Contes bruns
113 pages
Français

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Contes bruns , livre ebook

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Description

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Informations

Publié par
Date de parution 30 août 2011
Nombre de lectures 146
EAN13 9782820602213
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0011€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Contes bruns
Honor de Balzac
1832
Collection « Les classiques YouScribe »
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ISBN 978-2-8206-0221-3
Chapitre 1 Une conversation entre onze heures et minuit

Je fréquentais l'hiver dernier une maison, la seule peut-être oùmaintenant, le soir, la conversation échappe à la politique et auxniaiseries de salon. Là viennent des artistes, des poètes, deshommes d'état, des savans, des jeunes gens occupés de chasse, dechevaux, de femmes, de jeu, ailleurs, de toilette, mais qui, danscette réunion, prennent sur eux de dépenser leur esprit, comme ilsprodiguent ailleurs leur argent ou leurs fatuités.
Ce salon est le dernier asile où se soit réfugié l'espritfrançais d'autrefois, avec sa profondeur cachée, ses mille détours,sa politesse exquise. Là vous trouverez encore quelque spontanéitédans les coeurs, de l'abandon, de la générosité dans les idées. Nulne pense à garder sa pensée pour un drame, ne voit des livres dansun récit. Personne ne vous apporte le hideux squelette de lalittérature, à propos d'une saillie heureuse ou d'un sujetintéressant.
Pendant la soirée que je vais raconter, le hasard, ou plutôtl'habitude, avait réuni plusieurs personnes auxquellesd'incontestables mérites ont valu des réputations européennes. Cecin'est point une flatterie adressée à la France; plusieurs étrangersétaient parmi nous; et, par cas fortuit, les hommes qui brillèrentle plus n'étaient pas les plus célèbres. Ingénieuses réparties,observations fines, railleries excellentes, peintures dessinéesavec une netteté brillante, pétillèrent et se pressèrent sansapprêt, se prodiguèrent sans dédain comme sans recherche, maisfurent délicieusement senties, délicatement savourées. Les gens dumonde se firent surtout remarquer par une grâce, par une verve toutartistiques.
Vous trouverez ailleurs, en Europe, d'élégantes manières, de lacordialité, de la bonhomie, de la science; mais à Paris seulement,dans ce salon et dans quelques autres encore, se rencontre l'espritparticulier qui donne à toutes ces qualités sociales un agréable etcapricieux ensemble, je ne sais quelle allure fluviale qui faitfacilement serpenter cette profusion de pensées, de formules, decontes, de documens historiques. Paris, capitale du goût, connaîtseul cette science qui change une conversation en une joute, oùchaque nature d'esprit se condense par un trait, où chacun dit saphrase et jette son expérience dans un mot, où tout le mondes'amuse, se délasse et s'exerce.
Aussi, là seulement, vous échangerez vos idées, là vous neporterez pas, comme le dauphin de la fable, quelque singe sur vosépaules; là vous serez compris, et vous ne risquerez pas de mettreau jeu des pièces d'or contre du billon; là, des secrets bientrahis; là, des causeries légères et profondes ondoyent, tournent,changent d'aspect et de couleurs à chaque phrase. Les critiquesvives, les récits pressés abondent; les yeux écoutent; les gestesinterrogent; la physionomie répond; tout est esprit et pensée.
Jamais le phénomène oral qui, bien étudié, bien manié, fait lapuissance de l'acteur et du conteur, ne m'avait si complétementensorcelé; je ne fus pas seul soumis à ces doux prestiges; nouspassâmes tous une soirée délicieuse.
Entre onze heures et minuit, la conversation, jusque làbrillante, antithétique, devint conteuse, elle entraîna dans soncours précipité de curieuses confidences, plusieurs portraits,mille folies.
Un savant, avec lequel je fis de conserve la route de la rueSaint-Germain-des-Prés à l'Observatoire royal, regarda cetteravissante improvisation comme intraduisible; mais, dans matémérité de disputeur, je m'engageai presque à reproduire lesplaisirs de cette soirée, moins pour soutenir mon opinion que pourdonner à mes émotions la vie factice du souvenir, la distance quise trouve entre la parole et l'écrit. Mais en voulant tâcher delaisser à ces choses leur verdeur, leur abrupte naturel, leursfallacieuses sinuosités, j'ai pris la conversation à l'heure oùchaque récit nous attacha vivement. S'il fallait peindre le momentoù tous les esprits luttèrent, où toutes les opinions brûlèrent, oùla pensée imita les gerbes éblouissantes d'un feu d'artifice, cetteentreprise serait une folie, et une folie ennuyeuse peut-être.
