Ça va voler !
169 pages
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Ça va voler ! , livre ebook

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Description

La découverte de l’Afrique fut, dans les années 1960, une révélation pour les chasseurs français. Ignorant tout du continent Noir, ils furent projetés dans un univers envoûtant. Chaleur, poussière, splendeurs des aubes et des crépuscules, gibier à foison, rythme sourd du pilon au fond des calebasses, découverte des villages de paille et d’une population chaleureuse. Un choc. Beaucoup d’auteurs – Selous, Foa, Pondoro, Pretorius, Jean d’Orgeix, pour en citer quelques-uns – se sont intéressés à la grande chasse, celle des lions, des buffles ou des éléphants. Mais aucun auteur ne s’était attaché à la «?petite?» chasse, celle du gibier à plumes.

Ce livre est à la fois un récit d’aventures et un guide pour tous ceux qui aiment exercer leur passion sur un continent mythique.


Longtemps responsable de la rubrique chasse du Chasseur français, aujourd’hui rédacteur en chef de Voyages de Chasse, Éric Joly a publié notamment : Grandes chasses (Olivier Orban, 1991), Mes plus belles histoires de chasse (Grasset, 1995), Au fil de l’eau (Albin Michel, 2000), Bécasse ! bécasse ! Trente ans de chasse en Irlande (Montbel, 2006).

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2011
Nombre de lectures 22
EAN13 9782876236011
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0105€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

AVANT-PROPOS
La grande chasse a inspiré bien des auteurs. De Sélous à Préto-rius en passant par Roosevelt, Foa ou Alexander Lake, ils ont été nombreux à faire vivre aux lecteurs leurs aventures de brousse. Cu-rieusement, très peu de livres ont été consacrés à la variante « petit gibier ». Il est vrai que les francolins, les pigeons verts, les tourte-relles, les pintades, les canards dendrocygnes, voire le lièvre africain en imposent moins que lebuffle,l’élandde Derby, l’éléphant ou lelion. Mais enfin quand même. La littérature cynégétique fran-çaise consacre beaucoup d’ouvrages à la chasse du perdreau, du canard, de la palombe, du lièvre ou du lapin en France. Dans notre pays, la chasse du grand et du petit gibier font jeu égal. On ne com-prend donc pas cette indifférence pour une variante d’autant plus passionnante qu’elle met en jeu des espèces absentes chez nous et qu’elle se déroule dans les mêmes paysages que la grande chasse. Au Burkina Faso, par exemple, on peut très bien chasser le franco-lin et tomber nez à nez avec un lion ou un éléphant. La petite chasse africaine attire chaque année des milliers de passionnés qui s’en vont à l’aube quêter les francolins dans « les pailles » puis faire l’affût aux tourterelles en attendant les fabuleuses passées de gan-gas, ces lagopèdes des steppes au vol instable et capricieux. Les camps sont devenus confortables. Les destinations se sont diversi-
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fiées : Sénégal, bien sûr mais aussi Burkina Faso, Cameroun, Gam-bie, Guinée-Bissau sans oublier le Maroc et la Tunisie, pays d’Afrique du Nord, ceux-là, mais qui eux aussi regorgent de gibier. La chasse du gibier à plume en Afrique Noire permet aussi de pister le phacochère et cet animal constitue le trait d’union entre la grande et la petite chasse. Beaucoup de guides ont commencé à faire chasser le francolin et le phacochère avant de s’attaquer aux antilopes, puis aux gibiers dangereux comme le buffle ou le lion. Il n’y a pas de fossé entre les deux catégories de chasseurs et d’ail-leurs pas mal d’amateurs de grand gibier africain ne dédaignent pas « la plume » à l’occasion. De leur côté, les chasseurs de bille-baude peuvent aussi se laisser tenter par des animaux plus impor-tants. Tous communient dans la dévotion de ce pays magnifique et sauvage. Tous sont fascinés par les paysages sans limite, les ciels brû-lants, les odeurs épicées, les crépuscules noyés de sang, les aubes des premiers temps. Ce livre est dédié aux uns comme aux autres. Parce que l’Afrique est l’Afrique, irremplaçable, généreuse, magni-fique et dévorante.
