Clone d ange
88 pages
Français

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Clone d'ange , livre ebook

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Description

Clone d'Ange raconte les existences et les mentalités d'une poignée d'Haïtiens sur deux générations. L'action se déroule à Port-au-Prince, et débute lorsqu'une femme portant l'habit religieux vient s'installer seule dans une maisonnette de banlieue. Son passé et son mode de vie ne tardent pas à susciter l'hostilité des bonnes gens.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2011
Nombre de lectures 108
EAN13 9782296801448
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Clone d’ange
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-54217-4
EAN : 9782296542174

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
Claire Marie Guerre


Clone d’ange


roman


L’Harmattan
Lettres des Caraïbes
Collection dirigée par Maguy Albet

Déjà parus

Sabine ANDRIVON-MILTON, Anatole dans la tourmente du Morne Siphon , 2010.
José ROBELOT, Liberté Feuille Banane , 2010.
Yollen LOSSEN, La peau sauvée , 2010.
Sylviane VAYABOURY, La Crique. Roman , 2009.
Camille MOUTOUSSAMY, Princesse Sitā. Aux sources des l’épopée du Rāmāyana , 2009.
Gérard CHENET, Transes vaudou d’Haïti pour Amélie chérie , 2009.
Julia LEX, La saison des papillons , 2009.
Marie-Lou NAZAIRE, Chronique naïve d’Haïti , 2009.
Edmond LAPOMPE-PAIRONNE, La Rivière du Pont-de-Chaînes , 2009.
Hervé JOSEPH, Un Neg’Mawon en terre originelle. Un périple africain , 2008.
Josaphat-Robert LARGE, Partir sur un coursier de nuages , 2008.
Max DIOMAR, 1 bis, rue Schoelcher , 2008.
Gabriel CIBRELIS, La Yole volante , 2008.
Nathalie ISSAC, Sous un soleil froid. Chroniques de vies croisées , 2008.
Raphaël CADDY, Les trois tanbou du vieux coolie , 2007.
Ernest BAVARIN, Les nègres ont la peau dure , 2007.
Jacqueline Q. LOUISON, Le crocodile assassiné , 2006.
Claude Michel PRIVAT, La mort du colibri Madère , 2006.
Danielle GOBARDHAN VALLENET, Dumanoir, l’incroyable destinée , 2006.
Max DIOMAR, Flânerie guadeloupéenne, 2006.
Le Vaillant Barthélemy ADOLPHE, Le papillon noir , 2006.
Christian PAVIOT, Les fugitifs, 2006.
Danielle GOBARDHAN VALLENET, Les enfants du rhumier , 2005.
Philippe Daniel ROGER, La Soulimoune, 2005.
Camille MOUTOUSSAMY, J’ai rêvé de Kos-City , 2005.
Sylvain Jean ZEBUS, Les gens de Matador. Chronique , 2005.
Chapitre 1
Sœur Myriam l’appelait le meneur. Lorsqu’elle eût lu un petit livre sur l’unification de l’Italie, il devint le condottiere . C’était vrai, à la tête des gamins du quartier, pieds poudreux, tapant dans leurs grands seaux en plastique comme pour jouer une musique de guerre, il menait les hostilités. Ils allaient à l’eau les jours de pénurie, comme en expédition. Le meneur en faisait une véritable campagne, brodait des périls, immortalisait les victoires en inaugurant à l’arrivée à la fontaine, une bataille d’eau. Longtemps après qu’ils aient disparu au détour du chemin, on les entendait encore piailler, taper du pied dans la poussière et hurler des méringues {1} dans le vent. Ils rentraient tous trempés, les seaux désemplis en route à force de course folle dans les corridors. Et le condottiere fermait la marche, en héros harassé de tant de conquêtes, que précède son armée en liesse. De retour au fief, il reprenait ses jeux de sauvage. Le voilà, pendu comme un macaque aux manguiers du père Fresnel, et encore là, entraînant une bande de galopins dans la ravine. Certains jours, il se multipliait, on le voyait partout, par toutes les fentes des murs, par toutes les trouées de broussaille. Les gens s’écartaient dans la rue pour laisser passer ce diablotin furieux, courant on ne sait où, ou poursuivi par on ne sait qui, tout en bras et en jambes. On ne savait par où le tenir tant il exsudait de graisse. Son éternel maillot gris luisait comme le chiffon du mécanicien, ses talons en caoutchouc étaient rognés, ses mollets, constellés d’éclaboussures. Seule Mika le grondait parfois : « Fofo, il faut te laver plus souvent, sinon tu vas attraper la gale. » D’autres fois, elle fermait les yeux. En effet, le guerrier arbore la poussière du champ de bataille comme la plus éloquente des décorations, et c’est ce que faisait Fofo.
