La bienheureuse transition
106 pages
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La bienheureuse transition , livre ebook

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Description

Dieu est fatigué des récriminations des hommes. Via l’Association de la bienheureuse transition, il lance un grand concours pour sa succession. Les candidats viennent de toutes les régions de la terre. Les épreuves se déroulent à Pandéléoni, la capitale de l’enfer. Qui sera le nouveau Dieu ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2014
Nombre de lectures 55
EAN13 9789956429745
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

François Nkeme
La bienheureuse transition
Editions Proximité
© Éditions proximité, avril 2018 BP3032 Yaoundé, République du Cameroun. Tél 237 699859594/6 72 72 19 03 Couriel :editionsproximité@yahoo.fr www.editionsproximité@yahoo.fr ISBN 978- 9956-429-74-5
« Nous vous attendions, M. Fati. On m’appelle Judas ». C’est par ces mots que le majordome « stylé » accueillit Jean Fati sur l’embarcadère du port de Douala. En ce 31 décembre 1999, il faisait étonnement chaud dans la capitale économique du Cameroun malgré la nuit déjà très avancée. Les rares bateaux qu’on pouvait apercevoir çà et là semblaient hésiter à prendre le large. La plupart des équipages étaient à terre en train de se défouler. Les agents de sécurité, d’habitude maîtres des lieux, avaient regardé Jean Fati passer avec indifférence, pressés d’achever les bouteilles de bière qu’ils se passaient. La fête était si grandiose qu’ils s’étaient désintéressés de leurs rapines et autres bakchichs. La ville de Douala en fête que Jean Fati avait parcouru lui avait paru fatiguée et pourtant heureuse : fatiguée d’oxygéner l’arrière-pays qui semblait tirer le diable par la queue, fatiguée de servir de bouche et d’exutoire à un hinterland si varié et si complexe ; heureuse d’ajouter un millénaire à son histoire et de montrer à ses contemporains un instant privilégié que des générations et des générations n’avaient pas vu. L’Association de la bienheureuse transitionavait lui précisé que les critères de choix étaient secrets. Elle se donnait la liberté de choisir qui elle voulait. Son objectif, permettre à certains privilégiés d’effectuer
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une bienheureuse transition en voyageant par bateau de plaisance le 31 décembre 1999. Aucune contribution ïnancière n’était demandée. Aucune autre indication n’était donnée. La seule exigence était de respecter la date du départ ïxée au 31 décembre 1999 à vingt-quatre heures précises au port de Douala. Dès que son pied se posa sur le bateau, les douze coups de minuit sonnèrent avec une lenteur lancinante. Pendant qu’ils sonnaient, Judas, le majordome styléresta immobile, comme s’il priait silencieusement. A la ïn du dernier coup, sans un autre regard, il le précéda sur un tapis rouge luxueux à l’intérieur du bateau. Au lent balancement, Jean Fati sut qu’il était le dernier invité. * * * En réalité, Jean Fati n’eut pas à se reposer. Judas, le majordome stylé, l’introduisit dans une chambre somptueuse. Il voulut se déchausser quand celui-ci le dissuada. Tout était féerique, du vaste lit à la vaste salle de bain parfumée. Jean Fati dut se pincer pour être sûr qu’il ne rêvait pas. La penderie comportait une variété de costumes, les uns plus luxueux que les autres, confectionnés avec des tissus rares et ïns. Le sol était revêtu d’une moquette si douce et si soyeuse qu’on avait de la peine à imaginer son épaisseur. Bouche bée, il parcourait cette chambre desMille et une nuits quand Judas l’invita à se plonger dans la baignoire remplie d’une eau parfumée et tiède. Jean
