mais aussi des figures du voyageur mental, du flâneur et du vagabond. L’approche rigoureuse et scientifique des situationnistes sera supplantée par les méthodes ludiques et subjectives des surréalistes. Des figures clefs durevivalpsychogéographique, telles que Iain Sinclair et Jacques Réda, seront précédées par leurs ancêtres souvent non reconnus, depuis Blake et De Quincey jusqu’à Baudelaire et Benjamin. Car il peut être ut ile de voir la psychogéographie moins comme le produit d’un temps et d’un lieu particuliers que comme le point de rencontre d’un certain nombre d’idées et de traditions dont les histoires s’entrelacent. Dans une large mesure, cette histoire des idées est aussi le conte de deux cités, Londres et Paris. Aujourd’hui, les groupes et les sociétés psychogéographiques (dont beaucoup sont listés en annexe de ce livre) opèrent dans le monde entier, mais les thèmes dont s’occupe notre étude s’éloignent rarement de ces deux lieux. La raison pour laquelle la psychogéographie semble souvent si nébuleuse et si résistante aux définitions est qu’elle paraît abriter de nos jours quantité d’éléments apparemment sans rapport entre eux ; et que cependant, au sein de ce mélange d’idées, d’événements et d’identités, un certain nombre de caractéristiques prédominantes pe uvent être dégagées. La première et principale de celles-ci est l’activité de marcher. Le marcheur, le flâneur, le promeneur, le traqueur — les noms peuvent bien changer mais, depu is les expéditions nocturnes de De Quincey jusqu’aux errances surréalistes de Breton et Aragon, depuis la « dérive » situationniste jusqu’aux expéditions héroïques de Iain Sinclair, l’acte de marcher est toujours présent dans cette pratique. Cette marche est une affaire urbaine et, dans des villes qui deviennent toujours plus hostiles au piéton, elle devient inévitablement un acte de subversion. Marcher est vu comme contraire à l’esprit de la cité moderne, avec sa promotion de la circulation rapide, et le regard à niveau de rue que la marche requiert permet de défier la représentation officielle de la ville, en coupant au travers des itinéraires établi s et en explorant des zones marginales et oubliées, qui souvent échappent à l’attention des u rbains. Ainsi, l’acte de marcher se rattache à une caractéristique politique de la psychogéographi e : son opposition à l’autorité. Un radicalisme qui n’est pas confiné aux manifestations du Paris des années 1960, mais que l’on retrouve aussi bien dans l’esprit de rébellion qui animait Defoe et Blake, que dans la critique haute et claire de la politique municipale londonienne que peut mener dans ses œuvres un psychogéographe contemporain comme Iain Sinclair. Aux côtés de la marche et de cet esprit de radicali sme politique, la psychogéographie fait montre également d’un sens ludique de la provocatio n et de la farce. Ayant des racines dans les activités avant-gardistes des dadaïstes et des surréalistes, la psychogéographie et ses praticiens ont tissé toute une tradition d’humour ironique, qu i forme souvent un salutaire contrepoint au sérieux pesant et angoissant de certaines de ses proclamations. Si la psychogéographie doit se comprendre de manièr e littérale en tant que point où la psychologie et la géographie se superposent, cela signifie qu’une autre de ses caractéristiques peut être identifiée dans la recherche de nouvelles manières d’appréhender notre environnement urbain. La psychogéographie cherche à dépasser le processus de « banalisation », par lequel l’expérience quotidienne de ce qui nous entoure sombre dans une triste monotonie. Les auteurs