AFRIQUE NOIRE DHIER ET DAUJOURDHUI
C’est dans les années 70 que les chasseurs de « plume » décou-vrirent les richesses de l’Afrique. Auparavant le continent Noir était tout entier dévolu à la grande chasse. On ne chassait guère le petit gibier que pour les plaisirs de la table, pour améliorer l’ordinaire. C’était vite vu ! Une poignée de cartouches dans la poche, un vieux calibre douze et une demi-heure plus tard, le chasseur rentrait au camp avec les pintades demandées par le cuisinier. Consacrer un séjour de chasse entier à la chasse du petit gibier était une tout autre affaire ! Des agences pionnières comme Orchape ou Jet Tours se lancèrent dans l’aventure. Des camps de paillotes sortirent de terre. Comparées à aujourd’hui les installations étaient plus que modestes, de simples cases posées sur une dalle de ciment. Ni ven-tilateurs, ni air conditionné. À partir du mois de mars, ces cases de-venaient des étuves et il était parfois difficile d’y trouver le sommeil.
Peu nombreux au début, les clients affluèrent quand ils ap-prirent que la chasse là-bas se déroulait dans un pays de cocagne, qu’il y avait des « perdreaux » partout, des tourterelles par milliers et que l’on pouvait même, en fin de journée, tirer de drôles d’oi-seaux aux manières de bécasses « à la croule ».
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Le Sénégal profita d’abord de cette manne, suivi par le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, la Gambie. Le chasseur français habitué à tirer lièvre et perdrix sur les communales ne savait guère comment s’équiper pour s’en aller en Afrique ! La plupart du temps, il gar-dait la même tenue dont il se parait d’ailleurs pour voyager. Dans les aéroports, on surprenait ainsi quantité de chasseurs fin prêts, semblait-il, pour aller faire l’ouverture sur les pistes !
Arrivés à Dakar, le choc était rude. À peine la porte de l’avion ouverte, l’Afrique leur sautait à la figure avec ses bouffées de cha-leur, ses odeurs, sa lumière, sa poussière qui s’insinue partout. Cu-rieusement, cela ne les surprenait pas. Travaillant, à l’époque, au Chasseur Français, j’accompagnais régulièrement des groupes de lec-teurs au Sénégal. Ils arrivaient de tous les coins de France vêtus de lourdes vestes et la tête coiffée de casquettes ou de chapeaux à larges bords car en Afrique quand même « le soleil est méchant ». Jamais je n’ai enregistré la moindre réaction de surprise. On avait l’impression qu’enfermés dans la chasse, ils étaient tout entiers ten-dus vers la réussite. Leurs questions d’ailleurs étaient essentielle-ment techniques : quels plombs ? Quels gibiers ? Combien de cartouches ? Du recul ? Combien de pièces ?
J’ai le souvenir précis d’un gendarme à la retraite, que nous ap-pelions familièrement « le père Chavignol », qui se comportait dans la brousse comme s’il arpentait la garrigue. Il semblait avoir rayé de son esprit tout indice exotique comme le rat palmiste, les vols de perruches, le calao, les bouquets de palmiers ou les villages de paille. Il lui fallait « attaquer le perdreau » comme chez lui. Et de nous proposer des manœuvres d’encerclement, des chaudrons, des lignes de rabat, des rapprochés. Coiffé d’une casquette de marin, chemise à carreaux, veste en lainage, grosses bottes, lunettes fu-mées, moustache courte, il évoluait sous la canicule sans lui atta-cher la moindre importance. De temps en temps, il s’arrêtait, sortait de sa poche un grand mouchoir à carreaux avec lequel il s’épongeait le visage et recommençait à marcher. De son métier de
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gendarme, il avait conservé le goût de l’autorité qu’il dispensait quotidiennement, engueulant celui-ci, appelant celui-là, toujours désireux d’avoir son monde « à sa main ». Son fusil était un vieux Robust à bretelle avec lequel il alignait à peu près tout ce qui volait. J’avais, en vain, tenté de refréner son ardeur, mais c’était peine per-due. Un soir, à la passée aux tourterelles, je l’avais posté dans un coin en retrait car il arrosait bien quand même.
