Enquête sur un désir
183 pages
Français

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Enquête sur un désir , livre ebook

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183 pages
Français

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Description

Une rencontre entre une psychothérapeute et sa patiente, Sandra. Ici, c'est l'analyste qui raconte. Elle s'attache à recomposer par l'écriture le parcours d'une vie, celle de sa patiente, qui peu à peu l'intrigue et la fascine par ce qu'elle a en elle de douloureusement névrotique. Aussi, dans l'alternance permanente du présent et du passé, elle nous dessine le portrait attachant de cette Sandra à la recherche de son désir, avec en toile de fond l'Italie, du fascisme à l'après-guerre, et le Paris des années 80.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2010
Nombre de lectures 57
EAN13 9782336280967
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296126312
EAN : 978229612312
Enquête sur un désir

Teresa Matteucci
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Epigraphe I - AU-DELÀ DU SEUIL II - LE FIL D’ARIANE III - L’AMOUR AU TEMPS DE L’ANALYSE IV - LES RAVAGES DE L’ABSOLU V - D’UNE FIN POUR UN COMMENCEMENT Épilogue Remerciements
À Ginevra, Laura et Marcello
« Où est notre première souffrance ? Elle est née dans les heures où nous avons entassé en nous des choses tues. »
G. Bachelard, L’Eau et les rêves
« C’est du désir que naît la volonté. »
Diderot
I
AU-DELÀ DU SEUIL

1
Prénom Sandra
– J’habite tout près de chez vous. Et c’est la seule raison pour que je vienne vous voir, ce court trajet, me dit-elle, avant même de s’asseoir en face de moi.
Déjà agressive au premier abord. Je me blinde et l’invite doucement à s’installer.
De beaux cheveux lumineux, de longs cheveux de jeune fille, lui cachent une partie du visage tendu, clos. Son corps, plutôt menu, semble pourtant l’encombrer. Sans ressort, sans élan, posé sur ce fauteuil comme un poids mort.
Je lui adresse ma question habituelle :
– Qu’est-ce qui vous amène ici ?
Saillant sur son front, une petite veine s’est mise à gonfler :
– Ma mère est morte l’année dernière. Je fais ce que vous appelez une dépression. Affreuse. Je voudrais mourir à mon tour. J’y pense tout le temps. Mais je n’arrive pas à me foutre en l’air…
Elle parle bien français, en dépit d’un léger accent. Brusquement, le ton monocorde de sa voix basse vire à la colère. Je me tasse contre l’assaut qui va vite déferler, violent, dramatique : une sorte de crue noire de mots extrêmes. Elle peste contre les médecins. Trouve « inutile et dérisoire » toute tentative de s’en sortir par « cette espèce de comédie ridicule » qu’est l’analyse.
– Vous êtes tous des corbeaux, s’écrie-t-elle, vous foncez sur nos plaies ouvertes pour nous bouffer de l’argent !
Apparemment imperturbable, je la laisse se défouler, s’épuiser. Puis je contre-attaque :
– D’abord, personne ne vous oblige à venir ici, lui dis-je d’une voix aussi calme et détachée que possible, c’est bien clair. Cela vous regarde. Vous êtes tout à fait libre et vous le serez toujours. Mais si vous décidez de me revoir, sachez que je ne me prêterai pas à votre jeu de l’échec. Je ne vous accepterai que si vous vous engagez à réussir. Dès le début. Et quel que soit le résultat. C’est ma seule condition : à prendre ou à laisser.
Et je me lève pour la congédier.
Affaissée sur son fauteuil, elle me regarde, ébahie. Désarmée. Vidée. Cela me fait mal cette dureté nécessaire face à une telle souffrance. Mais je reçois de ses mains aux ongles torturés l’argent du rituel.