et les œuvres dont nous allons parler partagent tou s une perception de la ville comme site de mystère, et cherchent à révéler la vraie nature de ce qui se cache sous le flux de tous les jours. L’idée d’une vie urbaine essentiellement mystérieus e et impossible à connaître immédiatement se prête à des représentations gothiques de la ville, et la tradition littéraire des écrits de Londres constitue l’une des prémices de la psychogéographie. Une tradition qui inclut des écrivains tels que Defoe, De Quincey, Robert Lo uis Stevenson et Arthur Machen, peintres d’un tableau uniformément sombre de la ville comme lieu de crime, de pauvreté et de mort. De fait, le crime et la mauvaise vie en général demeur ent une constante de l’enquête psychogéographique, et la renaissance récente de la psychogéographie est soutenue par une résurgence similaire des formes gothiques. Sinclair et Ackroyd sont d’excellents représentants de cette tendance à dramatiser la ville comme le lieu d’un imaginaire sombre. En France, un auteur comme Jacques Yonnet s’évertua à débusquer le merveilleux et le surnaturel derrière les apparences du vieux Paris. Cette obsession de l’occulte s’allie avec un « esprit antiquaire », qui considère le présent à travers le prisme du passé. Ainsi, une certaine recherche psychogéographique mettra en contraste un mouvement horizontal au travers de la ville avec une descente verticale dans son passé. Le résultat est qu’une majeure partie de la psychogéographie contemporaine s’approche autant d’une forme d’histoire locale que d’une enquête géographique. Nous ajouterons enfin que la psychogéographie entretient fréquemment des rapports avec la poésie : « poétique de la ville », comme l’aurait dit Pierre Sansot, la psychogéographie trouve le plus souvent à s’exprimer par écrit sous la form e d’une prose poétique. Et, à l’inverse, souvent la poésie, lorsqu’elle veut exprimer l’exis tence urbaine, s’approche de la psychogéographie. Tels sont donc les courants principaux dont s’occupe la psychogéographie et que révèlent les traditions esquissées dans ce livre : l’acte de l’errance urbaine, l’esprit du radicalisme politique, alliés à un sens ludique de la subversion et gouver nés par une enquête sur les méthodes par lesquelles nous pourrions changer notre relation à l’environnement urbain. Le projet psychogéographique est également teinté d’occulte, et il déterre le passé pendant qu’il enregistre le présent. En délimitant ces thèmes et les traditions qui les supportent, cet essai va brosser une histoire des idées psychogéographiques et les ordonner chronologiquement. Nous clorons donc par la période présente, avec ces quelques écrivains et réalisateurs qui ont restauré avec succès la psychogéographie dans la position dominante dont elle bénéficie maintenant — mais débuter, en revanche, s’avère chose plus problématique. Nous avons fait le choix de placer la psychogéographie dans une tradition essentiellement littéraire et, dans ce contexte large, l’examen des relations entre la cité et ses habitants peut sembler aussi vieux que le roman lui-même. Ainsi existe-t-il dans les lettres anglaises, et plus particulièrement dans les écrits de Londres, une tradition visionnaire qui se trouve bi en représentée par le motif du voyage imaginaire, un voyage qui redessine et réinvente les contours du labyrinthe urbain, enregistrant des observations sur les rues de la ville au fur et à mesure qu’il les traverse. Les premiers exemples de cette tradition constituent, en fait, des sortes de panoramas psychogéographiques fondateurs de la ville, et le premier d’entre eux fut conduit par un pionnier du roman de langue anglaise, Daniel Defoe. La contribution de Defoe à l’histoire de la psychog éographie est double. D’un côté son romanRobinson Crusoépropulse un personnage qui, depuis, a non seulement hanté l’histoire du roman lui-même, mais a aussi croisé très curieusement l’évolution de la psychogéographie. Comme nous le verrons, la figure de Robinson lie Defoe à Rimbaud et au flâneur, aussi bien que de plus récentes incarnations du promeneur urbain, dans les films de Patrick Keiller. Mais d’un autre côté, c’est dans sonJournal de l’année de la pesteque Defoe propose un prototype du rapport psychogéographique et, ce faisant, établ it Londres dans le rôle du lieu psychogéographique le plus marquant.
