La prison des jours
120 pages
Français

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La prison des jours , livre ebook

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Description

La prison des jours explore la passion politique durant l’Occupation américaine d’Haïti de 1915 à 1934. L’armée américaine occupe Haïti, exerçant un droit de vie et de mort sur tous les citoyens. Les marines et leurs chefs se comportent en véritables brigands. Entouré de centaines de partisans, Antoine Pierre-Paul lance une insurrection armée contre les forces de l’occupation. La répression s’abat sur les insurgés. Leur chef s’échappe et gagne le maquis. Quel avenir pour Antoine Pierre-Paul, pour ses affidés et pour le pays déchiré par les trahisons et la résistance?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 septembre 2013
Nombre de lectures 12
EAN13 9782897120306
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Michel Soukar
LA PRISON DES JOURS
Roman
Mise en page : Virginie Turcotte Maquette de couverture : Étienne Bienvenu Dépôt légal : 2 e trimestre 2012 © Éditions Mémoire d'encrier

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Soukar, Michel
La prison des jours
(Roman)
ISBN 978-2-923713-76-2 (Papier)
ISBN 978-2-89712-140-2 (PDF)
ISBN 978-2-89712-030-6 (ePub)
1. Haïti - Histoire - 1915-1934 (Occupation américaine) - Romans, nouvelles, etc. I. Titre.
PQ3949.2.S68P74 2012 843’.914 C2012-940539-6

Mémoire d'encrier
1260, rue Bélanger, bureau 201
Montréal, Québec,
H2S 1H9
Tél. : (514) 989-1491
Téléc. : (514) 928-9217
info@memoiredencrier.com
www.memoiredencrier.com

Version ePub réalisée par:
www.Amomis.com
Toute ressemblance avec des personnages ou des faits passés n’est pas fortuite.
Pour Fabiola En mémoire d’Antoine Pierre-Paul, instigateur de la première insurrection armée urbaine contre l’occupation militaire américaine d’Haïti en 1915.
Si seulement l’homme pouvait être digne de ce qu’il aime. Robert Penn Warren
Une aube sale traîne sur Port-au-Prince. Dans la campagne environnante, ses vapeurs blanchissent les arbres, enveloppent les feuilles des cannes à sucre. Citadins et résidents des faubourgs n’osent pas sortir dans leur cour pour bouillir le café du petit matin. Des détonations ont secoué leur sommeil. Les yeux hagards, ils s’interrogent. Des heures durant, les balles ont tracé des raies lumineuses dans le ciel opaque. À l’aurore, les déflagrations s’espacent, s’affaiblissent telles des gueules en rage fatiguées de s’insulter. Elles se taisent, laissent les habitants cloîtrés dans leur peur. Dans les rues jonchées de détritus, de cadavres d’animaux, de flaques d’eau, nul n’ose encore poser un bout d’orteil. Même les chiens errants, faméliques, ne s’aventurent pas à fouiller les piles de fatras. Rats et chats de gouttière ont suspendu les poursuites qui dérangent d’ordinaire les citadins dans leur repos. Seule une ombre grise occupe les rues. Les cloches ne tintent pas pour convoquer les fidèles à la messe de quatre heures. D’habitude, des pas furtifs répondent à des voix ensommeillées pour prendre ensemble la route de l’église d’où s’élèvent des cantiques vivifiant la pâleur de l’heure. Les couche-tard ont remarqué l’interruption des roulements de tambours sur la montagne surplombant la ville, étranglés par les détonations.
Qui ouvrira sa porte sur ce petit matin inhospitalier ? Même les fous, les mendiants, les ivrognes se tapissent, tremblotent dans des coins obscurs. En vérité, cette nouvelle année 1916 débute fort mal, en ce 5 janvier, quatre jours après le Premier de l’an, la veille de l’Épiphanie. Qui pensera à cuire le gâteau des Rois Mages pour le lendemain ? Prisonniers de l’incertitude et de l’angoisse, les esprits restent perturbés par ce vacarme. Qui a tiré ? Pourquoi ? La nuit se retire et renforce la frousse des citadins. Dans les demeures cossues et les cahutes des bas quartiers, les effluves des corps au réveil se mêlent à l’odeur de l’effroi.
Du cœur de la ville parviennent des intonations rauques, brèves comme des ordres aboyés par de furieux bouledogues. Ils jappent dans une langue incompréhensible aux oreilles des citadins collées aux parois de leurs maisons.
– Ce sont les marines américains, glisse un père à sa famille.
– Que disent-ils ?
Les injonctions se conjuguent avec des martèlements de bottes, des cliquetis d’armes. Des détachements se mettent en branle, s’éparpillent dans une course synchronisée pour quadriller la capitale, en boucler les issues. Un événement grave vient d’éclater ou se produit encore. La fête des Rois est gâchée. Quelle déveine cordée !


