FICTION D UN DEUIL
144 pages
Français

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FICTION D'UN DEUIL , livre ebook

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Description

« Près de l’album poussiéreux où tes quarante-cinq tours sont restés rangés dans les fourres en plastique, quelques photos de famille jaunies, le vieil appareil que je t’ai longtemps vu autour du cou et tes livres. Je les ai tous lus. Des feuillets dépassent du « Vieil homme et la mer »… Je les retire… reconnais ton écriture…»A la découverte d’un manuscrit laissé par son père parmi les romans et les vieux disques de blues, le narrateur se voit projeté dans un autre monde, gardé sous silence. Lecture d’une histoire, d’une enfance à Meknès. Fiction d’un deuil : un troublant récit à deux voix, d’une force poétique poignante.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9789954744529
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

FICTION D'UN DEUIL
romanDu même auteur :
• La mémoire des temps, Roman, L’Harmattan 1998.
• Etreintes, L’Harmattan, 2001.
• Le Cénacle des Solitudes, Roman, L’Harmattan 2004.
• Fiction d’un deuil, Paris, l’Harmattan, 2009.
• Au Café des faits divers, La Croisée des Chemins, 2014, Prix Softel.
• L’espace Transcendé, monographie d’Abdallah Sadouk.
• Saâd Ben Cheffaj, monographie, Atelier 21, Casablanca.
© Editions Marsam - 2019
Ateliers : 6, rue Ahmed Rifaï
(Près place Moulay Hassan ex. Pietri) Rabat
Bureaux : 15, avenue des Nations Unies - Rabat
Tél : 05 37 67 40 28 - Fax : 05 37 67 40 22
e-mail : marsamquadrichromie@yahoo.fr
Compogravure flashage
Quadrichromie
Impression
Imprimerie & Editions Bouregreg - 2019
Dépôt légal : 2019MO0377
I.S.B.N. : 978-9954-744-52-9Bouthaïna Azami
FICTION D'UN DEUIL
roman A mon père
Couverture
Autoportrait de l'auteur
Technique mixte sur bois
200 x 200 cm, 2018 J’ai appris ta… D’une façon si abrupte… Comment
y croire ? Pourrai-je seulement un jour prononcer
ce mot ? On l’a prononcé pour moi et j’ai encore qui
tourne dans ma tête cette voix, cette phrase, « ta famille
n’arrive pas à te joindre, ce n’est pas à moi de te dire ça,
mais…», et j’ai tout de suite compris, et j’ai éclaté en
sanglots en t’appelant de l’éructation rauque, bestiale,
d’un animal qu’on égorge et la voix au bout du fl qui
hésite, bafouille, « Ton père est », se glisse dans le blanc
d’une suffocation pour asséner le mot fatal. « MORT ».
Je n’écoute plus. J’entends crier mon nom, très loin,
comme un écho, mais je n’écoute plus… Cette phrase-là,
je l’ai crainte toute ma vie. Je l’ai imaginée, soufferte,
crainte, oui. L’attente de cette phase, de ce mot-là,
m’a empêché de vivre. Toute ma vie. Et ma peur s’était
amplifée au fl des ans, au fl des peines, au pesant de tes
paupières de plus en plus lourdes et à l’embu de tes yeux.
Je t’aime. Petit, déjà, très tôt, j’ai compris la mort dans
la chute des oiseaux, la désolation putride des chiens
écrasés sur le bitume et l’hystérie cachottière, chaotique,
glaçante des femmes… qui hurlent… et défont leurs
cheveux et se frappent les cuisses et s’arrachent les joues
et libèrent leurs seins à coups de griffes frappés dans
les tissus en invoquant Dieu le regard à l’envers… se
taisent, soudain, à l’approche des enfants… qui savent…
sans savoir… ne comprennent pas vraiment… Tremblent
quand même… Devinent… très vite… Plus vite qu’on
ne le croie… Qu’elles ne le croient… Et petit, déjà, j’ai
appris à craindre le moment où tu ne serais plus. J’étais
sûr que je mourrais aussi à cet instant.
6 Bouthaïna Azami
Je ne suis pas mort. Etonnamment, je t’ai survécu. Je
suis comme tout le monde, ou beaucoup d’entre nous :
