L Autre côté
107 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

L'Autre côté , livre ebook

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107 pages
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Description

Peu de ressemblances, apparemment, entre le gréviste immolé et l'employé des pompes funèbres amateur de massages érotiques, entre l'enfant pervers assommé par l'ennui et l'homme qui cherche un "autre côté" que nul ne peut toucher. Pas davantage entre le couple formé par un nain et une géante, et les amoureux qui font sauvagement l'amour au bureau... Un trait commun, cependant, chez la plupart des personnages de ce recueil : la fuite intérieure, vécue comme une fatalité, et qui, le plus souvent, les conduit à l'irréparable. La tonalité est noire. Nous avons là une suite d'univers étonnants et dérangeants.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2009
Nombre de lectures 35
EAN13 9782296684157
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’Autre côté
Du même auteur


Aux Éditions Calmann-Lévy :

L’Homme empaillé , roman ;
Les Coupables , roman ;
Une folle histoire , roman.


© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www. librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-09995-1
EAN : 9782296099951

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Pierre Ferrard


L’Autre côté


Nouvelles


L’Harmattan
JOUR DE GRÈVE
Il s’habillait plus lentement que d’ordinaire car, aujourd’hui encore, on faisait grève. Il le savait, il le vivait, enfilant son pantalon et voyant, de l’autre côté de la cour, les lumières déjà dans les petits logements. Mais c’était différent des autres matins de grève. Un rien en apparence : le bidon sous la table.
Il regarde le bidon, il le regarde sans penser mais tout en sachant que c’est très important, très grave. Le bidon n’a pas bougé depuis la veille. Il le saisit fermement : c’est lourd. Il se reproche de l’avoir trop rempli.
Les voitures roulaient encore phares allumés. Il a longé la rue déserte, la série de volets métalliques clos, et bien avant l’abri de bus il s’est arrêté pour vider une partie du bidon derrière la barrière d’un terrain vague.
Le bidon sur la banquette près de lui comme son enfant. Il n’a pu s’endormir dans le bus comme il le faisait souvent en se rendant au travail le matin. Ce n’était pas seulement à cause du bidon : il en allait ainsi depuis le début de la grève, depuis que les piquets s’installaient quotidiennement devant la porte principale de l’usine, se relayant comme des marins pour le quart et subissant les percées systématiques de la police. Et il aurait pu dire qu’il découvrait le paysage par la fenêtre du bus, bien qu’il eût parcouru ce chemin presque chaque jour depuis bientôt trois ans. Les cheminées, les fabriques et les hangars. Murs sanguins, noircis.
Enfin il a aperçu l’usine : espèce de chapiteau hérissé de pointes qui l’avait toujours fait penser à une pelote d’épingles. D’ici on ne voyait pas les grévistes ni les cars de police, et l’on aurait pu croire que c’était un matin banal, qu’il allait pénétrer dans l’enceinte avec les autres. Lorsque le bus s’est arrêté, il a caressé un peu le bidon de sa main droite. Il suait dans le dos, une sueur glacée.
Des cris un peu partout. On le saluait. Le bidon à la main il entendait le bruit de liquide contre sa jambe, aussi intime que s’il provenait de l’intérieur de son corps.
Il s’est dirigé vers une baraque située hors de l’enceinte, non loin de la maison du portier. On lui donnait des tapes amicales. La baraque reposait sur des piles de parpaings, derrière l’une desquelles il a placé le bidon. Il n’aurait su dire pourquoi il ne l’a pas caché complètement.
Il pouvait à présent garder ses deux mains dans les poches. Par à-coups les sirènes comme des cris de phoques. Les plus costauds formaient rang devant l’entrée, se tenant par les bras, tête haute, chantant les yeux au ciel. Il était bousculé. Me forcer à chanter, se disait-il, se répétait-il. Car sinon je vais me mettre à penser. Oui, chanter et attendre la charge, la bagarre. C’est pour ça que je le ferai. Parce que les copains se font taper dessus. Uniquement pour ça. Alors il a desserré les lèvres : pauvre bout de voix étrangère, cassée, déformée.
Aujourd’hui on va leur en faire voir, lui dit-on. Les policiers à leur tour s’étaient mis en place, formant une double file perpendiculaire au rang des piquets de grève. Un face à face silencieux, où contrastait surtout l’expression des visages : les grévistes presque hilares ou rêveurs, les policiers à la fois crispés et résignés. D’autres grévistes se sont rangés entre le portail et les piquets. Le reste s’enflait à droite et à gauche de l’entrée. Il était parmi eux. A plusieurs dizaines de mètres derrière les policiers, les non-grévistes conversaient timidement entre eux, ressemblant à des enfants désœuvrés dans une cour de récréation. Comme les jours précédents, le commissaire est venu se placer à côté du premier policier et a demandé le passage dans son haut-parleur. Le travail des forces de l’ordre serait bref, expéditif. Les sirènes se déchaînaient.
Il avait les jambes qui tremblaient, et il se disait : Du courage ?… Le commissaire a abaissé le haut-parleur et a ordonné la charge.


