L Ombre du Chai
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Description

Rodolphe de Beauvoir-Lacoste n'est plus que l'ombre de lui-même. Riche propriétaire d'un vignoble réputé, il paie de sa santé les frasques des années passées. Un jour, victime d'un malaise dans sa vaste demeure, il est secouru par Maryvonne, sa gouvernante, et Florine, une étudiante embauchée pour la saison des vendanges.

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 21
EAN13 9782812916366
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Jacques Pincees romans, ila fait carrière dans l’éducation. Dans chacun de s parvient à exposer l’essence des rapports humains d ans le contexte d’événements vécus. Il rencontre un vif succès avec ses romans,Le Goût du blé etLes blouses grises, et nous propose une intrigue savamment orchestrée et riche en rebondissements dansL’Ombre du chai.
L O ' MBRE DU CHAI
Du même auteur La Vengeance de Bogis,collection Romans, De Borée,2007. Le Goût du blé,collection Romans, De Borée, 2006. Les Blouses grises,collection Romans, De Borée, 2004. Les Premiers Sillons,collection Romans, De Borée, 2003. Tustou et Marie,collection Romans, De Borée, 2002.
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
©
, 2009
JACQUESPINCE
L'OMBRE DU CHAI
I
L E BERLIET TRANSPORTANT L’ÉQUIPE l’équipe de vendangeurs arriva vers 20heures. En habitué, sitôt le porche franchi, le chauffeur t ourna sur la droite pour aller stationner devant la grange qui fermait le côté est de la cour du Château Brezon, domaine de M.t.Rodolphe de Beauvoir-Lacoste, propriétaire récoltan Cette arrivée, ponctuée d’un coup de Klaxon, avait été observée par Maryvonne qui guettait discrètement derrière le rid eau de sa fenêtre de cuisine. Gouvernante du propriétaire des lieux, elle avait é galement la haute main sur toute l’intendance du domaine et voilà pourquoi, au passage du véhicule, soucieuse qu’il n’y ait pas trop de défections par rapport aux engagements pris par téléphone ou courrier, elle estima rapidement l e nombre de personnes qui s’entassaient à l’arrière. Tous les ans, durant la première moitié de septembr e, la même scène se répétait, et chaque fois il lui semblait que le tem ps avait filé encore plus vite que le reste de l’année, faisant oublier, l’espace d’un instant, les cinquante autres semaines écoulées. Plus que toute autre, elle craignait cette période où, assistée seulement de deux femmes qui viendraient du village pour la seco nder, au travail jusqu’à minuit et même plus, levée à 5heures, il lui incomb erait la lourde tâche de s’occuper de l’hébergement, de la nourriture et des problèmes matériels de la quarantaine de saisonniers qui, maintenant, quittai ent le plateau du camion.
Sitôt au sol, des hommes s’étiraient ou accomplissa ient quelques gestes de décontraction bienvenus après les douze kilomètres parcourus assis sur des bancs de bois ou à même le plancher. Certains aidai ent les femmes à descendre en les attrapant par les aisselles tandis que deux volontaires restés dans le camion passaient les bagages par-dessus les ridelle s. Il y avait là des sacs de toile grossière, des vali ses dont une en carton au couvercle retenu par de la ficelle, et même de simp les baluchons, le tout témoignant de la modestie des situations matérielle s de leurs détenteurs. Alignés au pied du mur de la grange voisine, les ma igres paquetages formaient un ensemble disparate, un dépôt hétérocli te laissant penser à un épisode d’exode, à un déplacement forcé de populati on tant il reflétait le caractère provisoire d’une sorte de déménagement de survie. Un détail frappait cependant l’attention et donnait une relative unité à ce fatras de bardas divers: tous avaient joint à leurs affaires une ou parfois plusieurs bonbonnes afin, en repartant, de pouvoir emporter une partie de leur r ation de vin puisque l’engagement précisait30francs par jour, nourri, logé et deux litres de vin. Les habitués étaient reconnaissables à une certaine aisance dans leur maintien, à leur façon de regarder autour d’eux, av ec précision, ici ou là, comme pour se rappeler un fait ou évoquer un souvenir… Ceux qui venaient pour la première fois découvraien t les lieux avec étonnement, surpris par l’imposant ensemble archite ctural qui les accueillait. En effet, l’exploitation où était produit le châtea u-brezon se composait de quatre vastes bâtisses disposées en carré autour d’ une cour qui descendait en pente douce vers le porche d’entrée.
