Journal d un sauvage
274 pages
Français

Journal d'un sauvage , livre ebook

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274 pages
Français

Description

Jusque-là, voyager lui parlait à peine. Hormis la déroute de sa famille qui avait dû quitter précipitamment le Brésil lorsqu'il était encore enfant, ainsi qu'un bref séjour dans les pays nordiques avec sa femme, il n'avait jamais eu l'occasion de découvrir le vrai visage de la terre. Aussi, même s'il n'était le précurseur de rien du tout, éprouvait-il un réel sentiment de satisfaction à l'idée de ne plus patauger dans le présent, de s'élancer, dans le sillage de Cook et Bougainville, à la conquête du Pacifique où scintillait plein de pognon...

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Informations

Publié par
Date de parution 02 septembre 2013
Nombre de lectures 10
EAN13 9782336322766
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Marcel BOURDETTEDONON
Le Journal d’un sauvage Roman
Le Journal d’un sauvage
© L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-01384-8 EAN : 9782343013848
Marcel BOURDETTE-DONON
Le Journal d’un sauvage Roman
Du même auteur : ESSAISLa Peinture centrafricaine, état des lieux, Éd. L’Harmattan, Paris 1997. Tchad 98, Éd. L’Harmattan, collection « Études africaines », Paris 1998. Les Enfants des brasiers, Éd. L’Harmattan, collection « Critiques », Paris 2000. Raymond Queneau, l’œil, l’oreille et la raison, Éd. L’Harmattan, collection « Critiques », Paris 2001. La Tentation autobiographique, Éd. L’Harmattan, collection « Critiques », Paris 2002. Le Rythme du corps (Céline, Fitzgerald, Borges, Calvino, Pleynet, Guyotat, Sollers), Éd. L’Harmattan, collection « Critiques », Paris 2003. Anthologie de la littérature et des arts tchadiens, Éd. L’Harmattan, Paris 2003. Queneau, le trouvère polygraphe, Éd. L’Harmattan, collection « Critiques », Paris 2003. Queneau, cet obscur objet du désir, Éd. L’Harmattan, Paris 2006. ROMANSLe Voyage de Salomé, Éd. L’Harmattan, Paris 2008. Amours nomades, Éd. L’Harmattan, Paris 2011. Crédits photographiques © Marcel Bourdette-Donon
 «Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique»  La Fontaine,Fables, III, 4
 Ce n’est pas parce que les faits présentés sont imaginés qu’ils doivent être irréels, pas plus qu’ils ne sauraient constituer un document sur la vie de tel ou tel archipel.
 Toute ressemblance avec des décors, des situations ou des personnages ayant essayé d’exister, aussi absurdes et incohérents puissent-ils paraître, ne serait que l’effet du hasard.
 Quant aux avis qui engagent les protagonistes, le lecteur est libre d’y adhérer ou de les rejeter mais en aucun cas d’y voir le reflet des opinions de l’auteur.
Livre I
Ce départ avait l'attrait des grands voyages, il allait découvrir un monde nouveau, partir à l'autre bout de la planète, à la rencontre de l'inconnu ! Il s'en allait, appareillait, prenait le large, gagné par une agitation fiévreuse. Pour l'instant, il était encore à Paris, dans le petit appartement qu’il occupait, passage des Deux Portes, avec sa femme et ses deux fils. Mais ce n'était qu'une question d'heure, il était sur le point de partir... de Paris, d'aujourd'hui, de zéro, comme il était venu, jadis, avec sa mère, de Rio. Tous les jours il observait dans le journal, au travail ou dans la rue, que la valeur d'une personne dépendait de son argent. L'argent transformait la nature humaine devenue plus ductile, plus malléable. L'argent rendait brillant. De ce point de vue, son métier ne l'avait pas mené loin et le peu de moyens laissait présager un avenir incertain. Aucun éclat, pas d’étincelle, ni le moindre rayonnement ! Son statut, longtemps synonyme de sécurité, n’offrait plus véritablement de garantie, si bien que n'importe quel autre emploi lui aurait certainement permis de vivre mieux. Il n'avait même pas l'opportunité d’améliorer l’ordinaire en effectuant une ou deux heures supplémentaires ! Et son dernier échelon ne menait nulle part. On évoquait la crise, avec un grand C. Celle du capitalisme et des vocations. L'enseignement avait du plomb dans l'aile ! De réformes en décrets, d'ordonnances en nouvelles lois, le travail grignotait les plus
