L homme de Grand Soleil
113 pages
Français

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L'homme de Grand Soleil , livre ebook

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Description


« Un rien enseveli sous la neige, une température avec des pointes en hiver à moins quarante-neuf et une moyenne d’âge de soixante-sept ans : ce n’était pas un village mais un congélateur à vieux. »


Un médecin de Montréal se rend tous les mois à Grand Soleil, un village perdu dans le Québec arctique. Docteur de l’âme autant que du corps, il y rencontre Cléophas, un patient particulier. Conservé par le froid qui a saisi cette partie du Canada, l'homme de Grand Soleil a vécu caché, il n’a rien écrit, rien accompli de notable et personne ne le connaît. Pourtant son apparition va tout bouleverser, sous le regard impuissant du médecin, témoin d’un monde qui se délite.



Avec une plume intelligente, incisive et souvent drôle, Jacques Gaubil dresse un portrait froid et parfois cruel de l’homme moderne, tout en proposant un récit bienveillant et chaleureux.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 2
EAN13 9782366511086
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Titre
Jacques Gaubil
L’homme de Grand Soleil
roman



 
 
 
À mes parents


Remerciements
Merci à mes parents pour leurs encouragements tellement objectifs.
Merci à Alexandre, mon fils, d’avoir déjà réservé son billet d’avion pour la réception de mon prix Nobel de littérature.
Merci à ma fille, Émilie, d’avoir pris soin du chat et merci au chat de s’être occupé d’Émilie pendant que j’écrivais.
Merci à Marine, ma fille, parce que je sais qu’un jour tu liras ce livre.
Merci à Fabien Pesty, d’abord pour son patient travail de relecture et sa science de l’orthographe, mais aussi parce qu’à Voiron, il fait vivre l’esprit de Pierre Desproges, ce qui n’est pas aisé.
Merci à Fabien Muller, mon éditeur, qui fait un métier admirable.
Merci à Barbara et Erika d’avoir lu ce livre si peu féminin.


Veni, creator Spiritus


 
Ils appelaient ça  vivre en région . En région, je veux bien, mais vivre ? Un village de cent personnes à cinq heures de route d’une autre bourgade à peine plus grosse. Ils appelaient la route le cordon ombilical . Pas parce qu’elle les reliait à la mère patrie, mais parce qu’elle pouvait être coupée. À la fin de l’été, avec les premières neiges, le cordon était sectionné. Alors, comme par un accouchement, le village renaissait. Dès qu’il était isolé, le hameau apparaissait dans toute sa gloire : pas de poste, d’école, de banque, de clinique, d’épicerie, d’église, de centre administratif. Un rien enseveli sous la neige, une température avec des pointes en hiver à moins quarante-neuf et une moyenne d’âge de soixante-sept ans : ce n’était pas un village mais un congélateur à vieux. Tous les mois, il fallait que je leur rende visite. Avant, je devais faire quelques achats car chaque fois que j’allais les voir, ils me donnaient une liste de courses. Quand je distribuais les commandes, ils me soupçonnaient de prendre une marge. J’avais réussi à leur imposer une limite de dix kilos, toujours les mêmes trucs de vieux : des médicaments, des bouillottes, certaines sucreries, des parfums au patchouli, des loupes et des cadenas ! Coincés dans leur trou, à quelques encablures de la mort, ils avaient encore peur les uns des autres. J’en avais pour au moins deux heures de vol et six heures de 4x4. L’hiver, c’est-à-dire huit mois sur douze, le cordon étant coupé, il fallait prendre l’hélicoptère, une journée rien que pour y aller. Quand j’arrivais, je logeais chez Antoine Bouchard. Il s’occupait de la station météo et devait se sentir administrativement responsable. Il était fonctionnaire, ça lui donnait un statut, un peu comme moi. En plus, sa maison était propriété d’une entreprise publique, aussi elle était mieux entretenue. Il y avait une grande salle qui faisait office de cabinet pour les recevoir. Ça commençait à sept heures du matin, comme ils ne dormaient pas, ils se levaient tôt. Ils venaient tous et ça défilait toute la journée. Certains n’avaient rien, ils débarquaient malgré tout, pour la conversation, et puis ils pouvaient aussi s’observer les uns les autres, dans la salle d’attente.
Je n’ai jamais vraiment compris comment une fille de trente-cinq ans pouvait vivre là. Il faut dire qu’elle était laide, mais de là à vivre dans un cimetière ! Et puis le froid ! L’hiver, on avait mal partout dès qu’on sortait et en été, je devais porter un manteau. Les recettes de grand-mère pour lutter contre le froid ne marchent pas. Je les ai toutes essayées. Non vraiment, une fille de trente-cinq ans, ça collait pas, elle devait avoir un passé et elle n’avait plus le choix qu’entre ça et la Légion Étrangère.
 
