La Bastide Rouge
193 pages
Français

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Description

Avril 1946, pour Francis, enfin démobilisé et prêt à profiter pleinement de la vie, c'est la désillusion. Il apprend que ses parents sont morts durant son absence, dans des circonstances mystérieuses pour son père, Bastien, qui avait donné son nom à la demeure familiale, la Bastide rouge. Dès lors, que faire de cette bâtisse ? Doit-il rester et reprendre l'exploitation paternelle ou tout quitter et aller à la ville ? Ce moment d'égarement, émaillé de rencontres fortuites et insolites avec de rudes campagnards et de girondes villageoises, aboutira à une remise en question de sa propre vie.


L'auteur : Après une période professionnelle intense consacrée au commerce international, Roger Royer fut repris par une passion de l'écriture datant de son adolescence. Très sensible à tout ce qui touche sa région, son patrimoine, sa culture, ses traditions, il traduit avec émotion et justesse cet environnement qu'il aime tant. Il signe son septième roman aux éditions De Borée.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2014
Nombre de lectures 63
EAN13 9782812914140
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Extrait
I. Le revenant

Avril 1946.

LA GUERRE ÉTAIT FINIE. Partout où elle avait frappé on réapprenait à vivre sans la peur.
Un homme jeune, cassé sur sa bicyclette, avalait en se déhanchant la côte de Valgéras. Il remontait de Marseille, une valise pas mal écornée attachée sur le porte-bagages grâce à une grosse ficelle de chanvre. À Manosque, il avait bifurqué vers Montjustin, Reillanne, la direction générale de Banon. C’était son pays. Il était né à Mazanes. Cette zone était l’une des plus belles de haute Provence entre Vaucluse, Luberon, Verdon et Préalpes. Des hauteurs, dans les chênaies encore rousses, un paysage grandiose s’offrit à lui. Il découvrit dans le lointain le sommet du Ventoux et, plus proche, celui de la montagne de Lure qui, l’un comme l’autre, avaient conservé un léger capuchon de neige.
Vêtu d’une chemise blanche, d’un complet marron fatigué et d’un chapeau de feutre, il portait des chaussures noires, couvertes de poussière. Cet accoutrement lui donnait une dégaine le classant dans la catégorie des citoyens désargentés, un petit employé, un ouvrier peut-être. Il avait pour lui d’être jeune, de haute taille avec une gueule qui devait attirer le regard des femmes. Légèrement essoufflé, il arriva enfin au sommet de la dernière colline. Devant lui, la pente qui l’amènerait au bourg de Mazanes. Il descendit de sa monture qu’il laissa choir sans précaution sur le bas-côté. Pour produire son effort, il avait basculé son feutre sur l’arrière de la tête. Il le ramena sur le front avec une légère inclinaison. Les mains au fond des poches, il fit quelques pas jusqu’à ce qu’il découvrît le village au fond du vallon à la faveur d’une trouée dans la pinède. Puis il tira un paquet froissé de cigarettes américaines Chesterfield. Il n’en contenait plus qu’une qu’il prit avec un air dégoûté. Il la lissa pour tenter de lui redonner une allure convenable et l’inséra au coin de ses lèvres. Avec son galure et sa cigarette, il avait un petit air d’apache de faubourg, sauf que son regard n’avait rien ni de vulgaire ni de provocant. Il fouilla les poches de son veston pour récupérer une boîte d’allumettes, en craqua une et, les mains en conque, porta la flamme au bout de sa cibiche. Il tira une bouffée en creusant les joues puis la retira en la pinçant entre pouce et index, laissa échapper la fumée en tordant la bouche sur le côté. C’était là une attitude, une gestuelle communes à beaucoup de fumeurs. Il se balada de long en large sur l’étroite route bordée de pins d’Alep jusqu’à ce que le mégot lui brûle les doigts. Il le jeta, l’écrasa sous sa semelle en tournant le pied. Il revint vers son engin, le releva, resserra la corde qui maintenait sa valise et redressa le timbre qui avait heurté le sol.

Du promontoire où il se trouvait, il n’y avait que deux à trois kilomètres de route en lacet jusqu’aux premières maisons du bourg. Il enfourcha sa bicyclette et se laissa rouler. Par endroits, des plaques d’asphalte avaient disparu, découvrant la terre nue, ravinée. Durant la guerre, de 40 à 45, l’entretien des routes avait été laissé de côté comme bien d’autres choses.
L’occupant avait outrageusement pompé matières premières et argent pour entretenir ses troupes.
Sans grand enthousiasme, avec une forme d’inquiétude, Francis Castela rentrait chez lui. Bien décidé à prendre à bras-le-corps sa nouvelle situation et se réintégrer au sein de sa Provence. Marqué par des années de guerre, il se doutait qu’un effort important serait nécessaire pour tirer un trait sur ce passé guerrier.
Il avait rejoint les Forces françaises d’Afrique du Nord à Alger, après le débarquement allié du 8 novembre 1942, y avait passé son brevet de parachutisme. Aux combats menés en Tunisie avait succédé la campagne d’Italie. Avec son unité au sein de la Ve armée américaine, il avait participé à la bataille du Mont-Cassin en février 43 et à l’enfoncement de la ligne de défense allemande « Gustav ». Ensuite, remontant l’Italie, il embarqua pour se jeter sur les côtes varoises le 15 août 44 contre la XIXe armée allemande. Dans un dispositif américain de trois cent quatre-vingt mille soldats dont deux tiers français sous le commandement de De Lattre de Tassigny. Aux côtés des commandos d’Afrique du général Bouvet, chargé d’investir le secteur du Rayol au Lavandou, il débarqua à Cavalaire avec l’effectif du 1er D.F.L2. du général Brosset. Blessé dès la sortie de son L.C.A. 63, il fut transporté dans un premier temps à l’hôpital de Cuers-Pierrefeu.