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Fati hésita à se plonger dans cet immense jacuzzi bleu qui avait la taille d’une piscine. On aurait dit un morceau de lagon importé d’une île paradisiaque. C’était la première fois qu’il voyait pareille merveille. A la ïn de son bain, Judas qui attendait dans une pièce voisine le ït asseoir sur un siège princier et le rasa avec la plus ïne douceur. Un costumetrois pièces d’une blancheur éclatante attendait, délicatement posé sur le lit. Judas l’aida à le mettre et le conduisit vers une grande salle dans laquelle les autres invités avaient déjà pris place. Toute la salle était revêtue d’immenses tapis d’Orient, les uns plus beaux que les autres. Les escaliers de marbre donnaient à ce lieu une beauté orientale que n’auraient pas reniée les adeptes du célèbreJai -Templede Calcutta. Une grande baie vitrée apportait l’indispensable ouverture à ces lieux. Les lumières du bateau illuminaient la mer plate par endroits, et lui donnaient l’impression d’un tissu richement décoré de mille lucioles multicolores. Jean Fati était ravi de porter unTrois piècesaprès tant d’années passées dans la misère absolue. Il admirait son reet que lui renvoyaient les nombreux miroirs qui embellissaient la vaste salle luxueuse. Les autres invités, en tout cas les autres voyageurs, parlaient de tout et de rien, avec cette assurance et cette aisance qui ne peut être que l’apanage des hommes immensément riches. Ils éclaboussaient le navire de leur immense joie de vivre. De la longue table recouverte de mille plats délicieux sur laquelle il
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prenait son repas, Jean Fati s’efforçait de se souvenir de l’usage ordonné de toutes ces cuillères, couteaux, plats et verres qu’on avait mis à son service. Jamais il n’avait mangé autant de plats ïns et rafïnés. Judas veillait à ce que son verre ne fût point vide. Sur le pont, Jean Fati put voir de nombreux couples qui évoluaient au pas de la salsa et d’autres musiques tropicales. Il se mêla à la foule et se mit à danser seul dans un coin. Toutes ces boissons lui montaient à la tête. Il dansa longtemps et but de grandes quantités de vins exquis. Malgré toute cette boisson, il n’arrivait toujours pas à perdre la tête. Il ne comprenait toujours pas. Toute cette beauté légère, gracieuse, parfaite ; toute cette perfection poussée à l’absolu lui semblait très peu réelle, comme s’il se trouvait dans une autre dimension. Au petit matin, alors que les danseurs épuisés cherchaient sous la torpeur de l’aurore océanique la voie des cabines, la météo se mit à signaler une tempête imminente. Le navire mit sa vitesse maximale pour quitter la zone sinistrée. En quelques minutes, le pont se vida. La violence de la tempête était si forte que les efforts du capitaine semblaient inutiles. D’un bord à l’autre du navire, il encourageait l’équipage à moitié ivre qui tentait de maîtriser la situation. Une heure plus tard, tout effort semblait vain, le navire n’était plus qu’un fétu au gré du vent et de la miséricorde divine. La terre ne répondait plus aux multiples appels qui montaient désespérément vers le ciel muet.
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Avant que le jour se lève, la tempête se transforma en ouragan qui pouvait dépasser la cotation de douze sur l’échelle de Beaufort. Le capitaine essaya en vain de quitter le lit du vent. Les voyageurs s’agrippaient désespérément à la coque pour ne point se laisser entraîner par la puissance des bourrasques d’eau que déplaçait l’ouragan. Après trois assauts à bâbord et deux à tribord qui soulevèrent œuvres vives et mortes, le bateau perdit son pont avant. Jean Fati se mit à pleurer. Personne ne pourrait dire ni où, ni comment il avait péri. S’il avait su que c’était pour sa ïn, il n’aurait jamais effectué ce voyage. A bien rééchir, il ne pouvait pas s’agir de chance. La vérité lui apparaissait cruelle et nue.L’Association de la bienheureuse transitionne devait être qu’une de ces nombreuses sectes pernicieuses en quête d’âmes vulnérables. L’eau commença à s’inïltrer dans les somptueuses cabines. Meubles et tapis, comme décollés par un démon, étaient balayés par l’ouragan et se jetaient avec fracas dans la mer insatiable. Quelques minutes plus tard, le bateau se fracassa sur un promontoire voisin d’une île inconnue. Par chance, le débris qui portait Jean Fati et quatre autres hommes toucha terre. Avec peine, ils gravirent la côte abrupte et rocailleuse. Ils l’avaient échappé belle. Quant aux autres voyageurs et membres de l’équipage, il fallait se résoudre à accepter qu’ils n’eussent pas survécu à l’ouragan. Tout était allé si vite qu’il ne cessait de croire à un mauvais rêve dans