Je suis à mon deuxième mois de grossesse et à mes premières années de profession de médecin psychothérapeute. L’après-midi, je consulte à mon cabinet. Deux matins par semaine, c’est l’hôpital : des malades, ayant raté leur suicide, émergent prostrés ou furieux – et parfois affreusement blessés – de leurs comas ou de leurs trop longs sommeils. C’est dur, mais j’aime mon métier.
En ce début de l’année 1980, j’ai décidé de tenir un journal. Ou plutôt un carnet de notes, très personnel, concernant mes impressions et mes réactions face à certains de mes patients. Ce sera mon exutoire, pour me détendre et me libérer un peu, en écrivant, du jargon habituel de la psychanalyse.
Cette dernière patiente en fin d’après-midi m’a particulièrement intriguée : son ton, sa violence, le regard noir qu’elle m’a lancé sur le seuil de la porte, avant de se précipiter dans l’escalier.
Je relis sa fiche :
Nom : S…
Prénom : Sandra.
Mariée. Une fille de 17 ans.
Âge : 45 ans dans quelques mois.
Profession : aucune actuellement. Italienne, elle a enseigné le français dans son pays, avant de s’installer à Paris il y a cinq ans.
Adresse : tout près d’ici, en effet.
Je me demande, perplexe, si je la reverrai.
Cela fait déjà quatre mois qu’elle vient régulièrement, mais avant chaque séance je me surprends à l’attendre. Elle m’intrigue autant que je la redoute. Car il s’agit d’une grande névrosée : d’un os, et de taille. Je vois qu’elle fait partie de ces êtres qui se sont engloutis depuis longtemps dans les sables mouvants de leurs arrière-pays d’ombres. Un jour, des voleurs innocents – ou tout au plus inconscients – ont saccagé leur désir , voulant le remplacer par ce qui leur faisait plaisir à eux-mêmes. Violés par ce troc inacceptable, ils errent d’un rôle à l’autre, en quête d’un trésor perdu. C’est le même mécanisme destructeur avec – à la source – une histoire toujours différente. Quelle est donc l’histoire de Sandra ?
Si seulement elle avait pu être une actrice, une actrice professionnelle, pas ce funambule hardi et pathétique, perpétuellement hissé sur son fil, sans projecteurs, sans public, sans applaudissements, sans filet surtout. Très casse-cou dans ses différents rôles, elle y est toujours aussi vraie : embêtante et drôle, révoltée et docile, courageuse et vulnérable, elle passe des larmes au sourire, des gros orages aux embellies soudaines. « Contre vents et marées… », toujours sans masque.
Pour l’instant, elle semble avoir accepté la règle du jeu et s’y soumettre. Mais elle arrive en retard à chaque rendez-vous.
Et pourtant, le jour où elle était revenue, elle arborait un masque. Questions très polies sur le travail à faire, si ce serait du divan ou du face-à-face (ce serait du face-à-face), sur la fréquence des séances, leur durée, leur prix. Agenda déjà prêt pour établir son planning. Courtoisie. Gentillesse. Respect. Où s’était donc cachée la rage immense qui l’habite et la ronge ? Et cette douleur désespérée, apparemment sans répit, sans remède ?
Elle avait poussé la performance de son self-control affiché jusqu’à à vouloir me débiter sur-le-champ une sorte de curriculum vitae strictement chronologique et anodin. Le tout raconté sur le ton impersonnel que l’on réserverait au percepteur des impôts ou à n’importe quel autre fonctionnaire de l’administration.
Seule, la petite veine saillante du front se dérobait à son insu de ce calque figé tout au long de son récit.
J’ai donc appris, entre autres, qu’elle est née, avant la dernière guerre, dans une petite ville de province du centre nord de l’Italie, d’un père avocat et d’une mère institutrice. Qu’elle a un frère de deux ans son aîné. Dans l’après-guerre, sa famille s’est déplacée à Bologne. C’est dans cette ville qu’elle a fréquenté – « brillamment », elle y tient – le lycée et l’université, et que son père est mort lorsqu’elle n’avait que vingt ans.
Ce raccourci incolore me fournit cependant un certain nombre d’indications sur Sandra : son orgueil d’abord. Féroce. Elle tient à affirmer qu’elle a bien réussi ses études et qu’elle a toujours eu un travail jusqu’à ce que les circonstances l’en aient empêchée.
Je lui demande alors si elle ne souhaiterait pas retrouver une occupation.
– Bien sûr, me répond-elle vivement, à condition d’en avoir enfin la possibilité ! Je n’ai vu que des hôpitaux, ces derniers temps… Et puis, j’aimerais tomber sur quelque chose qui me plaise. N’ayant plus la nécessité de gagner ma vie, ce serait frustrant de payer des impôts pour un travail quelconque quand le salaire de mon mari est désormais plus que suffisant. Mais, reprend-elle sur un air de défi, je suis toujours prête à accepter des propositions qui m’intéressent.
Le parcours de sa vie doit avoir été étrangement accidenté. De son récit, ou de ses omissions, j’entrevois des lignes sans cesse brisées. Je ressens des zones d’omb

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