La côte entièrement nettoyée, il fut, avec beaucoup d’autres, l’objet d’un transfert à Marseille. Il y était resté le temps de la réparation d’une jambe en compote et de sa rééducation. Dans l’attente d’être sur la liste des « libérables », il avait travaillé à l’intendance. Le colonel médecin-chef ne lui avait pas caché que des raideurs pourraient lui rester de cette aventure. Heureusement, cela ne l’empêchait pas de pédaler, ça lui avait même été conseillé par le chirurgien.
Une fois sa jambe consolidée, il avait mis le conseil en pratique et empruntait le vélo du gardien de l’hôpital militaire de Marseille. Au début, il se contentait de faire le tour du quartier ceinturant les bâtiments, puis avait peu à peu élargi le cercle. Lorsqu’il fut libéré, il avait réussi à remuscler suffisamment cette foutue guibole pour envisager de faire, en deux ou trois étapes, Marseille-Manosque à vélo. Il entama une laborieuse négociation avec le gardien pour lui racheter son engin. Il aurait pu remonter en train, mais c’était une façon de se révolter, de démontrer qu’il était capable de le faire.
Castela se sentait ridicule avec cet accoutrement civil. Le chapeau mou en lieu et place du calot ou du casque lourd américain, le costard pour le battle-dress, les godasses pour les rangers. Où était la glorieuse allure du combattant ? La vie militaire, c’était fini ! S’il n’avait pas été touché par cette rafale de mitrailleuse qui lui avait bousillé le fémur, il aurait volontiers rempilé. Bien que Francis Castela n’aimât pas la guerre, durant toutes ces années l’armée avait pourvu à tout : le gîte, la bouffe et le reste, en échange de sa vie avec un petit espoir d’en réchapper, cependant sans garantie aucune. Il avait été nommé sergent. C’était le premier grade qui donnait un peu d’ascendant. Responsable d’une section, il était respecté. Il revenait au village de ses vieux car il fallait le faire. Il savait que le père et la mère étaient morts. Il voulait poser ses mains sur la pierre tombale en leur disant : « Me r’voilà, père ; me r’voilà mère. J’ai un peu tardé, je regrette. Pardonnez-moi. » Il espérait que sa chaleur de vivant réussirait à pénétrer jusqu’à eux, jusqu’au cœur du sépulcre glacé, les réchauffant aussi peu que ce soit.

Il s’en serait cependant fallu de peu pour qu’il serre les freins de ce tas de ferraille sur roues et s’en retourne. Ayant bravé tous les dangers, sans trop crâner, il avait ricané au nez et à la barbe de la camarde. Malgré tout, il avait peur de revenir chez lui. Oserait-il parler de ce qu’il avait vécu, de ce qu’il avait souffert, oserait-il montrer ses décorations, ses citations, éloges de ses supérieurs sur sa conduite au feu ? Certains comprendraient, d’autres se foutraient peut-être de sa gueule. Il finirait par sentir le héros refroidi, qui n’enthousiasme plus les foules. Rien n’étant plus éphémère aux yeux des civils que la gloire militaire une fois le danger passé. Pourtant, ce que le C.E.F4. avait fait en Italie dans des conditions épouvantables était remarquable. Les soldats français avaient impressionné les Américains, qui, à la suite de la défaite de 1940, avaient une confiance limitée dans leur valeur au feu. Il ne savait pas si en rentrant il devait espérer trouver des gars dans la région, des types qui comme lui s’étaient engagés, étaient revenus sains et saufs après avoir fait la même guerre.

Ce fut plus fort que lui : arrivé dans le fond de la vallée, il s’arrêta. Il était en sueur et frissonnait. Après quatre ans d’absence, il ne pouvait chasser l’idée sinistre de revenir vers un village naguère coquet, animé, qu’il craignait de trouver déserté. Y trouverait-il encore des gens connus à qui parler ? Pour renforcer ce terrible tableau, il croiserait peut-être un chien famélique identique à ceux qu’il avait vus errer dans les ruines des villes dévastées, trop épuisé pour le regarder. Il roula encore jusqu’à une cerisaie en fleur précédant des pommiers qui avaient conservé quelques fruits ratatinés. Il profita d’un passage destiné aux charrettes pour y entrer. Il détacha d’un rameau, qui mettait déjà ses nouvelles feuilles, un fruit ayant passé l’hiver, ridé et confit. Il planta les dents dans la chair molle mais saine et sucrée lorsqu’une voix aigrelette au fort accent provençal l’interpella :
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