Etrangère
105 pages
Français

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Etrangère , livre ebook

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Description

"On arrivait dans des pats que nous ne comprenions pas et quand on arrivait à les comprendre, c'était pour mieux nous éloigner de ce que nous avions été. Quoi que nous fassions, nous étions perdus." Ainsi s'exprime Selma, le personnage de ce roman qui parle de l'exil à travers l'histoire d'une jeune fille qui, après avoir fui son pays en proie à une guerre civile, pense avoir touvé en Europe paix et sécurité...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2010
Nombre de lectures 168
EAN13 9782296709669
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Etrangère
 
 
 
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-13126-2
EAN : 9782296131262
 
Kafia Ibrahim
 
 
Etrangère
 
 
L’Harmattan
Je suis venue me réfugier en Europe pour fuir la guerre en Somalie. Je laissais derrière moi une partie de ma famille ; j’avais déjà un frère parti à l’étranger. On m’avait conseillée de partir vers l’Angleterre mais mon passeur décida de m’abandonner quelque part en France, dans une gare. Il me laissa en prétendant qu’il avait été repéré, que notre voiture avait été suivie et que, s’il ne m’abandonnait pas là, il risquait d’être contrôlé et que lui n’avait rien à craindre mais que moi, n’ayant pas de papiers, je serais expulsée et que tout l’argent que ma famille avait dépensé pour ce périple serait perdu. Plus tard, en rencontrant d’autres réfugiés, j’ai su que c’était une tactique pour éviter la longue route incertaine vers l’Angleterre et que de toutes manières, comme il avait déjà empoché son dû, je n’avais aucune prise sur lui. Il fallait juste accepter.
 
Je n’ai pas eu d’autre choix que de descendre de la voiture. Il me conseilla d’entrer dans la gare, de chercher un banc et d’attendre que quelqu’un fasse attention à moi. Il me dit que je n’attendrais certainement pas longtemps avant que la police ne me remarque, car elle me remarquerait, me dit-il, avec mon accoutrement qui semblait si bizarre dans ce pays.
 
J’ai suivi son conseil. Heureusement que c’était en semaine et que la gare n’était pas bondée sinon il se serait passé plus de temps avant que la police ne remarque cette pauvre fille paumée dont les yeux étaient rivés au sol. Au bout d’une heure d’attente, un policier en uniforme se dirigea vers moi et me dit quelque chose que je ne pus comprendre, ne parlant évidemment aucun mot de français. J’essayai de me rappeler de l’anglais que j’avais appris dans les cours du soir où ma mère m’envoyait. En 1973, le gouvernement somalien avait décidé que notre pays n’avait pas besoin de langues étrangères et avait donc imposé le somali comme langue officielle du pays, en mettant en place une politique d’alphabétisation qui n’était pas sans intérêt car elle permit aux gens de la campagne d’apprendre à lire et a écrire mais, en bannissant toute langue étrangère, le pays se retrouvait isolé. Ceux qui avaient les moyens envoyaient leurs enfants dans des écoles privées pour apprendre l’anglais ou même l’italien, le Sud du pays ayant connu une brève occupation italienne.
 
J’en reviens au policier qui comprit ce que j’essayais de lui expliquer c’est-à-dire que quelqu’un m’avait abandonnée là. Il s’éloigna pour en référer peut-être à un supérieur et il revint avec un autre policier ; j’essayais de lui répéter mon histoire, mais celui-ci ne comprenait pas du tout ce que je lui disais ; toujours est-il que le premier commença à servir d’interprète ; je pense que le deuxième policier était plus gradé. Je commençais à avoir peur. Qu’allaient-ils décider ? Mais ils n’avaient vraiment pas l’air méchant et paraissaient plutôt contrariés en se demandant certainement pourquoi cela était tombé sur eux. Finalement, le policier essaya de m’expliquer qu’ils allaient m’emmener dans un poste de police pour prendre ma déposition et qu’ensuite ils appelleraient un organisme social qui peut-être me prendrait en charge. Je ne savais pas ce que ce que cela voulait dire mais je ne sais pas pourquoi, ma peur commençait à s’estomper. Dans les yeux de ces deux policiers, je ne voyais que de la pitié et de la compassion et je me disais que ce n’étaient certainement pas eux qui allaient me reconduire à la frontière de leur pays et me refouler vers l’Italie d’où je venais.
 
