Buyam sellam
181 pages
Français

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Description

Mamy Jacqua, la femme de Mathieu, un cadre au chômage, devient par la force des choses une revendeuse de vivres (Buyam sellam) et le poumon de la famille. Tous les moyens sont permis pour que ses enfants survivent. Et si un mariage avec un riche Blanc était le meilleur ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2004
Nombre de lectures 167
EAN13 9789956429714
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0098€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

François Nkémé
Buyam Sellam (Les anneaux de la misère)
Proximité
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© Éditions Proximité, Yaoundé, mars 2018 République du Cameroun. Tél 237 99859594/6 72 72 19 03 Couriel : editionsproximite@yahoo.fr www.editionsproximite.cm ISBN : 978 9956 429 71 4
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Chapitre I
« Je suis buyam sellam... Je mourai buyam sellam Je suis buyam sellam... Je mourai buyam sellam Etre buyam sellam, c’est le meilleur métier de la vie Etre buyam sellam, c’est le meilleur métier de la vie » Ainsi chantait Mamy Jacqua en traversant le quartier Melen à quatre heures du matin. Lorsqu’elle avait pris cette habitude de traverser le quartier Melen par sa ruelle principale tout en chantant, les habitants tirés de leur sommeil avaient pensé à une folle ou à un disciple de Bacchus. Ils l’avaient insultée, copieusement, puis au bout d’une semaine d’insultes, ils s’étaient lassés. Maintenant, ils écoutaient avec une oreille attentive cette horloge qui savait si bien leur annoncer que la nuit était en train de pondre la matinée, que l’aube blafarde allait bientôt vaincre le monde des ténèbres, pour une nouvelle journée pleine d’épreuves et d’incertitudes.Une journée au cours de laquelle, les ménagères se demanderaient encore : que va-t-on manger ? Comment ferais-je pour nourrir mes enfants aujourd’hui ? Les étudiants et élèves studieux se réveillaient ; lesinformésmettaient leur poste de radio en marche en vue de préparer leur point de presse du matin chez As, la vendeuse de beignets-haricot-bouillie ; les
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amoureux réveillaient les partenaires qui ne pouvaient plus feindre de dormir ; les petits métiers se levaient pour arpenter les rues aux premières heures de la journée. Et Matip, Matip le catéchiste entonnait à haute voix un chœur religieux populaire dans l’espoir d’attirer vers lui quelques dèles endormis. Aussitôt, les nombreuses nouvelles églises installées dans les environs prenaient le relais avec force chants et danses. Bientôt, la voix de Matip se noyait dans cette cacophonie sans nom, et il attendait en vain ses deux ou trois dèles. Deux ou trois grands-mères qui cherchaient sur le tard à se conquérir une sainteté alors qu’on recrutait de plus en plus jeune dans les nouvelles églises. Le quartier s’était si bien habitué à son horloge que les chiens errants n’aboyaient plus à son passage. Tous, la queue basse, couraient lui lécher les mollets. Elle devait alors se frayer un passage en distribuant ici et là quelques vieux os qu’elle leur gardait. Les chats aussi miaulaient pour demander leur part. A eux, elle offrait quelques coups de pieds habilement distribués. Les chats, tout le monde le sait, sont une des formes animales les plus prisées par les sorciers. Peut-être les sorciers les envoyaient-ils pour lui ôter sa part de chance de la journée ? Si les voisins ne l’entendaient pas passer, cela ne voulait dire qu’une chose, elle était malade. Les jours de fête, elle ne savait pas ce que cela voulait dire, c’étaient plutôt les occasions qui lui permettaient de faire de belles affaires.
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En dehors des proches voisins, très peu avait vu la femme qui animait si quotidiennement leur matinée. Son visage était pour eux un mystère. Elle sortait très tôt et ne revenait chez elle qu’à la tombée de la nuit. Consciente de l’attention dont elle faisait l’objet, Mamy Jacqua améliorait sa mélodie en imposant à sa voix des timbres recherchés, la chanson en était alors toute langoureuse, et les hommes pensaient : quelle brave femme ! Certaines matinées, la voix était triste et monotone, les voisins lisaient alors toute la tristesse de son âme. En réalité, elle n’avait pas toujours chanté le matin. Elle avait commencé à chanter quand deux jeunes gens l’avaient agressée et dépossédée de toutes ses économies au bord de la route. Elleavaitpleuré,crié,appeléàl’aide,sesdétrousseurs n’en avaient cure. Ils savaient bien que personne ne serait sorti. Toute honte bue, les honnêtes gens se bouchaient les oreilles, ou feignaient d’être plongées dans un sommeil comateux. Tous ne souhaitaient qu’une chose : que le carnage s’arrêtât ! Et les voleurs l’avaient dépossédée comme une orpheline, comme une exilée, comme un être sans famille. Son mari Mathieu, cadre dans un projet de la coopération, au chômage aujourd’hui, avait toujours refusé de l’accompagner. Il lui disait toujours d’attendre que le jour se lève, que les passants passent, que les coqs chantent. Il lui disait toujours que les légumes ne niraient pas, que la salade de Mokolo-Elobi arriverait un peu tard, que les choux