idéaliste et lâche. Traître à mes amours et à mes idéaux
enfantins. Je me rappelle que tu riais de mes grandes
idées. Tu m’avais dit, un jour : « Tu te souviens de ce
que tu disais ? Tu me disais toujours : il vaut mieux
vivre peu mais vivre bien, libre et heureux, que mourir
vieux et aigri par une vie sans intérêt, vide et misérable.
Tu penses toujours la même chose, dix ans après ? » Et
j’avais hésité à répondre. Je ne savais plus très bien. Je
ne savais plus vraiment ce que ces mots-là pouvaient
bien vouloir dire, «libre », « heureux »… Je me suis
senti un peu bête… Déconcerté… Mais tu as eu ce rire
attendri qui me remplissait d’une drôle de chaleur et me
réconciliait avec tout, avec moi-même surtout…
Je ne suis pas mort. Je suis encore là, à chercher des
traces de toi. Je réécoute tes vieux disques, ceux qui
ont bercé toute mon enfance et mes rêves d’adolescent
romantique, et un peu noir. Il y a là le premier
quarantecinq tours de Johnny, Dutronc qui chante « J’aime les
flles », Paul Anka et, surtout, Fats Domino. Je passe le
disque en boucle… Chante avec lui, de ma voix cassée
par l’angoisse saisissante de ton absence : « And I
just cry, Cry cry cry, All the time, All the time… ». La
voix liquide remplit la pièce d’une vibrante nostalgie,
enivrante et cruelle à la fois. J’ai l’impression de sentir
ta présence. Comme un bruissement d’ailes. Un souffe
me traverse. Un peu froid… Je frissonne. Tu es là. Je te
souris. Je sais que tu es là. J’ai envie de te dire, comme
à l’époque où j’avais découvert ces disques que je
m’étais accaparés comme un trésor : « Tu es trop cool ! Fiction d'un Deuil 7
Tu écoutais ça ? C’est génial ! ». Je tourne le disque.
« Please don’t leave me, Baby please don’t go… ». Près
de l’album poussiéreux où tes quarante-cinq tours sont
restés rangés dans les fourres en plastique, quelques
photos de famille jaunies, le vieil appareil que je t’ai
longtemps vu autour du cou et tes livres. Je les ai tous
lus. Baudelaire, Camus… Des feuillets dépassent du
« Vieil homme et la mer »… Je les retire… reconnais
ton écriture… les parcours le cœur battant. Tes mots
me pénètrent, sauvages. Je te lis, lentement. Ton visage
tremble à la surface des pages où se délient les lettres
d’une écriture toute de cambrures, délicate, féminine.
Mon cœur bat à me faire mal. Je frissonne de mourir à
l’épreuve de ces mots qui tournent encore en moi :8 Bouthaïna Azami
Il était une fois
Il y a bien longtemps
Des siècles et des siècles
Un pays d’eaux vives et d’oliviers où les hommes
s’abreuvaient aux miracles des pierres, se nourrissaient
des prodiges des terres étendues à leurs pieds et à perte de
vue jardin pourpre et de jade. Et ces hommes n’y avaient
de plus grande ferté que ces arbres dont, de l’automne
à l’été, ils savouraient les lentes métamorphoses dans le
dépli des temps, quatre, déroulés cercle parfait, rivière
perlée à l’ambre du levant et au minuit des lunes, au
frimas des hivers grêlés cristaux de verre, aux larmes
des zéniths coulant d’or et de braise des fèvres mêlées
ocre aux cambrures des dunes. Fiction d'un Deuil 9
Meknès… Je n’ai jamais vraiment parlé de toi… Sauf
à mon fls, parfois… De tes maîtres, de tes mythes et
de tes portes, closes, tes cent portes dressées barricades
comme autant de remparts entravant mes désirs, comme
autant de barrières érigées hostiles à l’étranger que je
suis devenu... Ville aux cent portes et aux cent minarets ;
pour chaque porte fermée, il y a une voie vers Dieu,
disait mon père, ce récitant, qui ne parlait que par versets,
pour chaque porte fermée il y a une voie vers Dieu et
