Rio Gurupá
124 pages
Français

Rio Gurupá , livre ebook

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124 pages
Français

Description

Celui qui s'immerge dans le fleuve Gurupá, ne pourra jamais oublier, et toujours reviendra... Murmures du fleuve, qui me raconte son histoire. Un couple d'esclaves en fuite se serait fait reprendre ici. Depuis, le lieu s'appelle guru pa : l'erreur du couple... L'homme caresse le fil de l'eau avec sa pagaie. Aucun bruit au lever du jour, sinon le chant du Bem-te-vi. Flottement de mon esprit, porté par le rythme régulier de la rame... Garder les sens en éveil, à la rencontre d'autres régions inexplorées de mon âme. Captation des instants. Vers une nouvelle anthropologie du sensible.

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Publié par
Date de parution 15 mars 2017
Nombre de lectures 4
EAN13 9782140033230
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Gérard Chabenat
Rio Gurupá
Journal d’ethnologue dans les Quilombos en Amazonie brésilienne
RIO GURUPÁ Journal d'ethnologue dans les Quilombos en Amazonie brésilienne
L'Autre Amérique Collection dirigée par Denis Rolland et Joëlle Chassin
 Cette collection de littérature latino-américaine, du Mexique et des Caraïbes au Brésil, à l’Argentine ou au Chili, a pour vocation de faire connaître en France des écrivains latino-américains de talent, poètes ou prosateurs, rarement ou jamais traduits en français. Elle accueille des textes en français ou bilingues, espagnol-français, portugais-français, langue-amérindienne-français.
Dernières parutions
BÉNÉÏ Véronique,dire le politiqueSanta Marta Poetica ou « autrement », 2016. FELIP VIDAL Christiane,Le silence de l’étoile, 2015. ESTEFANELL Marcelo,Matricule 246. Douze ans six mois et quatorze jours au Pénitencier de Libertad, 2014. BEDOYA Esteban,Les mal-aimés, 2013. COURTHÈS Eric,Le voyage sans retour d’Aimé Bonpland, explorateur rochelais, 2010. OÑATE Iván,La hache enterrée, 2009. ALTAMIRANO Ignacio Manuel,Le Zarco, trad. Françoise Léziart, 2009. FINZI Alejandro,La peau ou la voie alternative du complément (théâtre), 2008. LABROUSSE Alain,La mort métisse. Récits fantastiques d’Amérique du Sud, 2008. ROA BASTOS Augusto,Métaphorismes, 2008. MIGUEL Salim,Brésil avril 1964. La dictature s’installe, trad . L. Wrege et J.-J. Mesguen, 2007. CAVALCANTI DE ALBUQUERQUE M. C.,Jean-Maurice de Nassau. Prince et corsaire.Roman historique, 2007. ROJAS BENAVENTE Lady,Étoile d’eau. Estrella de agua, 2006. BUSTAMANTE MÉJICO Catalina,Mot non dit. Poèmes bilingues espagnol (Pérou) – français, 2005.AGUIAR Cláudio,Complainte nocturne, 2005.
Gérard Chabenat
RIO GURUPÁ Journal d'ethnologue dans les Quilombos en Amazonie brésilienne
Du même auteur aux éditions L'Harmattan
-L'aménagement fluvial et la mémoire.Parcours d'un anthropologue sur le fleuve Rhône(thèse de doctorat en anthropologie sociale), 1996.
-Ressac sur le fleuve Amazone.Récit, 2004.
-Marhaba.Parages intranquilles, collection Graveurs de mémoire, 2012.