Il avait déjà tué quelques oiseaux quand je vis venir sur lui un énorme vautour. Je fus aussitôt saisi d’une appréhension car, j’en étais quasi certain, mon père Chavignol allait l’aligner. Mais j’étais trop loin pour pouvoir intervenir ; aussi fallait-il suivre la scène, im-puissant. Le vautour se dirigeait droit sur le retraité en planant. Il ne le voyait pas car l’autre s’était caché dans l’ombre d’un palmier. Quand il surgit au-dessus de sa tête, le père n’eut aucune hésitation. Il tira ses deux cartouches à une vingtaine de mètreset levautour s’affala en vrac dans une touffe d’acacias. Il y eut deux secondes de silence puis Chavignol commença à danser sur place en hurlant.
« Ah Nom de Dieu, je l’ai eu ! Quel bestiau ! Oh ! Venez voir ! Il est énorme ! » De tous les coins, les chasseurs convergeaient vers lui, chacun voulant toucher le bec du vautour, sa peau flétrie, ses grandes plumes brunes, le soupeser aussi en le tenant par les pattes.
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Les pisteurs restaient cois. Je tentais de refréner l’enthousiasme, de rappeler que le vautour ne se tirait pas que c’était un oiseau pro-tégé et utile. Le père me coupa d’un geste : « Ta, ta, ta, c’est pas toi, petit, qui va me faire la leçon ! » Les pisteurs qui sont assez mal-léables, comme chacun sait, commençaient eux aussi à prendre part à la fête. Ils félicitaient l’heureux tireur, lui tapaient sur l’épaule, riaient fort. Du coup, le vautour risquait de devenir la pièce noble, le trophée de l’expédition, une sorte de grand coq de bruyère exotique. Il fallut y mettre bon ordre. Mais, quand même, Chavignol avait acquis de la considération. D’ailleurs il avait fixé une plume sur sa casquette pour rappeler l’exploit. On l’appelait « Monsieur Vautour » avec un certain respect. On sentait de la ja-lousie aussi. Les jours suivants, quand un vautour se présentait, je sentais bien l’excitation gagner les troupes en dépit des consignes. On me hélait : « Alors Éric, on tire ou pas ? — Non ! » Le vautour glissait sur une mer de déception. Il n’y avait pas que le vautour. Chaque matin, c’était le festival de la brousse et des oiseaux colorés, des calaos, des perruches, des rolliers, des coucals, des rapaces, des passereaux minuscules et bruyants, des tourterelles, des pigeons à épaulettes violettes, des vanneaux armés, des hérons garde-bœufs, des petits échassiers. Les chasseurs en attrapaient des maux de tête à s’efforcer d’identifier, de distinguer le gibier du protégé. La plu-part devenaient vite raisonnables mais il ne fallait pas non plus leur demander d’avoir des connaissances ornithologiques approfondies. Comment les auraient-ils eues d’ailleurs ? Ils arrivaient des Landes, de Gironde, d’Ardèche, de Bretagne, d’Alsace, des Bouches-du-Rhône, d’Île-de-France ou d’ailleurs gonflés à bloc, remontés comme des horloges, des petits et des grands, des ombrageux et des bonnes pâtes, des timides et des forts en gueule, des doux et des durs. Tout cela se mélangeait, faisait connaissance, se tutoyait, finissait par devenir les meilleurs amis du monde. Il m’arrivait de penser à la chanson de Maurice Chevalier : « et tout cela fait d’ex-cellents soldats ». Venus de tous les horizons, mais cimentés par la passion de la chasse, ils venaient passer dans un camp perdu la meil-leure semaine de leur vie. Pour eux, l’Afrique c’était un immense
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terrain de jeu dont il ne fallait surtout pas commencer à fixer les li-mites. Dans le fond, si on réfléchit bien, leur comportement ne dif-férait guère de celui des pionniers de la grande chasse. Quand on relit leurs livres, c’était aussi – sauf rares exceptions – cette même envie de jouir sans entrave. Les éléphants, les buffles, les antilopes se ramassaient à la pelle. Abattre trois, quatre, cinq éléphants dans la même journée faisait partie de la routine. Il suffit de voir les pho-tos des safaris de l’époque pour se rendre compte de l’ardeur am-biante. Les chasseurs de petit gibier avaient la même frénésie. Elle fut décuplée, une année, quand le chef de groupe que j’étais leur annonça que le journal offrait les cartouches. L’avion avait eu du retard, les transferts aussi, bref la grogne montait. Pour calmer les troupes, la direction du journal, aussitôt contactée, pro-posa ce geste généreux.