j’ai cherché, pendant longtemps, ce verset parmi les
Sourates du Coran... moi... qui accueillais chaque souffe
de lui obscure mélopée d’un chant irrévélé qui me traçait
volutes impénétrables voies... Mais... je ne peux me
résoudre à d’autre voie que toi, malgré ces yeux de rides
qui lacèrent mes traits et matin... incertain... court dans
mon souffe et oint exhalaisons de souffre... Ce destin
sans visage, désormais, et dans bris de miroir ma peau
parcheminée, cette image fêlée où je me cherche en vain,
le regard égaré par delà mille fentes que je suture plaies
ou macabres ratures... de ma vie... fnissante... féchie
à même mon corps... où la mort me soudoie paisible
cécité, mais….
Je n’ai pas le temps de mourir maintenant.
Tranchés vifs au fl aigu des insomnies, mes yeux se
refusent à céder à des nuits où tu ne serais pas...
Où tu ne serais plus...
Et j’ai vieilli... d’un seul coup... de pioche... dans
cette terre ouverte10 Bouthaïna Azami
Bouche
Obscène
Lèvres tendues vers toi absenté à l’effroi d’une
dernière infamie dont seul Dieu peut répondre et j’ai
blanchi soudain… Vieillard... précoce... Qui traîne ton
absence éternelle agonie agrippée à mon cou...11
Meknès...
Mon père portait le nom du plus puissant de tes
sultans... Celui qui t’a bâtie palais et mausolées,
mosquées et minarets sur les ruines des kasbah, t’a
ceinte, dieu jaloux de ses propres miracles ou amant
suspicieux jugulant les oracles que tes charmes surfaits et
de ses mains fardés lui promettaient ardentes honteuses
trahisons, d’une muraille plâtrée courroie de chasteté
dont il ne reste plus aujourd’hui que les portes, closes,
cent, dérisoires cadenas, plantés là dans la terre massives
solitudes où Dieu même a laissé gravées soupirs de stuc
cursives convoitises, platoniques étreintes.
J’ai été bien déçu d’apprendre que mon père, pour
vénéré qu’il fût, n’était pas ce saint qu’on invoquait à tout
instant, Patron des morts, des vivants à mourir, des âmes
errantes ou provisoirement vives, des femmes, surtout,
qui l’imploraient au moindre geste, Moulay Ismaïl, au
plus petit pas, manquant à chaque souffe de passer à
trépas, femmes lasses et plaintives, toutes bourrelets
de temps macéré dans leur chair, femmes agonisantes
comme à perte de vie, ou à perte d’ennui et comme
pétries de mort, empêtrées dans leurs corps comme dans
magma d’empois mais qui reprenaient famme, à grands
cris et fracas, dans les plus bénignes des fractures des
jours, ces petites fssures taillées par le hasard dans le
rien quotidien tout de déserts sans fn, d’indéfectibles
faims suspendues, résignées, aux potences des désirs
tendancieux, sentencieux, ci-gisent corps informes, feus
fantasmes fgés, sacrifés à l’embâcle de froides cécités
où se glacent et se fgent d’éternelles attentes, jugées
irrecevables, et ma mère qui soupire et son corps qui
tressaille un bref instant défaille comme un monceau de 12 Bouthaïna Azami
glace sous le souffe des eaux sous le souffe des vents
sous les travers du temps, puis reprend silencieux son
statique naufrage, entre deux plaintes sourdes, Moulay
Ismaïl, et ce nom susurré entre ses lèvres bruit encore en
moi aujourd’hui obscur, insondable lapsus...
Non, mon père n’était pas ce Moulay Ismaïl que les
femmes haletaient, gémissaient, à tout vent.
Je l’aurai appris, à mes dépends, un jour d’avril
1947, le jeudi 10 avril, plus exactement, si j’en crois
les annales. Car je n’apprendrai que plus tard, bien plus
tard, grâce aux livres d’Histoire, à dater la mémoire,
certaines de ses scènes du moins, les souvenirs d’une
enfance occultée par

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