© L’Harmattan, 2017 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-11763-8 EAN : 9782343117638
Il est environ vingt-trois heures ce vendredi lorsque mon avion atterrit enfin à l'aéroport de Belém. Katia, une des anthropologues de l'UNAMAZ, m'attend dans le hall. C'est une surprise. Je n'attendais personne. Elle est arrivée avec un ami chauffeur de taxi. Ils m'accompagnent à l'hôtel du Ver-O-Peso. J'insiste pour payer la note de la voiture, et je m'empresse d'aller dormir. Levé très tôt ce matin. Confortablement installé sur la terrasse de l'hôtel, devant un fabuleux petit déjeuner. Je surplombe le marché du Ver-O-Peso qui se réveille face à l'embouchure du fleuve. Un petit bateau de passagers vient exactement dans ma direction. Je retrouve Katia en fin d'après-midi. Nous partons déambuler le long du fleuve Guamá en bavardant. Je parle beaucoup, et tout particulièrement du voyage que j'ai décidé d'entreprendre. Nous dînons au terminal des docks, aménagé en espace de loisirs prisé par les couches sociales les plus aisées de la ville. Occupé par de nombreux restaurants, le lieu est bien éclairé. Des barrières, un garde armé à chaque accès. Nous sommes dans une capitale brésilienne. Hôtel Fortaleza, le retour. C'est ici que j'avais passé ma première nuit lorsque j'arrivai pour la première fois à Belém il y a dix ans. Peut-être est-ce un signe. Beaucoup moins cher qu'au Ver-O-Peso. Les conditions d'hébergement sont moins confortables. Le quartier est réputé dangereux. Mais il vaut mieux que j'économise mon argent. Mon financement reste aléatoire. Cette impression sans cesse d'avoir la tête dans la brume… Il y a sans doute un rapport avec le choc du climat, cette chaleur humide. J'ai pris un somnifère pour m'assurer de dormir ces deux dernières nuits. Mais je ne veux pas en prendre l'habitude. On m'affirme que la violence s'est accrue en ville ces dernières années. 5
J'ai le pressentiment qu'il ne faut pas que je reste trop longtemps à Belém. C'est la saison des pluies. Les averses rafraîchissent à peine l'atmosphère étouffante. Le matin, sur le marché du Ver-O-Peso. Je mange unsalgado, une sorte de beignet au crabe, en buvant unevitaminad'avocat. Je déguste unmingau, mélange de riz au lait avec du maïs, des noix du Brésil, de la banane. C'est tout à fait délicieux. Je viens de passer les deux dernières soirées avec Katia. Nous avons encore beaucoup parlé. Je ressens à nouveau ce fameux état d'esprit que je connais tant. Les questionnements, les doutes, qui reviennent à propos de ce voyage, cet exil. Mon esprit qui s'embrouille. C'est à cause de la chaleur, la moiteur. Ici tout paraît excessif. Le bruit, lesattitudes des Brésiliens. La rue est une véritable fourmilière qui s'agite dans tous les sens. Les gens ne s'arrêtent donc jamais ! La démarche chaloupée des femmes cependant. On parle beaucoup d'argent aussi. Accepter le temps qui vient. Réapprendre à vivre autrement. Se laisser prendre par le rythme du fleuve de la vie dans cette région reculée du monde. J'ai peu dormi cette nuit. Trop chaud, trop froid, mal à la tête. J'ai fait un rêve étrange, et macabre. Tout le monde se faisait tuer dans des circonstances horribles. Lorsque j'aurai appris à vivre ici, je pourrai envisager d'aller sur d'autres fleuves dans d'autres régions du monde. Au bar du Palafita. Sur la rive du rio Guamá, loin du grouillement de la ville. Écouter dans un premier temps ce que le fleuve me raconte. Me laisser porter par les rumeurs de ce paysage grandiose. Ne pas me laisser emporter par les vagues de la peur, de la solitude, ce sentiment parfois d'inexistence au milieu de ces immensités… C'est le quatrième jour que je passe dans cette ville. Temps 1 suspendu. Rosa, la coordinatrice du projet , doit arriver ce soir, ou demain, et nous devrons nous rencontrer rapidement.