La reconstitution par Defoe de l’année de la peste 1665 fut écrite en 1722, soit quelques soixante ans après les faits. Elle décrit Londres comme un labyrinthe impossible à connaître, un schéma de cette ville qui servirait de base pour les représentations gothiques ultérieures. Afin de naviguer avec succès dans une telle cité, il convient d’en composer une carte mentale qui puisse être transposée sur ses contours physiques, mais cette composition mentale est disloquée par l’avancée de la peste, rendant une topographie familière soudain étrange et menaçante. De cette manière, Defoe annonce la reconstruction subjective de la ville dont les situationnistes allaient faire la promotion, et sa figure d’un promeneur urbain qui se déplace sans but dans la cité avant de mettre au propre ses observations, est depuis devenue un élément crucial de la pratique psychogéographique. Defoe a inauguré la tradition des écrits de Londres dans lesquels la topographie de la ville est redessinée à travers la force imaginative de l’écri vain. Peter Ackroyd a décrit une branche visionnaire de la littérature anglaise, dans laquel le Londres est recouverte par le travail fictionnel et poétique de figures successives, créant des motifs de continuité et de résonnance qui peuvent être discernés par ceux qui se trouvent en harmonie avec les rythmes éternels et inamovibles de cette cité. Ces « visionnaires cockn eys » sont par conséquent capables de reconnaître les sites de résonnance psychique et chronologique, et ils peuvent aligner ces points de manière à redessiner la carte de la ville. Ailleurs, cette perception selon laquelle un paysage éternel forme le soubassement du nôtre a également été nomméegenius loci, l’esprit du lieu. Il s’agit d’une sorte de conscience historique qui met à jour la connexion psychique des paysages tant urbains que ruraux. Dans sa reconnaissance de ces résonnances, Defoe est suivi par William Blake, dont la poésie célèbre la cité spiri tuelle située sous la nôtre, cette Nouvelle e Jérusalem dont il identifie les coordonnées dans les artères de la ville du XVIII siècle. La vision de Blake trouve ses racines dans ses errances de par les rues, dans son appréciation de l’évidence éternelle du familier et des expériences toujours identiques de ses habitants. Blake, comme Defoe avant lui, lie le sens du visionnaire a vec la voix de la dissidence, sa poésie interrogeant autant les systèmes politiques qu’inte llectuels de son temps, et faisant la promotion du personnel et du subjectif contre les m odes de pensée dominants, mécanisés et systématiques. Car, si la Nouvelle Jérusalem doit être établie, elle doit être précédée par le renversement révolutionnaire et la destruction des structures du pouvoir de l’époque. Cet appel au renouvellement par la révolution deviendra la marque du situationnisme plus de deux siècles plus tard. Si Defoe et Blake donnèrent aux idées psychogéographiques leur premier élan, c’est Thomas de Quincey qui s’impose comme leur premier utilisateur. Les errances intoxiquées du jeune De Quincey à travers Londres anticipent la dérive sans but et la festivité créative des expérimentations surréalistes et situationnistes. D e Quincey est le prototype même du psychogéographe, son errance obsessionnelle lui pro curant une nouvelle compréhension de la vie urbaine et lui donnant accès à la communauté invisible des marginaux et des dépossédés. Pour De Quincey, la ville devient une énigme, un puzzle qui rend encore perplexes les écrivains et les marcheurs aujourd’hui, et il fonde une visio n de la cité qui sera rejouée par des adeptes plus tardifs du gothique urbain, tels que Robert Lo uis Stevenson et Arthur Machen. Ces auteurs prolongent la tradition de l’écrivain en tant que « marcheur » établie, au moins dans sa forme urbaine, par De Quincey. Ils présentent la ville comme un paysage rêvé au sein duquel rien n’est ce qu’il semble être, et qui ne peut réellement être parcouru que par ceux possédant un savoir secret. Cette image de la ville comme sujet d’un savoir ésotérique et de pratiques occultes est devenue un élément de base des comptes-rendus psychogéographiques contemporains. LeDr. Jekyll et M r. Hydede Stevenson transpose le dédoublement psychologique de son protagoniste sur la topographie de la ville elle-même, sa division mentale trouvant son reflet dans une cité également divisée, dans laquelle la richesse et la respectabilité camouflent l’existence de la pauvreté et de la débauche. Et puis, tandis que Stevenson continue dans la tradition de la ville établie par Defoe, Machen étend le rôle que jouait De Quincey comme vagabond urbain : ses
