La peau duelle
204 pages
Français

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La peau duelle , livre ebook

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204 pages
Français

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Description

Paris 1950, quartier du Marais...Une improbable rencontre et une passion duelle. Marceau, médecin génial et misanthrope, a un seul amour : cette peau millimétrique qu'il retrouve chaque matin sous son microscope et dont les mystères l'obsèdent. Peline, relieur de talent et jeune femme à l'enfance éclatée, croit remplir sa vie et apprivoiser le passé en offrant sans partage cette peau somptueuse qu'elle a reçue en seul héritage.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2010
Nombre de lectures 50
EAN13 9782296699571
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La Peau duelle
 
 
 
© L'Harmattan, 2010
5-7, rue de l'École-polytechnique ; 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-11945-1
EAN : 9782296119451
 
Isabelle Baumont
 
 
La Peau duelle
 
Roman
 
 
L'Harmattan
 
Première partie
- I -
 
Malgré l’inévitable présence de sa mère à sa naissance, il avait été plutôt heureux de naître. Oh, bien sûr, comme tout le monde, il ne gardait qu’un souvenir confus de ce jour-là, mais quand même, il y avait eu ce jour. Celui où il avait ouvert les yeux sur elle et ne les avait plus refermés. Il savait qu’elle avait été là dès le début, qu’elle l’avait entendu pousser son premier cri. Sa mère et elle… Toutes deux, seules, avaient surpris son premier cri de nouveau-né. Et malgré toutes ces années passées dans son intimité, il était toujours bien incapable de répondre quand on lui demandait pourquoi il courait vers elle tous les matins, avec la même impatience. Il restait toujours muet, l’air un peu idiot, le regard vague, simplement parce qu’il y a des amours qui ne s’expliquent pas. Tous les jours, depuis des années, il courait vers elle à la première heure, c’est tout. Il ne pouvait pas faire autre chose, ni autrement. Elle était son aube, fragile et silencieuse.
Ce matin encore, dans le petit jour de la pièce où il l’avait rejointe, il retrouvait la même émotion qui le bouleversait tant. Douce et offerte ainsi, elle était lisse comme une eau calme, abandonnée à son désir sous ses regards. Il sentit son cœur se gonfler. Oui, il pouvait être fier d’être son créateur !
Il s’était approché si près d’elle qu’il pouvait la toucher mais il se retint, il ne voulait pas l’affoler. Il lui suffisait de la sentir là, tout près de lui, mystérieuse et radieuse, si touchante dans ces instants parfaits où elle n’était qu’à lui seul.
Sans un mot, il parcourut des yeux le dessin de ses courbes et le réseau nerveux des veines brunes qui couraient sur elle. Il voyait la résille fragile qu’elles formaient et qui la couvrait.
Il prit soudain cet air grave qui le vieillissait et tendit la main vers elle avec toute la douceur dont il était capable mais, une fois de plus sa main retomba, impuissante au bout de son bras. La vanité d’une caresse avortée le laissait toujours énormément frustré. Qu’aurait-il voulu ? Plus ? Mieux ? Autre chose ? Mais elle ne pouvait rien offrir de plus. Il savait déjà qu’elle ne se donnait ainsi qu’à lui seul. Alors il se contenta de l’admirer sans bouger, fasciné une fois de plus par sa beauté, simplement heureux de la voir ainsi palpiter sous son regard. Des traînées d’algues, comme des tatouages sur sa chair, s’assemblaient, se nouaient en leur base pour former un bouquet de tiges squelettiques sans fleurs ni feuilles, simplement écartées en branches d’éventail.
À force de s’écarquiller les yeux ainsi, l’une de ses paupières frémit de nervosité, un petit spasme reconnaissable. C’est là que, oui, juste au-dessus, en lisière, bordant l’écume collée à elle, l’ourlant d’un galon doré, il vit un minuscule chapelet de vagues dessinant des creux et des pleins, des sommets vertigineux qui retombaient doucement au fond de vallées tranquilles. Et puis, encore plus haut, encore plus loin, là, juste avant le néant, immense et large, enfin, il vit la plage. Chaque jour, c’était la même question, le même désarroi devant le mystère qu’il voyait et il se demandait pourquoi il continuait de s’imposer ces rendez-vous épuisants. Pourtant c’était simple. Comprendre, il voulait simplement comprendre…