Dans la campagne de Chancerelles, à deux kilomètres de Port-au-Prince, une silhouette se confond avec la brume. Elle en profite pour bouger avec rapidité. Elle donne l’air de connaître le chemin, de savoir où elle va. Elle se précipite, la vue aiguisée, l’oreille fine, à l’affût de chaque murmure dans la nuit qui vire du noir au gris. C’est une silhouette d’homme dans la force de l’âge. Il respire fortement, transpire à grosses gouttes malgré la fraîcheur matinale. De temps à autre, il s’arrête comme pour surprendre des pas à ses trousses. Il reprend sa marche, se faufile entre les arbres, se dissimule derrière des broussailles, tente de voir à travers la grisaille, repart, chemine en zigzag. À la lisière d’une propriété où se dresse une modeste bâtisse au milieu de manguiers, d’avocatiers et d’orangers, il ralentit l’allure, jette un coup d’œil circulaire, se dirige vers le cabanon, frappe doucement à la porte en murmurant :
– Cius… Cius… Cius…
Une voix bourrue d’homme, brusquement réveillé, répond :
– Qui est-ce ? Si tu es un mauvais air, passe ton chemin.
– Cius, c’est moi.
À l’intérieur, la voix devient subitement respectueuse, et dans un bruit de chaise renversée, des pas se précipitent vers le seuil.
– Excusez, patron. Je dormais. Je ne vous avais pas reconnu.
Cius se frotte les yeux. Dans la pénombre de l’aube, face au visiteur inattendu, il ne cache pas son étonnement.
– Vous êtes vaillant, patron, pour circuler à une heure pareille. Vous n’avez pas croisé les bandes de sans-poil ? Moi, dès que le soleil ferme l’œil, je me terre dans ma cahute. D’autant plus que j’ai entendu des tirs nourris du côté de Port-au-Prince.
Cius tremblote, regrette de ne pas avoir passé sa couverture délavée sur sa chemise avant de sortir dans l’aurore humide. Ses mains rudes frottent la peau noire de ses bras. De ses larges narines et de ses lèvres épaisses s’échappent des bouffées de vapeur.
– Es-tu seul ?
– Bien sûr, répond Cius dans un mouvement d’échauffement.
L’homme jette un dernier regard sur les environs, et ils pénètrent dans la cabane.
Cius ferme la porte avant d’allumer une bougie plantée dans une soucoupe blanche ébréchée au milieu d’une table en bois. Le cercle de lumière jaune qui s’en dégage lui suffit pour remarquer les habits mouillés de sueur et de rosée de son patron, ses cheveux ébouriffés, ses traits tendus, ses chaussures souillées de boue. Il reste debout, laisse à son maître la seule chaise disponible, faite de planches mal équarries. Le propriétaire s’assoit sans y prêter attention. Cius s’interroge : serait-il victime d’une médisance ? Le maître opérerait-il une descente pour vérifier une dénonciation ? Une langue sale aurait-elle révélé son petit commerce de fruits et de légumes de l’habitation ? Il est vrai aussi qu’il arrondit ses fins de mois en retenant une part sur celle de la femme du patron, en plus de la sienne. Et la semaine dernière, il a tripoté les seins de la concubine du chef de section avant de la culbuter derrière un épais talus. Elle n’en demandait pas mieux tant elle couinait de plaisir. Quelqu’un aurait-il rapporté la scène au maître ? Non. Le patron ne laisserait pas son lit pour si peu, même si ce fut un sacré coup !

Cius observe le propriétaire, se frotte le torse sous l’effet du froid et de la défiance.
– Assois-toi, Cius. Tu me rends nerveux.
Cius se pose sur son grabat. Il éprouve la nette impression de se tenir devant un abîme dans lequel on s’apprête à le pousser.
– Cius…
– Oui, maître.
Cius est craintif. Ses doigts chiffonnent un bout de sa chemise, rendue translucide à force d’être lessivée.
– Tu vas aller à Port-au-Prince pour dire à ma femme que je suis ici. Tu lui parleras seul à seule et tu me reviendras très vite.
– Oui, maître
– Dépêche-toi. Tu dois être de retour avant la mi-journée. Est-ce clair ?
– Oui, maître
Cius se hâte de se laver, jette un sac de toile sur le dos d’un cheval et part au galop vers la capitale. Le battement des sabots du coursier diminue, puis s’éteint. Dans la case, l’homme est seul avec le calme environnant. Son isolement et le silence aiguisent son instinct de survie. Il applique les leçons des parties de chasse de son adolescence. Il tend l’ouïe, perçoit les remous d’une source et le froissement des feuilles jaunies raclant la

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