1 Rosa Ecevedo, historienne au sein de l'UNAMAZ, Association des Universités Amazoniennes, a élaboré un projet qu'elle met en place en février 2008 avec une équipe de chercheurs en sciences humaines. Il s'agit de reconnaître la légitimité 6
L'hôtel Fortaleza est très fréquenté par des Français. Ces derniers se rencontrent dans la salle commune, et prévoient de découvrir la ville ensemble. Je ne ressens aucune envie de les accompagner. Mon état d'esprit ne se prête pas à ces mouvements grégaires. Je trouve leurs discussions souvent affligeantes. Ils se racontent leurs périples comme on décrit un tableau de chasse. Ils collectionnent les événements de leurs journées qu'ils exhibent aux premiers venus. Soirée du dimanche très agréable. Katia m'emmène dans un lieu, particulièrement fréquenté par les jeunes, où l'on écoute de la musique. Nous allons dîner ensuite au Palafita. La nuit est déjà bien avancée lorsqu'elle attrape un bus pour rentrer chez elle, me recommandant de ne pas prendre le risque de traverser le Ver-O-Peso à pied. Même pour parcourir les quelques centaines de mètres qui me séparent de mon hôtel, il est conseillé de prendre un taxi. On pourrait qualifier d'insulaire la vie nocturne dans les capitales brésiliennes. Les restaurants et les bars fréquentés la nuit par les membres des classes supérieures sont situés dans des lieux assez bien éclairés, le plus souvent surveillés par des gardes armés. Ce sont de véritables îlots de lumière, entourés par un océan de pénombre qui semble toujours menaçant. Pour s'y rendre, il est impératif d'utiliser un véhicule qui permet de traverser les quartiers obscurs de la ville où tous les dangers sont possibles. Il est préconisé, même par la police, de ne pas s'arrêter aux feux rouges pour réduire les risques d'agression. Les bus sont parfois attaqués par des hommes équipés d'armes à feu. Les citadins adaptent leur vie en fonction de ce climat inquiétant. Ils ont assimilé les règles minimums de prudence nécessaires pour vivre dans un environnement qu'ils considèrent comme hostile. C'est devenu un principe qui s'est peu à peu banalisé, que l'on ne manquera pas de se représenter comme le bon sens. Même si je perçois ce climat d'insécurité, je ne l'ai pas intégré toutefois comme une évidence. Sans doute parce que je ne suis pas brésilien, et habitant des grandes villes. Cette attitude vis-à-vis de
des Quilombos, les villages habités par les descendants des esclaves africains enfuis des maisons de maître avant l'abolition de l'esclavage. Cette reconnaissance identitaire devra être le préalable à la régularisation des territoires où sont implantés ces villages. 7
la possibilité du danger hors des zones sécurisées me semble exagérée, et même quelque peu suspecte. Que la population pauvre soit considérée comme dangereuse par les nantis, ce n'est pas nouveau et ce n'est pas spécifique au Brésil. Et c'est une posture politique qui me semble discutable dans un environnement social particulièrement injuste. La distance qui me sépare de mon hôtel me paraît dérisoire. Aussi je ne tiens pas compte des recommandations d'usage, et je décide de rentrer à pied. Je n'ai pas marché cent mètres lorsque j'arrive aux abords du marché du Ver-O-Peso. Un homme surgit de derrière un camion et m'interpelle, me faisant signe d'aller à sa rencontre. Je comprends très vite ce qui est en train d'arriver. Mes considérations politiques ne me sont plus d'aucun secours. Je n'ai pas le temps de me retourner pour m'enfuir. L'homme m'empoigne violemment et me jette à terre. Tous les boutons de ma chemise sont arrachés. En tombant sur le sol, j'ai le temps de voir que je m'étais très peu éloigné de la zone éclairée où des personnes qui stationnent actuellement assistent à la scène et pourraient me venir en aide. Aussi, défiant une autre règle de