Le jeune homme suivit des yeux d’un bout à l’autre le grand banc sableux. La belle plage avait une fin, et ça, il ne se l’expliquait pas. Une plage n’a de fin que parce qu’elle borde une mer ou parce qu’une mer la borde et la dessine. Mais cette plage-là n’avait en sa lisière aucune mer qui dessinât ses contours, aucun ressac qui l’eût façonnée. Ce qui la limitait, c’était un curieux pavement de briques. Des briques polygonales, de couleur ocre, régulières, cimentées sur un support profond que l’on ne devinait qu’à travers les interstices. Au centre de chacune de ces briques, une espèce de noyau plus clair se détachait, rond, presque parfait, solaire, lui-même marqueté d’une ou deux petites taches plus sombres. Au fur et à mesure que ses yeux s’éloignaient pour remonter tout le pavement vers la ligne d’horizon, il voyait les briques perdre de leur substance, s’aplatir, s’écraser progressivement pour former un empilement de lignes minces, imperceptibles traits de fusain sur la sanguine sombre du littoral, organisés en un ordre parfait…
Marceau frissonna. Décidément, elle lui donnait le vertige. Il se dandina un peu sur place, hésitant et heureux de cette faiblesse et de son impatience qui lui venaient d’elle. Il allait ainsi laisser passer les heures en se répétant indéfiniment la question inutile : existait-il au monde une vision plus parfaite ?
Enfin il se redressa, s’étira et poussa un long soupir. Son dos était ankylosé d’être resté si longtemps penché sur elle. Il eut besoin de se frotter les yeux. C’était un vieux tic, juste pour s’assurer de la réalité, juste un besoin de contact physique avec l’organe des sens qui lui avait permis de l’admirer et de la toucher. Il était essoufflé comme s’il avait couru à perdre haleine, comme si, une fois encore, en s’approchant si près d’elle, il l’avait trop aimée, trop bousculée, peut-être agacée par son insistance amoureuse. Cela le réjouissait toujours, cette bataille minuscule entre eux. Marceau recula de quelques pas. Le silence dans la pièce s’était lentement feutré. Sous la couronne de lumière pâle tombant du plafonnier, noir, trapu, tout de noblesse métallique et silencieuse, le microscope luisait doucement. Entre ses branches, fine et soyeuse, alanguie sur la lame pour celui qui l’aimait tant, la peau millimétrique rayonnait.
Le laboratoire était plongé dans cette pénombre blafarde qui aurait parue sinistre à tout autre observateur. Seul le microscope y brillait. Il était chaud d’être resté allumé toute la journée. Marceau se résigna à le ranger avant de quitter les lieux. Il prit un petit morceau de papier de soie, embua de son souffle l’oculaire du microscope et le nettoya délicatement. Il saisit la lame posée sur l’objectif, la retira avec d’infinies précautions. Il fit glisser la lamelle et la jeta sans état d’âme. Son amour n’était pas là. Puis il nettoya la lame support avec un chiffon propre imbibé d’alcool à brûler et fit disparaître ce qui restait du petit lambeau de chair décomposée. L’application que Marceau mettait à ce geste quotidien le préservait d’en faire un geste machinal qui n’aurait eu aucune âme. Il avait une conscience aiguë et parfaitement jouissive de ce geste de destruction. C’était cela même, il l’aimait au point d’aimer la détruire pour mieux la faire renaître le lendemain. Marceau se demandait souvent où auraient pu le conduire de tels sentiments si l’objet de son amour avait été autre.
Demain matin il reviendrait, il préparerait une nouvelle lame avec un prélèvement de peau fraîche. C’est cela qu’il recherchait chaque jour, pouvoir recréer l’enchantement à l’identique par la minutie des gestes et retrouver la joie impatiente dans le parfum formolé des retrouvailles.
Il termina son rangement en ayant soin de laisser un peu de désordre et d’éparpillement derrière lui, enfin, suffisamment de traces de lui-même pour pouvoir retrouver le lendemain son atmosphère personnelle, son odeur à lui mêlée à la sienne. Il sourit de son enfantillage en rectifiant l’axe du miroir, il éteignit la petite lampe du microscope, prit la housse en plastique et en recouvrit l’appareil avec précaution. Il avait du mal à quitter les lieux et traînait un peu, s’abandonnant à la somnolence de la fin de journée. Il rangea quelques flacons, en vérifia le bouchage, les réunit dans une même grande bo

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