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lequel il était Leonardo Di Caprio dans l’épave du Titanic. Les appels et le ratissage de la côte de cette terre inconnue ne donnèrent rien pendant toute la journée. * * * L’île était sauvage et inconnue. Jamais probablement n’avait-elle connu la colonisation de l’homme. On était pourtant si proche de Douala. Jean Fati qui connaissait par cœur les recoins de la sous-région, n’en revenait pas. Le sol rocailleux, rude et aride laissait afeurer çà et là d’énormes blocs de granite. Une paroi pierreuse qui hébergeait une ore inconnue occupait tout le côté droit. Cette paroi s’abaissait vers la mer en un immense escalier dont les dernières marches irtaient avec l’eau. Les vagues douces et langoureuses, qui y déversaient leur ot avec retenue, semblaient ne point vouloir abîmer la surface rocailleuse. A peine s’enrichissaient-elles de quelques cristaux avant de reprendre le large. Tout le coté droit était constitué d’une immense plage sans ïn qui s’étendait à perte de vue. Cette plage, formée d’un sable aux gros grains translucides et brillants, renvoyait des éclats qui étaient insupportables à l’œil humain. Il était difïcile d’imaginer une forme de vie naturelle en son sein, tant les reets du sable translucide semblaient aveuglants. Le centre de l’île paraissait plus humain et plus mystérieux aussi. Bien que les naufragés n’eussent de lui qu’une vision partielle vite masquée par l’étendue
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d’un petit bois, cette forêt semblait inquiétante. Ils avaient l’impression que cette végétation inconnue abritait une densité de vie insoupçonnable, et qu’ils étaient observés sans interruption par des regards qui scrutaient leurs faits et gestes derrière les feuillages. Les rescapés passèrent cette première journée allongés sur le sable ïn, sans force ni volonté, écoutant les cris de la variété d’oiseaux de cette île. Jean Fati, homme de la forêt, eut beau écouter tous ces cris, il n’en reconnut aucun. Le vent sec et chaud donnait l’impression d’un enfer réel. Les naufragés s’abreuvaient à l’unique source de l’île, chaude et limpide, qui jaillissait d’un gros bloc de granite noir comme un geyser. Au fur et à mesure que la journée avançait, l’air devenait plus sec et plus froid encore. Les naufragés avaient l’impression qu’ils allaient étouffer et qu’ils ne passeraient pas la nuit. Bien que leur dernier repas remontât au bateau, c’était plutôt le froid qui allait avoir raison d’eux. Les membres commençaient à s’engourdir, la peau devenait insensible, lorsque soudain, à la tombée de la nuit, le son lointain d’une trompette retentit. Les oiseaux se turent. La source suspendit son ruissellement. La mer stoppa net le lent mouvement de ses vagues. L’île entière se plongea dans un profond silence. Jean Fati et ses compagnons, comme sous hypnose, se levèrent pour scruter l’orée du petit bois où retentissait la trompette. D’abord, ils ne virent qu’une foule d’oiseaux de toutes les couleurs, les uns plus beaux que les autres. Puis, ils virent, la bouche
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ouverte par l’étonnement, la plus belle femme de l’univers. Les oiseaux aux couleurs étincelantes formaient une auréole qui entourait la princesse de l’île. Princesse, car il ne pouvait en être autrement. Elle était drapée de soie, les pieds recouverts de bottes faites avec un cuir mou, doux, onctueux. La taille ïne, rare chez la gent humaine, était entourée d’une étroite ceinture de lin ïn. Cette ceinture marquait aussi la limite de la longue chevelure enroulée qui intriguait par son air majestueux. Elle était belle. La peau dorée reétait les rayons solaires du crépuscule inconnu. A pas lents, elle avançait comme si le temps s’était arrêté. Elle planait littéralement sur l’île tant son apparition était irréelle. Jean Fati se griffa jusqu’au sang pour se rassurer qu’il était toujours en vie. Maintenant, on pouvait, entre deux oiseaux, voir les traits de son visage. A l’Asie des moussons, elle avait hérité les yeux légèrement étirés dont la fente bridée évoque croissant de lune et paresse journalière du matou. Pourtant, les mêmes yeux laissaient penser à la rigueur et à l’immensité insondable des pays de la Troïka. A l’Afrique, elle avait épousé la démarche haute, ïère et souple, légère et altière des ïlles du Sahara. L’Inde de Gandhi lui avait offert la beauté sculpturale de l’arrondi du visage qui éclaire les plus belles soirées du bord du Gange.
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