Juste une question de cœur
92 pages
Français

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Juste une question de cœur , livre ebook

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Description

Dans cette parution Flore Hazoumé,au travers de ses 5 nouvelles, nous fait voyager au propre comme au figuré dans des contrées où la guerre, la haine, le racisme ont lacéré le coeur et l'âme des hommes.

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2015
Nombre de lectures 61
EAN13 9782372230162
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Flore Hazoumé
RECUEIL DE NOUVELLES
Juste une question de cœur
La réconciliation par les mots
CIV 3016
Email : info@classiquesivoiriens.com 10 BP 1034 Abidjan 10
Création et Réalisation de la maquette :Service PAO Les Classiques Ivoiriens Couverture(Guy_Roger NABO) •Coordination éditoriale(Juliette N’DONG) © Les Classiques Ivoiriens 2015 •ISBN :978-2-37223-016-2 Dépôt Légal :Editeur N°12071 du 22 juin 2015 • 02 Trimestre 2015
Juste une question de coeur
Juste une question de cœur
e professeur Sylvestre Digbeu, chirurgien au CHU, L entra accompagné d’un homme blanc vêtu d’une blouse blanche, dans la chambre où était couché un homme aux yeux clos.
Professeur Digbeu se pencha sur le malade un moment. Puis se tournant vers l’homme blanc, il lui dit d’une voix tremblante d’émotion :
 - Professeur Jullieux, je suis très heureux et fier de vous présenter celui que nous appelons notre miraculé. L’homme, couché sur le lit, s’agita en murmurant des mots inaudibles.  - Ah, continua le professeur Digbeu, il semble se réveiller. Monsieur, vous m’entendez ? demanda-t-il. Mais le malade retomba dans sa léthargie.
- Ah ! il s’est rendormi. Nous attendons impatiem-ment son réveil, nous sommes excités comme des enfants de voir et d’analyser ses réactions. Il faut dire, autant que lui, notre équipe revient de loin, continua-t-il en s’adressant au professeur Jullieux. Comme vous le savez, cette opération est non
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seulement la première du genre en Côte d’Ivoire mais nous l’avons effectuée dans des conditions extrêmes, presque sans hésiter.  - Effectivement, c’est ce que j’ai appris mais les témoins qui nous ont relaté cette extraordinaire histoire ne nous ont pas donné tous les détails, répondit le professeur Jullieux.  - Comme je vous l’ai dit, reprit le professeur Digbeu en se raclant la gorge d’un air satisfait, nous l’avons effectuée sans vraiment réfléchir. Cet homme est arrivé ici avec une balle de kalachnikov dans la poitrine. Son cœur était gravement touché. Il ne lui restait que quelques heures à vivre. Il agonisait sous nos yeux. Nous étions là, impuissants, lorsqu’est arrivé dans nos services le corps d’une personne décédée. Ses organes étaient intacts et nous avons décidé sur le champ, à la hâte, certes, de tenter le tout pour le tout et nous avons procédé à une transplantation. C’est le cœur de cette personne qui bat dans sa poitrine. Professeur Jullieux écoutait son homologue chirurgien sans rien dire, puis se pencha sur la poitrine du malade et écouta les battements du cœur. Il secoua la tête avec satisfaction, puis procéda à quelques gestes rituels dont seuls les médecins ont le secret. Pendant quelques minutes, le visage grave et impassible, le professeur Jullieux, sous le regard inquiet du professeur Digbeu, ausculta le malade. En inspecteur des travaux finis, il traquait la moindre anomalie. Tout y passa : le pouls et les paupières qu’il écarquillait et scrutait silencieusement. Le malade, dans
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son sommeil agité, avait ouvert légèrement la bouche, et avec dextérité le Professeur Jullieux réussit à lui examiner la langue puis hocha à nouveau la tête avec satisfaction. D’un geste solennel, il se tourna vers le professeur Digbeu, lui tendit la main et serra la sienne vigoureusement en disant :
- Toutes mes félicitations ! Votre opération est un véritable succès. Vous êtes la fierté de l’Afrique et de la Côte d’Ivoire ! Les fonctions mécaniques du cœur sont cohérentes et harmonieuses. Sur le plan strictement médical et chirurgical nous pouvons dire que l’opération est un franc succès.
Le professeur Digbeu sourit avec un immense soulagement comme un élève qui vient d’obtenir de son maître des bons points inespérés. Au moment où il ouvrit la bouche pour prendre la parole, des applaudissements troublèrent la quiétude de la chambre. Une dizaine de jeunes internes, rentrés subrepticement dans la chambre pour assister à la visite de l’éminent professeur, avaient rempli la salle, comme un essaim de blouses blanches, de leur bourdonnement admiratif.
Tel un acteur de théâtre, le professeur Digbeu attendit que les applaudissements cessent enfin puis, dans un silence religieux, reprit la parole d’une voix qui transpirait l’émotion et l’auto satisfaction.
- Vous ne pouvez pas savoir à quel point vos mots nous vont droit au cœur, répondit le professeur Digbeu ; c’est le cas de le dire, ajouta-t-il en
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riant. Puis avec un air grave et sur un ton plein d’emphase, il ajouta, vous savez, après ces flots de sang, cette avalanche de barbarie, cette période de folie dévastatrice, il a été notre bouffée d’oxygène dans la puanteur de la mort, l’espoir et l’étincelle de vie dont nous avions besoin pour continuer à faire notre devoir.
Etait-ce le bruit ? Soudain le malade commença à s’agiter, le professeur Jullieux dit d’une voix basse :