Les pavés dallant celle-ci, usés par le temps et les passages répétés des bandages de fer garnissant jadis les roues des char rettes, donnaient à l’espace une impression de froid et de sévérité. Seul, en ex position en son centre, monté sur une estrade de pierre entourée d’une simple ran gée de fleurs quelque peu 1 desséchées, trônait un vieux pressoir à taisson , machine archaïque servant de décoration. En réalité, dans l’esprit de Rodolphe d e Beauvoir, elle symbolisait le rappel de l’ancienneté de son chai, un des plus imp ortants de la région et surtout le plus reconnu car sa production trustait les réco mpenses lors des différents concours vinicoles locaux et même nationaux. La «maison du maître»–comme l’appelaient les person nels–pouvait être datée du XVIIIe siècle à en croire le fronton central au-dessus de la double porte ainsi que ses lucarnes caractéristiques et sa longu e et élégante façade orientée plein sud. Ses six fenêtres et portes-fenêtres, ouv rant sur une terrasse à laquelle on accédait par un escalier monumental, semblaient des yeux surveillant les deux bâtiments de service construits en équerre de chaque côté. À droite se trouvaient le cellier et tous les ateli ers de vinification tandis qu’à gauche étaient entreposés les matériels servant à l ’entretien de la vigne. Enfin, exactement en face de l’habitation principal e, en bas de la cour et de chaque côté du porche d’entrée, une immense et larg e galerie s’appuyant sur des piliers en chêne, adossée au mur d’enceinte, fi nissait de donner une allure monacale au château.
Restée derrière sa fenêtre, détaillant chacun des s aisonniers d’un œil critique, Maryvonne regardait. Celui-là, elle le reconnaissait bien; c’était Migue l. Toujours sale et débraillé mais porteur infatigable. Et puis cet autre avec son costume râpé… Sébastien… une «tête», souvent porte-parole de ses camarades, mais bon esprit. Voilà aussi Louise, une de ces «Marie-couche-toi-là » surtout intéressée par l’argent. Qui va-t-elle trouver à plumer cette fois -ci? L’an dernier une autre femme lui avait ainsi servi de pigeon avec une histoire de loto… Des visages lui revenaient en mémoire, des noms aus si, surtout lorsque les intéressés s’étaient fait remarquer ou, tout simple ment, avaient noué des relations presque amicales avec leurs patrons du mo ment. Après plusieurs saisons de vendanges durant lesquel les leur bonne volonté et leur travail avaient été reconnus, quelques-uns s’é taient vu proposer une embauche à l’année. C’était bien comme cela qu’Éric Plumois était devenu responsable de la vinification. Arrivé à Château Br ezon comme simple coupeur alors qu’il possédait un diplôme d’œnologie, M.de B eauvoir lui avait proposé de prendre au pied levé le relais d’Octave, le vieux c hef d’exploitation victime de malaises en plein pressurage. Réglant alors les rot ations, le travail à la vigne, assurant le soutirage, contrôlant le pesage des moû ts, il s’était imposé par ses connaissances techniques, son entregent et son auto rité naturelle. Étant parvenu à sauver la récolte, il n’était plus reparti et, ju stement, c’était lui qui venait accueillir les arrivants de ce soir. Après s’être présenté, il fit l’appel, salua les an ciens et alla au-devant des nouveaux, faisant leur connaissance, se souciant d’ eux, curieux de leur origine, s’inquiétant des conditions de leur voyage. Il donn ait à ces femmes et à ces hommes subitement déracinés l’impression d’être reç us avec chaleur et intérêt,
en un mot, d’être considérés. Après quelques minutes de bavardage, à son signal, les saisonniers avaient récupéré leurs affaires, sans oublier leurs précieu ses bonbonnes, s’engouffrant par une des portes du bâtiment voisin, les femmes p renant l’escalier de droite, les hommes celui de gauche, pour accéder au premier étage sous les toits. Là, dans les anciens fenils inutilisés depuis la fin de la traction animale et désormais transformés en dortoirs, ils allaient tous loger le temps des vendanges. À même le lourd plancher de chêne, des châlits avai ent été installés, hébergement spartiate et peu conforme aux règles d’ hygiène et de sécurité. Chacun avait une couche garnie d’une paillasse et d e deux couvertures. Le mobilier allait de pair avec le reste, restreint mais suffisant. Une chaise, une petite table et, cachée par un rideau, une penderie avec quelques cintres. Le tout était sobre, spacieux, aéré, aussi ceux qui , le reste de l’année, habitaient en ville des logements étroits, découvra ient avec bonheur par les lucarnes du toit le vaste horizon des vignobles env ironnants et, au loin, la crête des monts de la Madeleine dont l’agréable vue leur faisait oublier le manque de confort. Une dizaine de jours à passer ici. Ces travailleurs à la tâche étaient habitués aux engagements provisoires, se louant de la même f açon et selon les saisons, pour les fenaisons, la castration des fraisiers, de s melons, du maïs, des ramassages ou bien la taille des vignes. Aussi, con naissant les conditions de vie qui leur étaient proposées habituellement, ils ne s e formalisaient pas de la promiscuité promise ici. Pas de sanitaires à l’étage. Pour les femmes, des bassines d’eau chaude leur éta ient apportées matin et soir alors que les hommes faisaient leurs ablutions dans la cour en contrebas. Là, un bassin de pierre ayant servi d’abreuvoir aux chevaux du temps des attelages leur permettait généralement une toilette des plus prosaïques. Torse nu, se savonnant vivement pour se réchauffer du con tact de l’eau froide, ils s’ébrouaient simplement, dans une convivialité amic ale, mêlant leurs rires aux onomatopées engendrées par les frissons. Certaines femmes, passant le nez par les lucarnes du premier étage, leur lançaient a lors des plaisanteries ou des appels moqueurs tandis que d’autres, gênées, ne reg ardaient même pas. La pudeur des temps, les contraintes sociales et famil iales leur laissaient peu de place pour ce genre de vision mais le dépaysement, ces étrangers inconnus, leur fréquentation plus de dix heures par jour entr e les rangs de vigne, entraînaient vite les esprits vers des comportement s libérés des interdits habituels. Une passade était fréquente, il fallait seulement faire attention. Les plus délurées savaient s’y prendre. Chaque année, tous les matins, le même spectacle de toilette se reproduisait, juste avant le casse-croûte précédant le départ au travail, et certains espéraient alors de cette exhibition quelque bonne fortune ave c la gent féminine. Choisissant leur place au dortoir, les anciens avai ent l’habitude de se regrouper près des fenêtres. Les nuits de septembre étaient la plupart du temps chaudes et l’isolation des combles inexistante. Enc ore fallait-il y penser et aussi fallait-il savoir, dès le lendemain, apporter ses p apiers d’identité, montre et portefeuille à Maryvonne qui les mettrait sous clef . Les doigts crochus n’étaient en effet pas les bienvenus dans un groupe de travai l, dans une équipe solidaire… autant ne pas les tenter!