Cela s’est passé comme prévu. Il est retourné près de la baraque, et, ensuite, le bidon à la main, il a regardé ses camarades qui se tordaient sous les coups un champ de bataille sans cris, un rien statique. Il les a vus un peu avec les yeux d’un plongeur au fond de l’eau. Ce n’est pas du courage, se disait-il.
D’abord les autres n’ont pas compris ce qui arrivait, et la lutte continuait. Puis, ensemble, ouvriers et policiers ont ouvert grands leurs yeux, leur bouche. Un policier a touché la manche d’un gréviste comme pour le prendre à témoin. Tous se bouchaient le nez. N’osant plus faire le moindre mouvement. Deux hommes ont vomi.
Là-bas les ateliers ronronnaient. Aucun ordre ne venait. Tous continuaient d’avoir dans l’esprit le petit crépitement porté par le souffle des flammes, et la fumée âcre, difficilement supportable. Debout autour du corps recroquevillé sur lequel on avait jeté une couverture rapiécée, ils étaient pétrifiés, comme morts.
ENNUI
Il recule de trois pas et pénètre dans la cuisine, devançant ainsi sa grand-mère qui se trouve maintenant au pied de l’escalier. Il l’a vue se cramponner à la rampe, dans le silence. Il a vu ses bas foncés, ce qu’il appelle « les deux piliers de chair grise. »
Qu’est-ce que tu as encore fait ? dit-elle. Ils sont dans la cuisine, et lui a la main sur la poignée du faitout renversé. Elle se met à essuyer la sauce en bougonnant. Il retourne dans le vestibule. Elle l’appelle.
L’escalier est majestueux, avec une petite clarté comme celle que donnent les grisailles des cathédrales. Il crie : Démerde-toi ! De nouveau la voix de sa grand-mère, qui le hèle. Il rigole tout seul, sentant comme des fourmillements dans les mains. La porte qui donne sur le jardin : il l’ouvre sans respirer. Immédiatement son regard se pose sur ce qui n’est visible que par lui-même : la tête du pigeon. Décharnée et hirsute, elle émerge de la petite tombe qu’il a édifiée. Le bec pointé vers le ciel, aux jointures noires de sang, les yeux comme deux fentes séchées. Même le chat s’en désintéresse. Il touche délicatement la tête de mort.
Au fond du jardin il y a « l’Ennui », caressé avec volupté par les feuilles d’un acacia : une fausse grotte contre le mur, avec des stalactites et des stalagmites. Il n’y joue plus, elle ne lui offre plus maintenant que la monotonie de sa pierre grise. Ce ne sont pas les souvenirs de sa petite enfance qu’il y voit, mais le perfide Ennui.
Il revient vers la porte, l’ouvre d’un grand coup de pied, traverse le vestibule en trottant et finit sa course dans une glissade.
Elle est là dans la cuisine, maugréant toute seule, agitant une cuiller dans le faitout. Il s’approche d’elle, tire sur le cordon de son tablier. Tiens ! fait-elle en le giflant. Il se force à pleurnicher. Elle, elle pleure vraiment, le menaçant encore. Ça fourmille toujours sous la peau de ses mains. Ta mère dort, dit-elle. Pas de bruit, tu veux ?
Les yeux fixés sur les deux « piliers » : on devine à travers les bas les veines dures et violacées. Il frappe du pied le fauteuil de cuir dans lequel sa grand-mère s’installe quotidiennement pour lire le journal ou éplucher des légumes. Ce meuble est placé devant un placard à double porte d’où émane une odeur de rance et de vieux biscuit. Le chat a labouré les accoudoirs, le cuir arraché fait comme des copeaux de bois blond. Laisse ce fauteuil tranquille. Il ne t’a rien fait, que je sache. Elle tousse. Tu es vieille et laide, lui dit-il. Et tu as une odeur.
Elle a tourné la tête vers le faitout. Je ne voudrais pas que ta mère entende ça, dit-elle en remuant la ratatouille d’une main tremblante. Bonté divine, est-ce la peine de se donner tant de mal ?… Du temps où tes frèr

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