Nous sortîmes de la gare et je fus happée par le froid ; on n’était qu’au mois d’octobre mais je grelottais. Je jetais un coup d’œil à tout ce qui m’entourait et à quoi j’aurais pu prêter attention en d’autres circonstances mais je n’avais pas la tête à cela. Incertaine sur mon avenir, je me sentais malgré tout en sécurité, n’entendant plus les bruits des balles et des teknikos comme on appelait en Somalie cette sorte de canon que les jeunes miliciens transposaient sur une voiture dont ils avaient arraché le toit et qu’ils faisaient gronder pour un rien, quelquefois pour dire aux milices des factions rivales qu’ils étaient toujours là et qu’ils allaient riposter en cas d’attaque. C’était une guerre qui n’avait plus aucun sens, sauf pour ceux qui tombaient tous les jours et ceux qui les pleuraient tous les jours aussi. Elle n’avait plus de sens sauf pour ces familles qui avaient tout perdu et qui fuyaient sur les routes avec un paquetage sur la tête. Elle avait un sens pour tous ceux qui avaient dû tout quitter et surtout un pays qu’ils aimaient et qui se retrouvaient sur les chemins de l’exil, à quémander l’aide des pays occidentaux qui en avaient un peu assez de venir en aide aux victimes d’une guerre de plus en Afrique … il en y avait toujours une quelque part dans ce continent oubliant souvent que malgré tout (et malgré une grande part de responsabilité de nos dirigeants) c’était le résultat des situations qu’ils avaient créées un siècle auparavant par des partages de territoire insensés mais qui leur convenaient ou de nos jours parce qu’ils maintenaient au pouvoir des dictateurs dont les populations ne voulaient plus mais avec qui ils avaient des arrangements secrets.
 
Je pensais à tout cela en regardant défiler devant moi la ville et ses lumières. Depuis la guerre, j’avais l’habitude d’une ville morte la nuit, mais ici je voyais des rues bondées et des gens pressés.
 
La voiture commença à ralentir et entra dans une cour. Le policier qui parlait un peu l’anglais m’apprit que nous étions au siège de la police de la ville. Je commençai à me redresser. Il m’ouvrit la porte et je le suivis. Dans le couloir étaient assises plusieurs personnes, qui me dévisagèrent d’un air étonné. Il est vrai que j’avais le diri traditionnel des Somaliennes avec un châle sur les épaules. Il nous fit entrer dans un bureau où apparemment les gens présents nous attendaient ayant peut-être été averti de notre arrivée. Tout se passa très vite ; on prit ma déposition, qui ne consistait qu’à dire les circonstances de mon arrivée et ils téléphonèrent à la Croix-Rouge qui envoya quelqu’un pour me prendre en charge. Une fois dans la voiture et sortie du poste de police, je me sentis soulagée, je me disais qu’un éventuel refoulement à la frontière n’était pas à l’ordre du jour, ce soir-là en tout cas.
 
Le jeune homme qui était venu me chercher me posa quelques questions ; le problème de la langue se posa à nouveau et lui aussi fit appel à son anglais scolaire ; je réussis à lui faire comprendre mon itinéraire, mon identité mais surtout il me dit qu’il allait me trouver une chambre dans un hôtel pour la nuit et que le lendemain, à l’ouverture des bureaux, le responsable du service prendrait une décision quant à mon hébergement. Il s’arrêta en cours de route pour m’acheter des objets de première nécessité et quelque chose à manger car maintenant que la tension s’était relâchée je commençais à avoir faim. Les emplettes effectuées, il m’emmena dans un petit hôtel situé en dehors de la ville où ils avaient apparemment l’habitude de loger les réfugiés comme moi. Là il prit une chambre, m’installa avec les courses et ce jeune homme qui me dit s’appeler Cyril me dit qu’il reviendrait le lendemain dès dix heures ; il me dit aussi qu’il ne fallait pas que je m’inquiète que j’étais enfin dans un pays en paix et qu’il fallait maintenant, que je me concentre sur l’avenir et que dans l’immédiat je devais me reposer. Je le remerciai. Personne ne m’avait montr

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