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de Foumbot et la tomate d’Obala seraient disponibles dans la matinée... Dieu seul sait ce qu’il pouvait inventer pour ne pas quitter son lit, pour retenir la chaleur de sa femme quelques instants de plus, pour avoir une vie normale. Vivement, elle enjamba les jumeaux qui dormaient sur le même lit que leurs parents. Deux garnements âgés de deux ans qui ne s’étaient jamais remis du sevrage brusque que leur avait inigé leur mère. A même le sol de la chambre, Fi et Cathy, deux charmantes biches de dix et treize ans dormaient les poings fermés. Ses deux aînés, Eric et Petit Pi, âgés de quinze et seize ans qui dormaient au salon s’enroulaient dans leur couverture dès qu’ils entendaient leur mère s’apprêter. Tous les tours qu’elle faisait, enjambant leurs corps étendus sur le matelas, à même le sol du salon, les laissaient indifférents. Ils semblaient complètement prisonniers de Morphée. Mamy Jacqua versa une pincée de sel sur sa vieille brosse aux poils recourbés et se brossa énergiquement les dents pendant quelques minutes. On lui avait toujours dit que le sel était le meilleur dentifrice possible. D’un pas alerte, elle ouvrit la porte et courut rapidement aux toilettes à l’arrière de la maison. Elle poussa, en provoquant un bruit épouvantable, la porte en tôle ondulée qui donnait sur le réduit composé de vieux fûts qui servait de toilettes à l’ensemble de la concession. Par chance, il ne pleuvait pas. Elle ne redoutait rien de plus
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que ces gouttes lourdes et froides tombant du ciel qui vous glaçaient le corps. Les locataires s’étaient plaints mille fois du fait que les toilettes n’étaient pas couvertes, mais le bailleur s’en foutait. Il leur disait que les toilettes sont faites pour se laver, et qu’un corps mouillé n’a pas peur de l’eau. Ce qu’il oubliait, ou feignait d’oublier, lui le bailleur, c’est que plusieurs fois, des locataires partis se soulager dans ce recoin en revinrent fortement courroucés parce qu’ils avaient été surpris par une pluie aussi violente que subite. Pire, les eaux du ciel qui s’inltraient dans la fosse par le défaut d’une canalisation, créaient, juste après les pluies, un mélange visqueux composé d’eau et d’autres matières qui remplissait le WC. Plus d’une fois ainsi, l’élasticité du choc provoqua des rebonds douteux qui froissèrent, le temps d’un instant, tel ou tel visiteur élégant. Les enfants qui savaient tous éviter la remontée inattendue de ces eaux visqueuses après la descente d’unprojectile, l’avaient surnommée, le secret du rebond. Lorsqu’une étrangère s’en revenait, la mine froissée du WC, par un sourire complice, les enfants se regardaient et disaient : « notre ami le rebond a encore frappé ». Par chance, le ciel était serein et Mamy Jacqua se lava rapidement sans avoir à craindre ni les eaux d’en bas, ni celles d’en haut. Après un rapide coup d’œil à ses jumeaux, elle prit ses paniers et se plongea dans les entrailles de la nuit. Seule, elle l’était dans la froideur de l’aube blafarde. Seule, elle l’était dans la nuit noire des
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difcultés quotidiennes, pour nourrir sa nombreuse descendance, pour survivre. Depuis les difcultés de son mari, les choses avaient changé, elle était désormais l’hommedu foyer. Seule, elle l’était, laissant-là son beau monde endormi ou feignant de l’être. Pour se donner du courage, elle chantait et elle chantait encore, son panier d’osier tenu par un bras, son sacMbandjockdans l’autre, son argent fortement enroulé et dissimulé dans son soutien gorge. « Je suis buyam sellam... Je mourai buyam sellam Je suis buyam sellam... Je mourai buyam sellam Etre buyam sellam, c’est le meilleur métier de la vie Etre buyam sellam, c’est le meilleur métier de la vie.» Elle chantait si passionnément qu’elle s’oublia et continua de chanter dans le taxi qui la conduisait vers le marché du Mfoundi. Sur la banquette arrière, ô stupeur des stupeurs, un homme vieux et sale, puant l’alcool à plein nez embrassait à pleine bouche un jeune homme qui aurait pu être son petit-ls. Le garçon se laissait peloter et semblait trouver du plaisir à embrasser à pleine bouche cet homme hideux vraisemblablement riche. Mamy Jacqua cracha tout son dégoût à l’extérieur du taxi. Elle dut faire un effort surhumain pour ne pas vomir. Elle se mit à transpirer malgré l’heure
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matinale. Elle voulut demander au taximan de faire quelque chose, de réagir, de ne pas permettre... Le taximan, imperturbablement, xait la route dégagée en cette heure de la nuit. C’était la première fois qu’elle voyait deux hommes dans une telle posture. Certes, elle savait que de telles pratiques existaient, mais elles lui avaient toujours parues lointaines,des choses des blancs,disait-elle avec tout le mépris. Jamais de jamais, elle n’avait envisagé de vivre une telle infamie. Elle pensa à ses garçons et se dit qu’elle tuerait celui qui essayerait de se livrer à de telles pratiques. Mais que faisaient donc le Gouvernement et l’Eglise pour arrêter de telles abominations ! Décidément, les temps étaient en train de changer. Elle eut peur, très peur même, pour sa descendance.
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