A rebours
120 pages
Français

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A rebours , livre ebook

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Description

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Informations

Publié par
Date de parution 30 août 2011
Nombre de lectures 838
EAN13 9782820606068
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0011€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

A rebours
Joris-Karl Huysmans
1884
Collection « Les classiques YouScribe »
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ISBN 978-2-8206-0606-8
Notice

À en juger par les quelques portraits conservés au château deLourps, la famille des Floressas des Esseintes avait été, au tempsjadis, composée d'athlétiques soudards, de rébarbatifs reîtres.Serrés, à l'étroit dans leurs vieux cadres qu'ils barraient deleurs fortes épaules, ils alarmaient avec leurs yeux fixes, leursmoustaches en yatagans, leur poitrine dont l'arc bombé remplissaitl'énorme coquille des cuirasses.
Ceux-là étaient les ancêtres ; les portraits de leursdescendants manquaient ; un trou existait dans la filière desvisages de cette race ; une seule toile servaitd'intermédiaire, mettait un point de suture entre le passé et leprésent, une tête mystérieuse et rusée, aux traits morts et tirés,aux pommettes ponctuées d'une virgule de fard, aux cheveux gomméset enroulés de perles, au col tendu et peint, sortant descannelures d'une rigide fraise.
Déjà, dans cette image de l'un des plus intimes familiers du ducd'Épernon et du marquis d'Ô, les vices d'un tempérament appauvri,la prédominance de la lymphe dans le sang, apparaissaient.
La décadence de cette ancienne maison avait, sans nul doute,suivi régulièrement son cours ; l'effémination des mâles étaitallée en s'accentuant ; comme pour achever l'œuvre des âges,les des Esseintes marièrent, pendant deux siècles, leurs enfantsentre eux, usant leur reste de vigueur dans les unionsconsanguines.
De cette famille naguère si nombreuse qu'elle occupait presquetous les territoires de l'Île-de-France et de la Brie, un seulrejeton vivait, le duc Jean, un grêle jeune homme de trente ans,anémique et nerveux, aux joues caves, aux yeux d'un bleu froidd'acier, au nez éventé et pourtant droit, aux mains sèches etfluettes.
Par un singulier phénomène d'atavisme, le dernier descendantressemblait à l'antique aïeul, au mignon, dont il avait la barbe enpointe d'un blond extraordinairement pâle et l'expression ambiguë,tout à la fois lasse et habile.
Son enfance avait été funèbre. Menacée de scrofules, accabléepar d'opiniâtres fièvres, elle parvint cependant, à l'aide de grandair et de soins, à franchir les brisants de la nubilité, et alorsles nerfs prirent le dessus, matèrent les langueurs et les abandonsde la chlorose, menèrent jusqu'à leur entier développement lesprogressions de la croissance.
La mère, une longue femme, silencieuse et blanche, mourutd'épuisement ; à son tour le père décéda d'une maladievague ; des Esseintes atteignait alors sa dix-septièmeannée.
Il n'avait gardé de ses parents qu'un souvenir apeuré, sansreconnaissance, sans affection. Son père, qui demeurait d'ordinaireà Paris, il le connaissait à peine ; sa mère, il se larappelait, immobile et couchée, dans une chambre obscure du châteaude Lourps. Rarement, le mari et la femme étaient réunis, et de cesjours-là, il se remémorait des entrevues décolorées, le père et lamère assis, en face l'un de l'autre, devant un guéridon qui étaitseul éclairé par une lampe au grand abat-jour très baissé, car laduchesse ne pouvait supporter sans crises de nerfs la clarté et lebruit ; dans l'ombre, ils échangeaient deux mots à peine, puisle duc s'éloignait indifférent et ressautait au plus vite dans lepremier train.
Chez les jésuites où Jean fut dépêché pour faire ses classes,son existence fut plus bienveillante et plus douce. Les Pères semirent à choyer l'enfant dont l'intelligence les étonnait ;cependant, en dépit de leurs efforts, ils ne purent obtenir qu'ilse livrât à des études disciplinées ; il mordait à certainstravaux, devenait prématurément ferré sur la langue latine, mais,en revanche, il était absolument incapable d'expliquer deux mots degrec, ne témoignait d'aucune aptitude pour les langues vivantes, etil se révéla tel qu'un être parfaitement obtus, dès qu'on s'efforçade lui apprendre les premiers éléments des sciences.