- Je crois que je vais prendre congé. Toute cette agitation risque de perturber le repos de notre célèbre patient. Et vous ! sachez que cet épisode horrible que votre pays a connu, vous a permis de faire sur le plan scientifique et médical un énorme pas en avant. Vous avez su tirer un avantage de cette absurdité que l’on appelle la guerre !
Le professeur Digbeu accompagna son illustre hôte puis revint au pas de course dans la chambre. Il lui avait semblé que son malade commençait à émerger. Il voulait absolument être là pour recueillir ses premiers mots. Les jeunes internes avaient entouré le lit du malade et semblaient le veiller comme un objet sacré, un fétiche tutélaire. A la vue de leur professeur, les jeunes internes silen-cieusement et respectueusement s’écartèrent pour le lais-ser passer. Le professeur Digbeu se pencha vers son malade et demanda :  - Monsieur Fofana vous m’entendez ? Si vous m’entendez, serrez ma main deux fois.
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Dieudonné Fofana sentit une main se saisir délicatement de la sienne. Dans son sommeil comateux, il entendit et comprit des bribes de phrases : opération, balle dans son cœur, transplantation. Dans un effort surhumain, il réussit à remuer un doigt, puis deux et enfin sa main tout entière, il enveloppa celle de l’homme en blouse blanche et, avec le peu de force qui lui restait, pressa la main de l’homme en blouse blanche qui d’un ton maternel lui dit :
- Ah ! Enfin vous revoilà, parmi nous. Comme nous sommes heureux ! Vous avez bien réagi à l’opération.
Il posa sa main sur le front de Dieudonné Fofana, prit son poignet, sortit un objet semblable à une torche de sa poche et le braqua sur ses yeux en lui écarquillant les paupières. C’est à ce moment-là que Dieudonné Fofana réalisa qu’un long et impressionnant bandage lui emprisonnait la poitrine jusqu’au nombril. Il voulut se relever mais une douleur fulgurante lui fit pousser un cri qu’il n’eut pas le temps de réprimer.  - Ne bougez pas et calmez-vous. Ne vous agitez pas.
On le fit s’allonger avec précaution. Dieudonné regarda autour de lui. Il prit conscience de la présence de la dizaine de jeunes gens aux regards attentifs et curieux qui l’observaient comme un animal de laboratoire. Une chambre aux murs immaculés, des rideaux couleur pastel, une petite télé éteinte suspendue au mur, une table de chevet, un homme vêtu d’une blouse affichant un sourire réconfortant dont seuls les médecins ont le secret. Il était
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à l’hôpital, dans une clinique ou bien dans la partie de l’hôpital réservée aux VIP, vu la propreté de la salle et la sollicitude du médecin envers sa si modeste personne. Que lui était-il donc arrivé pour atterrir là ? Dieudonné voulait poser des questions, mais sa langue était lourde et pâteuse et son esprit était hanté par des images confuses où se mêlaient des scènes d’hystérie, de violence et de sang. Des crépitements de kalachnikov qu’il était seul à entendre lui vrillaient les oreilles et fissuraient sa mémoire défaillante.Etait-celaconfusionquiselisaitdanssonregard? Le professeur Digbeu Sylvestre sembla enfin réaliser le désarroi dans lequel son patient se trouvait.
- Calmez-vous Monsieur Fofana. Nous allons vous expliquer ce qui s’est passé. Tout d’abord, je tiens à vous dire que, mon équipe et moi sommesheureux et soulagé de vous voir enfin réveillé.
Il marqua un temps d’arrêt. Le silence était total. Tout le monde retenait son souffle. Dieudonné avait l’impression d’être devant une assemblée de fidèles écoutant religieuse-ment leur maître à penser. Puis, avec cette voix particulière aux médecins et aux prêtres, invitant à la confidence, il lui demanda :  - Avez-vous un souvenir des événements qui se sont passés et qui ont bouleversé notre pays ces derniers mois ?
Dieudonné fit une moue qui signifiait qu’un gros doute obstruait sa mémoire.
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- C’est normal, vous avez subi un gros choc émotionnel et physique. Mais la mémoire va vous revenir peu à peu. Les élections présidentielles se sont très mal terminées. Il s’en est suivi des combats. Des milices se sont formées. L’armée s’est divisée en deux camps : Milices, rebelles et soldats se sont entre-tués. Abidjan était devenue un immense champ de batailles. Vous faisiez partied’une milice et vous avez été blessé au cours d’un combat. Nous avons eu, par miracle un cœur intact et nous avons tenté une transplantation. Vous êtes là, vivant devant nous ! Vous êtes un véritable miraculé et vous êtes la fierté de notre hôpital et du pays tout entier! Grâce à Dieu votre opération a été une réussite !
- Et grâce à votre expérience et à votre habilité, s’exclamèrent les jeunes internes d’une seule voix.
Alors que le chirurgien répondait avec une certaine suffisance aux questions de ses étudiants, Dieudonné Fofana passait une main songeuse et inquiète sur sa poi-trine corsetée. Les bandages formaient une carapace, il le savait, nécessaire à sa guérison, mais qui, dans son esprit après les révélations du chirurgien, semblait être une cage dans laquelle cet organe étranger était maintenu de force, du moins lui semblait-il. Le chirurgien se tourna à nouveau vers Dieudonné Fofana :
- Vos parents sont venus vous voir tous les jours pendant que vous étiez inconscient, car nous vous avions plongé dans un coma artificiel.
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