prudence dont j'ai connaissance, qui est de ne jamais se défendre en cas d'agression pour ne pas risquer d'augmenter les risques de violence à mes dépens, je me débats, battant l'air avec mes pieds, et tout ce qui peut se trouver à leur portée. Cela a pour conséquence d'énerver passablement l'homme qui ne se prive pas de me frapper. Je crie aussi fort que je peux pour attirer l'attention. Mais mon agresseur et moi, nous restons seuls. Cette histoire que nous sommes en train de vivre ne regarde que nous. Il semblerait que ceux de la zone éclairée se retournent de l'autre côté pour ne pas voir. Arrive un autre homme, qui m'apparaît plus musclé encore que le premier, et qui brandit un couteau de pêcheur dont la lame doit avoisiner les trente centimètres. Il me vient alors à l'esprit que je suis peut-être sur le point de vivre mes derniers instants. Je continue à hurler. Le couteau s'abaisse sur mon ventre. La lame tranche la ceinture sur laquelle était fixée ma pochette. Les deux assaillants s'enfuient en courant, m'abandonnant sur le pavé, tuméfié mais bien vivant. Je me relève en boitant. Mes côtes, mes bras sont endoloris. Je retourne du côté de la lumière et je m'engouffre dans un taxi, dont le chauffeur n'a sans doute rien manqué du spectacle qui s'est déroulé à quelques mètres de son véhicule. C'est la colère qui donne le ton de notre échange lorsque 8
je lui indique l'adresse où je compte me rendre, quelques rues plus loin. Le butin des voleurs aura été bien maigre. Dans la bourse il y avait à peine la valeur de huit euros. J'avais beaucoup plus d'argent sur moi, ainsi que ma carte bancaire, dans une autre pochette cachée à même la peau. Ils se sont contentés de ce qui était à leur portée. J'aurai donné ainsi, malgré moi, ma quote-part au commerce équitable. Cette expérience me servira peut-être à me tenir plus sur mes gardes. Si je demeure perplexe quant à l'attitude à adopter lorsque je côtoie une injustice criante et quasi banalisée comme c'est le cas au Brésil, ma posture ne relève pas pour autant, me semble-t-il, de l'angélisme. Un sentiment nouveau toutefois va occuper peu à peu mon esprit les jours qui vont suivre : la peur. Sentiment que je n'avais étrangement pas ressenti au moment où cet événement s'est produit. En présence de Katia, je rencontre Rosa, Oswaldo, le président de l'association du Quilombo du rio Gurupá, et Antonio, le représentant d'une ONG religieuse, chargé de nous mettre en relation. C'est un premier contact avec la communauté. Cette expérience sera sans doute plus difficile pour moi que pour les autres chercheurs, parce que je suis un étranger. Mais je pourrai apporter ainsi un autre regard. Dans un premier temps, je ne veux prétendre à aucun financement pour ma contribution à ce travail de recherche que je propose d'accompagner. Une telle situation m'apparaît en réalité comme un privilège qui va me permettre de conserver une plus grande liberté. C'est toutefois la question des Quilombos qui aura motivé ma présence ici, même si je ne sais pas encore très clairement de quelle façon elle peut faire écho à mes propres aspirations. Je sais que je serai nécessairement confronté à une attente de la part des membres de la communauté dont je devrai tenir compte. Ils m'ouvrent leur porte et acceptent de m'accueillir chez eux. Aussi, il me semble ne pas devoir faire l'impasse de réfléchir à ce que je peux leur apporter en contrepartie, outre la participation à mon alimentation.L'île de Marajó, située à l'embouchure de l'Amazone face à l'Océan Atlantique, occupe une superficie à peu près équivalente à la Suisse. Elle est constituée de dix-sept communes. Il y aurait aujourd'hui cent cinquante communautés qui sollicitent la reconnaissance de leur territoire en tant que Quilombos. Le Rio 9
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