Sa famille se préoccupait peu de lui ; parfois son pèrevenait le visiter au pensionnat : « Bonjour, bonsoir, sois sage ettravaille bien. » Aux vacances, l'été, il partait pour le châteaude Lourps ; sa présence ne tirait pas sa mère de sesrêveries ; elle l'apercevait à peine, ou le contemplait,pendant quelques secondes, avec un sourire presque douloureux, puiselle s'absorbait de nouveau dans la nuit factice dont les épaisrideaux des croisées enveloppaient la chambre.
Les domestiques étaient ennuyés et vieux. L'enfant, abandonné àlui-même, fouillait dans les livres, les jours de pluie ;errait, par les après-midi de beau temps, dans la campagne.
Sa grande joie était de descendre dans le vallon, de gagnerJutigny, un village planté au pied des collines, un petit tas demaisonnettes coiffées de bonnets de chaume parsemés de touffes dejoubarbe et de bouquets de mousse. Il se couchait dans la prairie,à l'ombre des hautes meules, écoutant le bruit sourd des moulins àeau, humant le souffle frais de la Voulzie. Parfois, il poussaitjusqu'aux tourbières, jusqu'au hameau vert et noir de Longueville,ou bien il grimpait sur les côtes balayées par le vent et d'oùl'étendue était immense. Là, il avait d'un côté, sous lui, lavallée de la Seine, fuyant à perte de vue et se confondant avec lebleu du ciel fermé au loin ; de l'autre, tout en haut, àl'horizon, les églises et la tour de Provins qui semblaienttrembler, au soleil, dans la pulvérulence dorée de l'air.
Il lisait ou rêvait, s'abreuvait jusqu'à la nuit desolitude ; à force de méditer sur les mêmes pensées, sonesprit se concentra et ses idées encore indécises mûrirent. Aprèschaque vacance, il revenait chez ses maîtres plus réfléchi et plustêtu ; ces changements ne leur échappaient pas ;perspicaces et retors, habitués par leur métier à sonder jusqu'auplus profond des âmes, ils ne furent point les dupes de cetteintelligence éveillée mais indocile ; ils comprirent quejamais cet élève ne contribuerait à la gloire de leur maison, etcomme sa famille était riche et paraissait se désintéresser de sonavenir, ils renoncèrent aussitôt à le diriger sur les profitablescarrières des écoles ; bien qu'il discutât volontiers avec euxsur toutes les doctrines théologiques qui le sollicitaient parleurs subtilités et leurs arguties, ils ne songèrent même pas à ledestiner aux Ordres, car malgré leurs efforts sa foi demeuraitdébile ; en dernier ressort, par prudence, par peur del'inconnu, ils le laissèrent travailler aux études qui luiplaisaient et négliger les autres, ne voulant pas s'aliéner cetesprit indépendant, par des tracasseries de pions laïques.
Il vécut ainsi, parfaitement heureux, sentant à peine le jougpaternel des prêtres ; il continua ses études latines etfrançaises, à sa guise, et, encore que la théologie ne figurâtpoint dans les programmes de ses classes, il complétal'apprentissage de cette science qu'il avait commencée au châteaude Lourps, dans la bibliothèque léguée par son arrière-grand-oncleDom Prosper, ancien prieur des chanoines réguliers deSaint-Ruf.
Le moment échut pourtant où il fallut quitter l'institution desjésuites ; il atteignait sa majorité et devenait maître de safortune ; son cousin et tuteur le comte de Montchevrel luirendit ses comptes. Les relations qu'ils entretinrent furent dedurée courte, car il ne pouvait y avoir aucun point de contactentre ces deux hommes dont l'un était vieux et l'autre jeune. Parcuriosité, par désœuvrement, par politesse, des Esseintes fréquentacette famille et il subit, plusieurs fois, dans son hôtel de la ruede la Chaise, d'écrasantes soirées où des parentes, antiques commele monde, s'entretenaient de quartiers de noblesse, de luneshéraldiques, de cérémoniaux surannés.
Plus que ces douairières, les hommes rassemblés autour d'unwhist, se révélaient ainsi que des êtres immuables et nuls ;là, les descendants des anciens preux, les dernières branches desraces féodales, apparurent à des Esseintes sous les traits devieillards catarrheux et maniaques, rabâchant d'insipides discours,de centenaires phrases. De même que dans la tige coupée d'unefougère, une fleur

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