Stupeur et tremblements. Un frisson de plaisir parcourut l’assis-tance. On se précipita à l’armurerie pour faire le plein. Libérés de toute contrainte financière, mes chasseurs osaient des coups de fusil inouïs. Chavignol obtint un petit calao à soixante-dix mètres. Ils tiraient à n’importe quelle distance. On pulvérisa les records. La note fut salée mais les chasseurs heureux.
D’ordinaire quand même, au bout de quelques jours d’intense pratique, de bleus, de coups de soleil aussi, l’ardeur se calmait un peu. C’était les passées de tourterelles qui finissaient par leur scier les nerfs. Il faisait chaud, le fusil cognait dur et les épaules finis-saient par s’en ressentir. C’était des « cocards » impressionnants, des taches rouges d’abord virant bientôt au violet. Ils continuaient quand même à faire la passée avec des paquets de coton hydrophile plaqués sur la peau. Évidemment le tir s’en ressentait. Alors on ac-cusait les cartouches, le fusil, la chaleur. « Ces cartouches, me dit un jour un Marseillais, elles piquent pas, elles agacent. Regarde mes tourterelles, quand je tire, c’est plus des tourterelles, c’est des chauves-souris ! Elles ont les ailes toutes déguenillées, mais elles tombent pas ! »
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Ils aimaient bien les francolins aussi, surtout quand ils jaillis-saient en compagnies caquetantes. On tirait bas, on tirait haut, on tirait comme on pouvait et les pisteurs avaient appris assez rapi-dement à se baisser, voire à se coucher au moment opportun. C’était la fête, la grande rigolade, le temps des bourrades et des rires en cascade. Je me souviens de Marcel, un garagiste de Mar-seille, qui ne venait jamais en Afrique sans une malle remplie de farces et attrapes. Son truc, c’était le nez rouge à élastique dont il affublait tous les pisteurs qui trouvaient cela très drôle. On se battait pour les « nez ». Il fallait intervenir pour éviter les bagarres. Marcel aimait bien les pétards aussi, surtout ceux à mèches lentes qui per-mettent de s’éloigner un peu pour assister à l’explosion surprise. Il en balançait toujours deux ou trois dans les jambes du gardien du camp assis près de la barrière. L’autre croyait d’abord à des bon-bons ou à des crayons billes. Il s’approchait curieux et « pan ! » le pétard lui explosait au nez. Il trouvait cela rigolo. Il adorait. Il ré-clamait les pétards si on avait oublié de lui en lancer. Il en voulait plus. Marcel lui en balançait des gros, ceux qui ressemblent à des bâtons de dynamite avec une mèche noire et des flancs rouges. Cette fois l’explosion était plus violente, plus sourde aussi. « Boum ! » Le gardien s’en tenait les côtes. Bon prince, Marcel don-nait aussi des « langues de belle-mère », des chapeaux de clown, des confettis, des serpentins, des « criquets », des tas de trucs pour rendre la vie plus belle. À la chasse il avait un peu de mal avec les espèces-gibier et les autres, si bien que pour ne pas laisser passer une belle pièce, il avait tendance à voir large. Comme le père Cha-vignol, le vautour le mettait en transe. « Bonne mère, Éric, laisse-moi en tirer un, juste un ! » Les pisteurs qui le considéraient comme un bienfaiteur venaient aussi vers moi avec leur nez rouge en place et les casquettes vissées sur la tête : « Patron, laisse tirer un. » Très franchement la brousse grouillait de vautours et ce mo-deste prélèvement n’aurait pas bouleversé l’écosystème. Mais bon, j’étais en mission, je représentais un magazine important et je de-vais être inflexible. Je le fus. Mais trois jours plus tard je vis, fiché sur son chapeau, une drôle de plume. Avec la complicité de son
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pisteur, le bougre était quand même parvenu à ses fins. Je ne lui en voulais pas. C’était un fabuleux compagnon de chasse. Ses étonne-ments, emballements, engueulades, enthousiasmes exprimés avec les mots chantants du Sud nous plongeaient dans le bonheur. C’est simple : un séjour de chasse en Afrique sans lui n’avait plus de sel. D’ailleurs les autres me le demandaient chaque année : « Il revient Marcel ? » Sa bonne humeur emportait tout. De petite taille, aussi haut que large, les yeux candides, la blague à fleur de lèvres, rou-lant des cuisses et des épaules, il disparaissait dans les pailles. On le localisait alors au son de sa voix car il parlait pratiquement sans interruption. Le tir manqué de son premier « rat palmiste » le plon-gea dans un abîme de stupeur. Il n’en finissait pas de nous expli-quer commentil avait été surpris par la rapidité de la course, qu’en comparaison tous les lapins de la garrigue « c’était du pétoulet » et que la prochaine fois, « pétard », il mettrait « au moins deux mètres devant ». Il tirait d’instinct sans se poser de questions. À la réussite stupéfiante succédaient de prodigieux ratés. Cela n’a jamais en-tamé son moral.