Les gens aimaient employer Fofo, à cause de sa rapidité. Il collectait les déchets ménagers pour le compte de certains particuliers, et les faisait brûler sur le terrain vague. Ou bien, il récurait les réservoirs d’eau. Deux fois par semaine, on le chargeait de porter l’eau de lessive, de la fontaine jusqu’aux maisons, et il touchait vingt-cinq gourdes pour cette besogne. Les fêtes de fin d’année lui étaient favorables : c’est l’époque des grands ménages. Sur les petits chantiers, on était toujours sûr de le trouver, portant de grands seaux à bout de bras, ou bien pelletant, brouettant, pour le compte du contremaître. Lui et sa tante vivaient de ces petits travaux, depuis deux années déjà, à l’époque. Ils devaient leur dignité aux mains sales de l’enfant. Fofo avait onze ans alors. Il ne serait venu à l’idée de personne de le croire exploité, ni de trouver qu’il était trop jeune pour travailler. Il était tellement utile ! Nécessaire, non, mais utile, comme les chiffons. Ils ne sont pas indispensables, pourtant ils conviennent à merveille aux basses besognes. On les tolère, parce qu’ils soulagent de la saleté. Et bien voilà, Fofo portait toute la crasse de la Rue des Pucelles. Pourtant, il avait le pied léger dans sa sandale rapiécée, et menait joyeusement sa bande.
Lorsque les premiers riverains ont emménagé, la rue des Pucelles n’était pas encore asphaltée. C’était une simple piste par laquelle on accédait rapidement au boulevard qui porte aujourd’hui le nom de Toussaint Louverture. Il n’y avait qu’une boutique, tout au bout, avec une porte à double battant, logée chez un vieux tailleur que personne n’employait plus, et l’établissement de Janine, où des pauvres diables venaient boire et jouer aux cartes ou aux dominos. Lorsque les autos passaient, revenant le plus souvent du petit aéroport Maïs-Gaté, ils soulevaient des nuages de poussière, qui couvraient les têtes d’une fine pellicule grise. Tout le jour, on entendait rugir ou gémir les cailloux sous les pneus. Les enfants de la rue des Pucelles, blasés, ne s’arrêtaient guère pour regarder passer les cortèges officiels, ni pour s’étonner devant ces hommes à peau blanche, fraîchement arrivés, dans leurs shorts, leur négligé, qu’ils croyaient de mise pour visiter le Tiers-Monde. Eux ou leurs aînés, avaient vu passer le Pape, en mars 1983. Recueillis, fiévreux, les mains jointes sur Son passage, ils avaient versé de chaudes larmes lorsque le Saint Père avait levé la main dans leur direction pour les bénir, petit peuple touchant de piété, bien rangé sur le passage du pontife, semé de fleurs de bougainvilliers. Les plus vieux, derrière, serraient leurs chapelets en plastique, afin que le prodige (qui arriverait sûrement), les surprenne ainsi recueillis.
Depuis, beaucoup d’autres sont passés. Bill Clinton, suivi de ses marines, et aussi des politiques rappelés de l’exil. Des familles enfin réunies, dont on voyait les étreintes au travers des vitres de voiture, des déportés, des individus suspects, qui obliquaient par les routes de traverse. Et aussi des parvenus, endimanchés, superbes et souverainement ridicules. Quand c’était les fils du quartier qui revenaient d’Amérique du Nord, triomphants d’avoir, eux aussi, « tenté leur chance », il y avait toujours quelques désœuvrés, joueurs de cartes et buveurs de rhum, pour leur demander : « Alors, c’est comment, chez les blancs ? », dès qu’ils avaient mis pied à terre. Parfois, ils réussissaient à tirer quelques billets verts, en reconnaissance de leur accueil chaleureux. D’autres fois, ils y gagnaient une beuverie nostalgique au coucher du soleil, en compagnie du nouvel arrivé. Le géniteur de Fofo appartenait à cette bande de joueurs de carte, et il s’appelait Jolicœur.
Jolicœur était un homme profond. C’est-à-dire qu’il ne se mêlait jamais de la bataille, il la commentait gravement derrière la table à jouer, du perron de la belle Janine, pendant que les autres, en bas, roulaient dans la poussière. En effet, il lui plaisait de se convaincre que par certains côtés connus de lui seul, il planait au-dessus de notre décevante nature. Après le combat, il faisait un sermon au vaincu et serrait la main du vainqueur, en l’exhortant à ménager, la prochaine fois, un homme à terre. Il appelait ça : « raisonner la racaille ». C’était le point culminant de sa fonction d’« épave » {2} , jamais il n’éprouvait de plus pur sentiment de dignité que rayonnant d’intelligence au-dessus de la masse. La gloire lui montait à la gorge, grosse comme une grenade, et il oubliait les

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