La journée commence : Bernard Gauthier, soixante-douze ans. Il aurait pu se tenir, mais son foie a lâché, trop d’alcool. Depuis, les problèmes s’accumulent et on se dirige calmement vers la cirrhose. Je le comprends, avec ce froid on a besoin de se réchauffer et puis, s’il ne picolait pas, dans le hameau, il se retrouverait seul. Ils sont tous alcooliques. Comme ils ne sont pas bien approvisionnés, ils fabriquent eux-mêmes des breuvages qui ne sont pas certifiés par la Société des Alcools. Ils sont plusieurs à avoir des alambics dans leur grange et il y a même une sorte de compétition entre eux. Les résultats sont loin d’être convaincants pourtant ils persévèrent. Il faut dire que c’est assez facile de construire sa distillerie. Dans le village, ils manquent de tout, sauf de matériaux de construction, à cause des maisons abandonnées. Il y en a quelques-uns qui se sont montrés raisonnables, ils sont partis, alors leurs maisons sont devenues les magasins de bricolage locaux. Ceux qui sont restés ont profité des mégas soldes toute l’année. Ils font ça avec méthode, en commençant par l’intérieur. À mon avis, la disparition des alambics serait la seule raison qui pourrait leur faire abandonner le village. Ils ont tout supporté, mais ça, ils ne pourraient pas. Leur apocalypse à eux ne résulterait pas de tremblements de terre ou d’éruptions volcaniques, mais elle surviendrait plutôt avec la fin de la gnôle.
« Un jour, je suis allé dans le nord » commence Bernard Gauthier.
Quand l’un d’eux vous dit qu’il est allé dans le nord, il ne faut pas le prendre à la légère, on doit se méfier. On s’approche de l’Inuit.
« Un jour, je suis allé dans le nord et j’ai su ce qu’était le froid. »
Je fais entièrement confiance à Bernard Gauthier pour connaître le froid. Je crois que, de sa vie, il n’est jamais allé au sud. En tout cas, il n’a jamais perdu le nord !
« J’ai vraiment du respect pour les Inuits, continue-t-il. J’ai connu un prêtre qui me racontait que, lors de l’élection d’un pape, on faisait asseoir le nouveau pontife sur une chaise percée pour voir s’il en avait. Il y aurait eu des problèmes avec un pape plutôt papesse alors ils voulaient être sûrs. Un cardinal vérifiait que tout était en place et proclamait : «  Testiculos habet et bene pendentes » , il en a deux et elles pendent bien ! Les Inuits, pas besoin de vérifier, ça pend bien ! Tandis que nous, c’est tout l’occident qu’il faudrait asseoir sur une chaise percée et à mon avis, on n’entendrait pas du latin après ! »
J’ai oublié de préciser : le village s’appelle Grand Soleil . En langue cree, les autochtones qui ont construit la première masure, ça donnait Kisikawi . Ça me paraît bien plus raisonnable que Grand Soleil.
Je fournis à Bernard ses pilules. Je ne suis pas sûr qu’il les prenne, elles finiront sans doute dans le lavabo. Mais il a eu sa conversation, on a parlé théologie. Au suivant, Marie-Michèle Gagnon, soixante-cinq ans, une jeune.
« Docteur, j’ai un problème. Mon mari, il veut plus. Après quarante ans de vie commune, il a décidé que c’était fini, qu’il avait fait son devoir. Or moi, j’ai encore des besoins. »
Je suis très intime avec mes patients.
« Vous avez pas une molécule pour rallumer le moteur ? Il faut qu’il redevienne opérationnel, mon Denis, sinon je garantis rien. Ici, des distractions, il n’y en a pas beaucoup. »
Quand on sort de la faculté, on ne sait pas que la pénicilline n’est rien en comparaison du Viagra. Pour chacune de mes tournées, j’en ai plein ma pharmacie. La pilule bleue a sauvé bien plus de vies que les antibiotiques.
 
D’autres viennent, avec leurs dysfonctionnements, et je distribue des granulés, des drogues ou des purges pour rétablir l’ordonnancement du monde… Puis elle entre, toujours aussi laide.
« Docteur, me dit-elle en s’asseyant, je viens vous voir pour un ami que je crois assez malade et qui m’inquiète. Il ne demeure pas au village, il réside plus loin et il n’est donc pas facile pour lui de venir vous voir. Le voudrait-il qu’il en serait empêché par la froideur extrême de ces mois d’hiver. »
Mes conversations avec les locaux m’ont convaincu que la syntaxe et le vocabulaire n’ont pas survécu au froid. C’est assez fragile, une langue. Mais, chez cette femme, l’esthétique est décidément inattendue.
« Il est difficile pour moi de me prononcer sans voir le patient.
—N’y a-t-il pas

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