Donc, représentez-vous assises autour d'une cheminée, dans unsalon élégant, une douzaine de personnes dont toutes lesphysionomies, plus ou moins tourmentées, plus ou moins belles,expriment des passions ou des pensées. Trois femmes aimables, bienmises, gracieuses, dont la voix était douce, présidaient cettescène, à laquelle aucune séduction ne manqua, pour moi, du moins. Ala lueur des lampes, quelques artistes dessinaient en écoutant, etsouvent je vis la sépia se sécher dans leurs pinceaux oisifs. Lesalon était déjà par lui-même un tableau tout fait, et plus d'unpeintre se trouvait là, capable de le bien exécuter.
Nous fûmes redevables à un vieux militaire de la tournure queprit la conversation. Il venait d'achever une partie dans un salonvoisin, et lorsqu'il se planta tout droit devant la cheminée, enrelevant les deux pans de son habit bleu, l'une des dames luidit:
— Eh bien! général, avez-vous gagné?…
— Oh! mon Dieu non… Je ne puis pas toucher une carte…
Même question faite à quelques joueurs qui songeaient sans douteà s'évader, il se trouva, comme toujours, que tout le monde avait àse plaindre du jeu.
Récapitulation savamment faite, il advint qu'un sculpteur qui, àma connaissance, avait perdu vingt-cinq louis, fut atteint etconvaincu d'avoir gagné six cents francs.
— Bah! les plaies d'argent ne sont pas mortelles… dit monsavant, et tant qu'un homme n'a pas perdu ses deux oreilles…
— Un homme peut-il perdre ses deux oreilles? demanda ladame.
— Pour les perdre il faut les jouer… répondit un médecin.
— Mais les joue-t-on?…
— Je le crois bien!… s'écria le général en levant un de sespieds pour en présenter la plante au feu.
J'ai connu en Espagne, reprit-il, un nommé Bianchi, capitaine au6e de ligne, — il a été tué au siége de Tarragone, — qui joua sesoreilles pour mille écus. Il ne les joua pas, pardieu, il les pariabel et bien; mais le pari est un jeu. Son adversaire était un autrecapitaine du même régiment, Italien comme lui, comme lui mauvaisgarnement, deux vrais diables ensemble, mais bons officiers,excellens militaires.
Nous étions donc au bivouac, en Espagne. Bianchi avait besoin demille écus pour le lendemain matin, et comme il ne possédait quequinze cents francs, il se mit à jouer aux dés sur un tambour avecson camarade, pendant que leurs compagnies préparaient lesouper.
Il y avait, ma foi, trois beaux quartiers de chèvre quicuisaient dans une marmite, près de nous; et nous autres officiersnous regardions alternativement et le jeu et la chèvre quifrissonnait fort agréablement à nos oreilles; car nous n'avionsrien mangé depuis le matin. Nos soldats revenaient un à un de lachasse, apportant du vin et des fruits. Nous avions un bon repas enperspective. La marmite était suspendue au-dessus du feu par troisperches arrangées en faisceau, et assez éloignées du foyer pour nepas brûler; mais d'ailleurs les soldats, avec cet instinctmerveilleux qui les caractérise, avaient fait un petit rempart deterre autour du feu — Bianchi perdit tout; il ne dit pas un mot; ilresta comme il était, accroupi; mais il se croisa les bras sur lapoitrine, regarda le feu, le ciel, et par momens son adversaire.Alors j'avais peur qu'il ne fît quelque mauvais coup; il semblaitvouloir lui manger les entrailles. Enfin il se leva brusquement,comme pour fuir une tentation. En se levant, il renversa l'une destrois perches qui soutenaient la marmite, et — voilà la chèvre etnotre souper à tous les diables!… Nous restâmes silencieux; et,quoique ventre affamé ne porte guère de respect aux passions, nousn'osâmes rien lui dire, tant il nous faisait peine à voir… L'autrecomptait son argent. Alors Bianchi se mit à rire. Il regarda lamarmite vide, et pensa peut-être alors qu'il n'avait pas plus desouper que d'argent. Il se tourna vers son camarade, puis avec unsourire d'Italien:
— Veux-tu parier mille écus, lui dit-il en montrant unesentinelle espagnole postée à cent cinquante pas environ de notrefront de bandière, et dont nous apercevions la baïonnette au c

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