Enfin, l’installation terminée, la perspective d’un lever le lendemain avant 6heures ainsi que celle d’une première rude journée , toujours redoutée, de coupe ou de portage, le silence s’était progressive ment installé dans les chambrées. Après quelques instants, le calme qui av ait suivi le coucher avait vite été troublé par des ronflements ou quelques ve nts que permettait l’anonymat dans le noir de cette cohabitation, rustique jusque dans le partage de latrines à trois places, casées dans un contrefort du mur.
1.Taisson: technique particulière de pressoir ancien.
II
M ARYVONNE N’AVAIT PAS ETE la seule à suivre avec intérêt l’arrivée des vendangeurs. Dans le salon voisinant l’entrée de la maison du maître, bien calé dans un fauteuil Voltaire, la jambe droite au pied bandé reposant douillettement sur un tabouret moelleux, un homme regardait lui au ssi. Il respirait avec difficulté, esquissant une grimace de douleur à cha que changement de position pour éviter l’ankylose. Seuls ses yeux étonnamment vifs indiquaient qu’une grande volonté interne habitait son lourd corps ble ssé. Depuis trois semaines il était cloué dans son fauteuil, victime d’une crise d’urémie. C’était le propriétaire de Château Brezon. Pour s’adresser à lui, on disait «Monsieur» ou «Monsieur le baron» ou «Monsieur de Beauvoir». Derrière son dos, dans une familiarité de façade, o n disait le plus souvent «Monsieur Rodolphe». Il ne s’en formalisait pas. Cette habitude avait été prise du temps de son père. À l’époque, «Monsieur» permettait de le flatter, lui le petit bonhomme de quatre ou cinq ans, lorsqu’il venait au cellier ou que les employés le saluaient en le croisant dans la cour. Elle étai t restée. Homme suffisant, bien connu pour son mépris de tout ce qui était vulgaire, la façon dont on le nommait en dehors de sa présence l ui était indifférent. Un «de Beauvoir» ne s’occupait pas de ces choses-là! Ce jour, son observation des vendangeurs partait de considérations moins terre à terre que celles dont Maryvonne s’était pré occupée. Ce qui lui importait, c’était la capacité de ces gens à vendanger correctement ses quatorze hectares, d’autant qu’il pestait à l’idée de se trouver dans l’impossibilité de suivre étroitement les travaux de cueillette, les manipula tions au cellier et d’être dans l’obligation d’attendre pour prendre une décision, qu’Éric vienne lui rendre compte d’éventuelles difficultés. De ces quelques inconnus dépendait plus que la réus site ou l’échec d’une année de travailoitation.: ils tenaient entre leurs mains l’avenir de l’expl Contre la grêle, le gel, les années de pourriture, un été trop sec ou un printemps trop humide, il était assuré, mais il n’a vait rien contre le mauvais esprit, la paresse, le départ anticipé de plusieurs d’entre eux… autant de contretemps qui pouvaient grever une récolte si amo ureusement préparée. Tous les propriétaires comme lui se savaient à la m erci d’un trublion, d’un de ces rouges exaltés qui ne pensent que servitude, ex ploitation du peuple et autres idées révolutionnaires. M.de Beauvoir, viticulteur conformiste persuadé que tout ce qui fonctionne bien ne doit pas changer, ne s’encombrait pas de co mplications. Il pensait: «On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre», donc, puisque l’argent menait le monde, il n’en était pas à quelques milliers de fra ncs près et optait pour une parade simple: à Château Brezon on payait bien, cash le dernier soir et même parfois avec une rallonge si le travail avait été e ffectué correctement en moins de temps que prévu. Et cela se disait. Chez lui, tout était fait pour laisser les problème s sociaux à d’autres. Voilà pourquoi ce soir il essayait de repérer parmi les arrivants un possible porte-parole, un coordinateur de réclamations ou de demandes auxquelles il ne pourrait donner suite.
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