explorations des limites de la ville le positionnen t comme l’influence directe de psychogéographes contemporains tels que Iain Sinclair et Philippe Vasset. Machen à son tour recherche l’étrange et le surnaturel au sein de notre propre décor — une rue particulière, un événement ou un objet capable de transformer l’envi ronnement le plus ordinaire en quelque chose de fantastique ou de sinistre, révélant le po int d’accès nommé « passage du nord-ouest » par De Quincey, qui procurerait un raccourci vers les domaines magiques s’étendant au-delà du nôtre. Cette branche des écrits visionnaires de Londres se conclue par une personne dont l’influence sur la psychogéographie de nos jours demeure largem ent méconnue. Il faut dire que le livre d’Alfred Watkins,The Old Straight Track, passa complètement inaperçu lors de sa sortie en 1925. Mais, du fait d’un regain d’intérêt amené par l’émergence des idées New Age dans les années 1970, cet ouvrage a acquis une signification occulte à peine justifiée par son texte d’origine. Nous voulons parler de l’étude des « ley lines », ces alignements de sites et d’objets datant de la préhistoire, qui permettent une certai ne interprétation nouvelle des paysages. Watkins appliquait sa théorie surtout aux paysages ruraux, mais il identifiait quelques « lignes » urbaines et c’est ce qui inspira Iain Sinclair lorsqu’il se mit à refaire la cartographie londonienne à travers l’alignement des églises conçues par l’architecte Nicholas Hawksmoor. Telle est donc la tradition visionnaire qui place Londres en son centre et qui est devenue la source d’une bonne partie des idées psychogéographiques d’aujourd’hui. Une tradition locale qui circonvient complètement le travail de Debord et des situationnistes, mais qui démontre clairement une implication dans des idées similaires. Pour autant, notre analyse des concepts de Debord est retardée encore un peu par l’examen d’une autre tradition qui, bien que prenant Paris comme point de départ, n’est pas centrée dans les années 1950 mais un siècle plus tôt. De même qu’il peut être démontré que Londres possède sa propre tradition de marcheurs visionnaires et d’écrivains urbains, il est possible de retracer le développement d’une tradition correspondante de l’autre côté de la Manche. À Paris, la figure du promeneur solitaire qui à la fois prend des notes et devient le symbole de l’éme rgence de la cité moderne, a un nom 2 particulier : leflâneur. Cette figure est devenue source de nombre de commentaires ces dernières années mais, bien 3 que son existence semble annoncer clairement celle de ladériveDebord, situationniste, visiblement anxieux de promouvoir l’originalité de ses idées, en rejeta avec obstination l’influence, qui pourtant aurait conduit à un examen psychogéographique de la vie des rues 4 parisiennes une centaine d’années auparavant . Nous examinerons en détail et dans un chapitre part iculier, le rôle de cette figure, en discutant des œuvres de Baudelaire et de Walter Ben jamin, où cette figure du flâneur commence à être identifiée. Cependant, ces deux écrivains reconnaissent qu’un portrait encore antérieur avait déjà été dressé, celui d’un observateur détaché marchant dans les rues, dans la nouvelle d’Edgar Allan Poe « L’homme des foules » (« The Man of the Crowd », 1840). Une nouvelle qui revient aux rues de Londres, et dans l aquelle pour la première fois celles-ci se mettent à symboliser la nature changeante de la cité moderne. C’est à travers la traduction de Poe par Baudelaire que cette figure commença à être envisagée comme relevant d’une tradition spécifiquement européenne, car le flâneur ne saurait être associé à l’activité frénétique de la rue londonienne, mais bien aux élégants arcades parisie nnes : les passages. Lesquels devaient bientôt perdre leur rôle au bénéfice d’une topographie plus strictement réglementée, et au moment même où émerge le flâneur pour la première f ois, il est déjà reconnu comme une figure nostalgique, symbolisant non seulement la naissance de la ville moderne mais aussi la destruction de son ancien logis. Le destin du flâne ur est lié à la ville qu’il habite, et son existence même sert de point de repère pour les lut tes que les générations suivantes de marcheurs urbains auront à mener, au sein d’une cité réaménagée d’une manière de plus en plus hostile à leurs activités. La rue ne lui étant plus accueillante, celui qui vo udrait être promeneur se trouve forcé de se
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