farouches énergies, ne laissait plus de temps libre, pas grand-chose pour vivre et encore moins de satisfactions pour compenser. Juste les effets de privations quotidiennes sur l'estomac et des traces indélébiles sur les centres nerveux. Élargir les connaissances, agrandir le cercle du savoir, contribuer au développement de l'individu, favoriser l'épanouissement de la personnalité... tous ces beaux discours ne valaient plus, selon lui, la moitié d'un alexandrin ! Le footballeur avait évincé le philosophe. On admirait sa femme, on s’extasiait devant son auto… La vie des stars, les égarements des politiques ou la fortune des gangsters étaient devenus plus affriolants que les idéaux ressassés par de mélancoliques pédagogues qui râpaient leur fond de culotte sur les vieilles chaises des collèges de quartier. Autant dire que chez les abonnés du crédit en ligne,Le monde des missou les petits secrets de nos députés faisait un meilleur score que laCritique de la raison dialectique! L’époque était marquée par l’indolence, plongée dans l’indifférence et l’apathie ! Une pauvreté intellectuelle qui frappait le monde de la pensée, des idées, et permettait encore à quelques syndicats d’exister. L’économie, exténuée, n’avait pas apporté aux masses ouvrières un sou d’humanité. Les rêves de Jaurès étaient bel et bien enterrés ! Ne restaient que des contractuels, des CDD, des TZR, et des enseignants désorientés. Tous glissaient dans une sorte de fatalité sociale, s’accrochaient à ce qu’ils avaient ou qu’ils n’avaient pas et continuaient ainsi, sous le poids de contraintes de plus en plus fortes, dans une société de plus en plus oppressive, à mener une vie de plus en plus étriquée. La pauvreté gagnait du terrain dans les villes où se développaient des endroits où personne, jamais, n’osait mettre les pieds. Les chansons de Léo Ferré servaient de publicité pour la pâte à tartiner. Une foule de menus détails était en train de changer notre culture, mais ça, c’était le propre de l’histoire ! On ne mesurerait que plus tard l’impact que ces choses-là pouvaient avoir. Toujours est-il que ces petites métamorphoses s’accompagnaient d’un réchauffement général de la planète et d’un sérieux refroidissement dans les relations humaines. Jusque-là, voyager lui parlait à peine. Hormis la déroute de sa famille qui avait dû quitter précipitamment le Brésil lorsqu’il était encore enfant, ainsi qu’un bref séjour dans les pays nordiques avec sa femme, quelque vingt plus tard, il n'avait jamais eu l'occasion de découvrir le vrai visage de la terre ni vu d’autres baleines que celles de son parapluie ! Aussi, même s'il n'était le précurseur de rien du tout, éprouvait-il un réel sentiment de satisfaction à l'idée de ne plus
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patauger dans le présent, de s'élancer, dans le sillage de Cook et Bougainville, à la conquête du Pacifique où scintillait plein de pognon. Comme au temps des Lumières, il renonçait à découvrir le pourquoi des choses et se contentait du comment. On promettait un salaire indexé, neuf mois de prime et l'octroi d'un petit supplément destiné à couvrir d'éventuels frais de transport. Rien de très valorisant en somme mais si toutes ces promesses étaient tenues, le périple pourrait s'avérer rentable, mettre fin à leurs difficultés financières et lui permettre de revenir couler des jours heureux. Cette pensée vint tempérer ses inquiétudes, soulager la part d'angoisse qui demeurait un frein à sa gaîté. De toute façon, sa valise était prête, il ne pouvait plus reculer !... même si la cupidité qui l'entraînait, tel un conquistador, au bout du monde n'était pas sans provoquer quelques petits soucis. Il s’en allait comme un soldat, un missionnaire ou un marchand ! Sans avoir eu le temps ni la curiosité de se documenter ! Si bien qu'il ne possédait qu'une connaissance vague de l'endroit où il se rendait. Tout ce qu'il avait en tête, c'était une grosse part de rêve et une montagne de stéréotypes alimentés par le mythe de Robinson, les masques terrifiants, les tribus sauvages et les rituels étranges. Il ne s'élançait pas avec hardiesse, le couteau entre les dents ! Mais se sentait animé néanmoins d'une certaine témérité, mû par le goût du risque, à la recherche d'un souffle nouveau. Personne ne l'avait conduit à l'aéroport par cette belle matinée d’août, un peu fraîche mais ensoleillée. Tous l'avaient laissé s'envoler.
Au terme d'un long voyage, entrecoupé d'escales qui eurent pour effet de lui faire comprendre combien le bout du monde se trouvait éloigné, il descendit tout étourdi la passerelle et respira, aussi profondément qu'il pût, l'air humide et lourd du Pacifique. Malgré son nom pompeux, l'Aéroport International Toma Temole, situé sur l’île de Tonhuata, se présentait sous un jour charmant ! Aux antipodes de la gigantesque pieuvre de métal et de béton à laquelle l'homme aux cheveux blancs venait d'échapper quelque vingt-six heures plus tôt ! La petite aérogare lui ouvrait ses portes accueillantes qui s'incrustaient dans un ensemble aux allures de chalet suisse. Après avoir accompli les formalités d'usage, il pénétra dans un bâtiment épuré où l’unique tapis à bagages s'ébranla en chantant simultanément, sur sa droite, sans rien acheminer. En dépit de l'heure matinale une chaleur moite pesait. Il faisait déjà au moins trente degrés ! L’homme aux cheveux blancs sentait son corps suinter sous
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