La vie au camp ne manquait pas de charme elle non plus. Par un curieux phénomène régressif, le chef d’entreprise, le cadre commercial, le notaire, le pharmacien, l’exploitant agricole, retom-baient en adolescence. On se faisait des farces, on improvisait des canulars, on buvait sec et on plaisantait énormément. Le personnel suivait, bien entendu. Le chef de camp essayait d’abord de conser-ver un maintien digne mais il était bientôt submergé par l’eupho-rie. Et puis il y avait les filles aussi, serveuses, lingères, petites mains, toujours prêtes à la farce et plus si affinité. On était loin des amours tarifées si en vogue aujourd’hui. Non, c’était plutôt une sorte de compagnonnage amical, candide et affectueux. « Je m’appelle Clé-mentine et je suis sans pépin », disait celle-ci avec cette intonation traînante que l’on retrouve chez la plupart des Africaines. Les nuits étaient courtes. À cinq heures le lendemain, tout le monde était sur pied pour chasser le francolin.
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Au lever du jour, surtout en début de saison, il fait frais encore. Nous montions dans le camion, la figure drapée dans un chèche. Le parc de voitures n’était pas flambant neuf, la panne n’était ja-mais bien loin. Mais on réparait toujours, « on démerdait » comme on dit là-bas avec une clé à mollette, un tournevis, des bouts de fi-celle, n’importe quoi. Le mécanicien ouvrait le capot, farfouillait dans le moteur quelques minutes. La bête crachait, hoquetait, fu-mait et finissait par repartir en cahotant.
Nos trajets étaient toujours mouvementés, pas seulement à cause des pannes, mais parce que Marcel emportait avec lui des cadeaux : sacs de confiserie et « Bic » pour les enfants des villages. À force de passer toujours au même endroit, il était connu comme la hyène blanche. Dès qu’ils entendaient le moteur de la Land, les enfants jaillissaient en masse. Marcel, toujours affublé de son nez rouge et de lunettes de soleil aux branches écarlates, se dressait alors et, d’un geste auguste, lançait les friandises et les « Bic ». C’était alors de joyeuses et bruyantes empoignades dans la poussière, les gamins plongeant sur ce trésor pour ne pas en perdre une miette. En fin de cérémonie, il jetait encore deux ou trois petits pétards pour conclure, les pétards « mitraillettes », pas méchants et qui crépitent longtemps. Les enfants riaient aux larmes. « Mar-cel ! Mar-cel ! », Ils l’appelaient sur l’air des lampions. Depuis le temps, ils connais-saient son nom ! Ils ne voulaient pas qu’il parte. Il fallait accélérer pour ne pas être encerclé, asphyxié, englouti.
On s’arrêtait au coin d’un champ de « pailles » ces grandes gra-minées qui, après les pluies, poussent à deux mètres de hauteur. Il fallait marcher là-dedans, la gorge bientôt prise par la poussière ac-cumulée sur les tiges. Les pisteurs en sandales frappaient dessus avec un bout de bois, le francolin piétait et puis finissait par s’envoler. Pan ! Pan ! C’est Marcel qui a tiré et on l’entend crier : « Bonne Mère, je sais pas où je suis aujourd’hui ! » Tu es au Sénégal, Marcel, tu n’as pas beaucoup dormi et tu n’es pas en forme. C’est normal. Il y en aura d’autres ! Beaucoup d’autres même car à cette époque
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