Différent
256 pages
Français
256 pages
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Description

Tout quitter du jour au lendemain, meurtri, parce qu’on est différent ? Le jeune héros va emprunter des chemins divers pour tenter de se modeler. Le sexe et ses impulsions sont au cœur de ce roman et l’auteur dépeint avec réalisme les tabous imposés par une société profondément patriarcale.« À chaque exhibition, mon père tenait à m’habiller, je me présentais devant lui en sous-vêtement, sans dire un mot. Il murmurait sans cesse Allahomma barik, Allahomma barik, que Dieu te bénisse, que Dieu te bénisse et psalmodiait quelques versets coraniques pour me protéger du mauvais œil. Il commençait par me serrer le buste avec un corset contenant de petites barres de bois. Je devais rester droit sur ma monture, altier, majestueux… »À propos de l'auteur Moulay Seddik RABBAJ est romancier et nouvelliste."Il enseigne et vit à Marrakech. « Différent » est son sixième roman. Il a aussi publié « Nos parents nous blessent avant de mourir » (Ed. Le Fennec) et « Le lutteur » (Le Fennec poche).

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2021
Nombre de lectures 9
EAN13 9789920755450
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DifférentDu même auteur
Nos parents nous blessent avant de mourir
Roman, 2018 Editions le Fennec
Le lutteur
Roman, 2017 le Fennec pochep
My Seddik RABBAJ
Différent

Roman
ô``°û`æ`∏d ∂`æ`Ø`dG QGOCHAPITRE 1
À l’âge de quatorze ans, j’avais déjà mon cheval
à moi. Je le montais avec un plaisir singulier. Sur
son dos, je devenais quelqu’un d’autre, capable de
m’exercer à des fgures difcilement réalisables.
Vu mon aisance sur le cheval, le groupe de
cavaliers de mon village m’intégra dans des manifes -
tations équestres. À chaque exhibition, mon père
tenait à m’habiller et je me présentais devant lui
en sous-vêtements sans dire un mot. Il murmurait
sans cesse Allahomma barik, Allahomma barik, que
Dieu te bénisse, que Dieu te bénisse, et psalmodiait
quelques versets coraniques pour me protéger du
mauvais œil. Il commençait par me serrer le buste
avec un corset contenant de petites barres de bois.
Je devais rester droit sur ma monture, altier,
majestueux. J’enflais le pantalon blanc et chaussais
les babouches jaunes. Le cafan au col brodé et la
djellaba blanche ornée de passementeries tressées
7par les femmes de la ville me métamorphosaient
totalement. Sur ma tête, mon père déposait son
turban jaune décoré de fls d’or qui, au soleil, luisait
comme une couronne, puis m’éloignait de lui pour
admirer son œuvre, me tapotait sur les épaules en
signe d’encouragement.
— Tu es ma ferté, me répétait-il toujours avant
de me conduire à la grande tente où se
réunissaient les membres de notre sorba, groupe des
cavaliers.
Je fs donc partie de l’équipe — dont la plupart des
membres étaient pères de famille — dans toutes ses
chevauchées. Progressivement, j’en devins
l’élément essentiel à cause du cri que je poussais pour
déclencher le feu de salve réglementaire et attendu.
Aucun sentiment d’infériorité devant mes coéqui -
piers, tous plus âgés que moi. Je donnais des ordres
aux uns, j’en replaçais d’autres… Tout le monde
m’écoutait comme si j’étais né sur le dos d’un
destrier. Lors d’une prestation, quand on s’alignait,
campés sur des selles en velours brodées de fls
d’or, les fusils bien droits en vue du départ, et que
les chevaux piafaient, je ne voyais plus personne.
Nous fusionnions, mon cheval et moi, faisant un
seul être. Les cris des spectateurs, leurs
encouragements devenaient inaudibles et les battements
des cœurs s’accéléraient. Quand les soufes
s’harmonisaient et que la tension était maximale, un
silence planait et là, je lançais mon cri inimitable, un
cri de départ qui montait des profondeurs et que je
ne pouvais aucunement pousser en dehors de cette
situation. Les étriers s’enfonçaient dans les fancs
8des équidés qui s’élançaient comme des fèches. Les
appels à l’aide au divin se multipliaient à tue-tête et
toutes les oreilles se tendaient pour ne pas rater le
fameux et inéluctable Oualhafd Allah ! (Ô ! Dieu
protecteur). La dernière syllabe n’était pas encore sortie
de ma bouche que tous les canons s’élevaient et alors
retentissaient les décharges de poudre et un nuage
blanc enveloppait les cavaliers. Une complicité
incroyable s’était établie entre les membres de mon
équipe et moi. Ils n’accepteraient plus personne
d’autre pour les guider dans des manifestations.
La fantasia n’était pas pour nous, les hommes,
un jeu, un divertissement, elle nous procurait un
sentiment de puissance, d’afrmation de soi très
masculin. C’était aussi une manière de prouver
son existence et l’existence de sa tribu, de dire au
monde qu’on était là, capables d’attirer l’attention
et d’être, ne serait-ce que le temps d’une œuvre, le
centre d’intérêt des spectateurs. Pour être au
niveau, on se préparait en groupe à l’entrée du douar
pendant quelques périodes de l’année, surtout
quand il faisait beau. On montait les chevaux sans
selle, on ne changeait pas de vêtements, gardant les
fusils déchargés. Pourtant, tout le monde s’app-li
quait comme s’il s’agissait d’une vraie
démonstration. Les cris montaient au ciel, ameutant ainsi les
oisifs, les femmes et les enfants. C’étaient toujours
des moments de plaisir et de connivence virile.
Sans les chevaux, notre vie aurait été autre, vide,
sans goût. On travaillait durement selon des règles
bien défnies pour susciter cette liesse et cette gra -
titude.
9Nous n’étions pas riches. Une tribu de petits fellahs.
Nous travaillions une terre relativement fertile qui
nous permettait de vivre à l’abri du besoin. Chaque
famille avait deux parcelles qu’elle cultivait en les
entourant de tous les soins. Une partie réservée à
la culture des légumes, particulièrement tomates,
oignons, pommes de terre, qui s’échelonnait tout
au long de l’année, et l’autre destinée aux arbres
fruitiers, notamment oliviers, orangers, fguiers
et abricotiers. Chaque foyer possédait une étable
où s’engraissaient quelques veaux, deux ou trois
vaches et quelques moutons dont l’un serait
sacrifé lors de la fête de l’aïd El Adha.
Les femmes étaient les premières à quitter le lit
le matin. Après la préparation du pain et du petit
déjeuner, elles glanaient des brassées d’herbe pour
nourrir les lapins et ramassaient du bois pour
alimenter le four en terre. Les enfants, eux aussi,
aidaient aux travaux champêtres. Ils gardaient les
bêtes, sarclaient, participaient aux récoltes… mais
surtout conduisaient les ânes chargés de denrées
devant être livrées en ville. En fait, notre douar
se situait à quelques kilomètres des premières
constructions de la ville de Marrakech. Pourtant,
nous n’avions rien à voir avec les citadins, nous
étions des campagnards et nous en étions fers.
Nous avions nos traditions, nos habitudes et nos
comportements, notre cuisine et notre manière
de nous habiller… On nous appelait les arroubi, les
rustiques, et cela nous honorait au lieu de nous
déranger, cela mettait en valeur le côté authentique
qui subsistait en nous, qui refusait de disparaître
10de notre mode de vie. On parlait sans foritures,
on mangeait sans manières, on s’habillait
simplement, portant souvent la djellaba. Quelquefois je
me rendais à Marrakech, j’aimais ces intrusions
dans la ville, parcourir ses ruelles derrière notre
baudet qui les connaissait très bien. Cependant, ce
que j’aimais le plus, c’était le retour quand je
chevauchais l’animal et le laissais me ramener chez
nous. Très tôt, une communication s’était établie
entre ma monture et moi. Avant même que je lui
donne un ordre, l’animal l’exécutait comme s’il
lisait dans mes pensées. Quand il était malade ou
fatigué, je ne le montais pas, je le dorlotais. D’ail -
leurs, la première fois où quelques cavaliers de
mon douar m’avaient repéré, c’était en rentrant
d’une course en ville. Je laissais courir mon âne, me
fant complètement à lui sans aucune bride, je
voletais après chaque galop avant de retomber
mollement sur son dos. Ma djellaba, gonfée par l’air, me
donnait l’impression de quitter le monde terrestre.
— Quelle brillante manière de chevaucher un âne,
dit le plus âgé d’entre eux, c’est un enfant qui va
avoir un bel avenir en fantasia.
— Il est libre sur son âne mieux que certains de
nos cavaliers, ajouta un autre.
— Pourquoi ne pas l’intégrer dans la troupe, il fera
l’efet d’une feur dans un champ verdoyant,
renchérit un troisième.
— Vous ne voyez pas qu’il monte un âne ? C’est
un âne et non pas un cheval, rétorqua un
quatrième, ce n’est pas la même chose.
11Le vieux trancha en leur disant qu’il fallait me voir
sur un cheval.
Le lendemain, après les travaux des champs, au
moment où le soleil change de couleur, devient
rouge comme un grand plateau circulaire en cuivre,
mon père, sans préavis, me prit par la main et me
conduisit à la grande place où on faisait d’habitude
les répétitions. C’était une place couleur d’argile.
Un pur-sang m’attendait et tous les cavaliers
réunis me fxèrent du regard. Mon père s’inclina pour
me chuchoter à l’oreille : « Tu vas monter ce cheval
et tu vas leur montrer ce dont tu es capable. » Je fus
pris au dépourvu, mais je ne pouvais pas désobéi

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