Le batelier des rives incertaines
75 pages
Français

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Le batelier des rives incertaines , livre ebook

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Description

«Te souviens-tu quand tu étais petit et qu’on s’enfermait dans le garde-robe ?
— Ah oui ! Tu voulais m’expliquer Platon et le mythe de la caverne, rien de moins. Maman servait de lumière derrière nous avec la lampe de poche pour projeter des formes sur le mur devant nous. Tu me demandais de deviner les objets.
— Oui et souvent tu n’y parvenais pas, il fallait que tu regardes derrière pour saisir les objets réels.
— Et ?
— Et on est, ici, dans la caverne de Platon. Ce que tu y vis n’est qu’une illusion, le réel est à l’extérieur. Il faut accepter la cruauté du soleil, fiston.
— La cruauté du soleil ?
— La vie, la mort dans la caverne sont illusions, seule l’idée de la vie ou de la mort est vraie, réelle. La cruauté du soleil.
— Pas certain que j’en sois capable, p’pa.»
Depuis sa retraite comme enseignant au Cégep de l’Outaouais et chroniqueur à Radio-Canada, Jean Dumont consacre son temps au golf et à l’écriture. Dans Le batelier des rives incertaines, les lecteurs retrouveront avec bonheur le personnage d’Adéodat, qui conduit des patients atteints du cancer à leurs rendez-vous. C’est l’occasion de réfléchir à sa propre vie et, qui sait, peut-être de lui donner un second élan.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 mai 2022
Nombre de lectures 1
EAN13 9782895979005
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

COLLECTION INDOCILES dirigée par Ariane Brun del Re

LE BATELIER DES RIVES INCERTAINES

DU MÊME AUTEUR
Roman
Dans la peau des poètes Ottawa, Éditions L’Interligne, 2020.
Les lectures terminales Ottawa, Éditions David, 2015.
Poésie
Noir, tendre, blanc Ottawa, Éditions du Vermillon, 1987.

Jean Dumont
Le batelier des rives incertaines
ROMAN

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada
Titre : Le batelier des rives incertaines / Jean Dumont.
Noms : Dumont, Jean, 1953- auteur.
Collections : Indociles.
Description : Mention de collection : Indociles
Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 20210391987 | Canadiana (livre numérique) 20210392398 |
ISBN 9782895978428 (couverture souple) | ISBN 9782895978992 (PDF) | ISBN 9782895979005 (EPUB)
Classification : LCC PS8557.U5363 B38 2022 | CDD C843/.54—dc23
Les Éditions David 269, rue Montfort, Ottawa (Ontario) K1L 5P1 Téléphone : 613-695-3339 | Télécopieur : 613-695-3334 info@editionsdavid.com | www.editionsdavid.com
Tous droits réservés. Imprimé au Canada. Dépôt légal (Québec et Ottawa), 2 e trimestre 2022
Nous remercions le Gouvernement du Canada, le Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts de l’Ontario et la Ville d’Ottawa pour leur appui à nos activités d’édition.

 
Chapitre 1
Assis dans son auto, il attend. Il tend le bras et, en pressant sur un bouton, met fin au bavardage radiophonique. Seul le ronron du moteur le berce. La chaleur commence à l’engourdir et lui donne le goût de s’abandonner dans ce petit néant. Pourtant, il résiste, il veut rester conscient jusqu’au bout.
Dehors, il fait moins 20. Le vent par bourrasques agite le véhicule et rappelle à l’occupant qu’il n’est pas encore temps d’abdiquer et de céder à la somnolence. On dirait quelqu’un qui dort, mais il n’en est rien. D’ailleurs, la vitre de son côté, légèrement baissée, assure une circulation d’air. De temps en temps, de petits flocons se faufilent par l’interstice et se posent sur sa joue. Il ne bouge plus.
Il n’est pas midi et Adéodat, confortablement assis dans son auto, guette la porte du Centre de cancérologie.
Déjà quatre années de bénévolat, au rythme d’une journée par semaine au début, mais, de fil en aiguille, voilà qu’il consacre, depuis plusieurs mois, au moins trois jours à faire le taxi pour les patients du Centre. Jamais il n’a voulu refranchir ces portes, se contentant de les regarder s’ouvrir et se fermer au rythme des doses de chimio qui en sortaient. Dans ces temps d’attente qui peuvent parfois s’étirer sur des heures, il reste là. Il entre dans des périodes introspectives qui meublent le temps qui traîne de la patte. Sorte d’hibernation mentale où s’entrecroisent temps passé et temps présent desquels surgit un amalgame d’émotions. Mais aujourd’hui, Adéodat s’engage sur la route du bilan. Ça s’est imposé, comme ça, quand le patient qu’il déposait devant les portes coulissantes du Centre lui a dit : « Vous savez, Adéodat, qu’à force d’amener les cancéreux à leur rendez-vous, c’est votre horaire qui finira par succomber à un cancer temporel. N’oubliez pas votre rendez-vous avec la vie ! »
Adéodat s’était contenté d’un simple sourire, puis avait pris sa place dans le stationnement, en attente. En attente de quoi ? Bien sûr d’un patient mal en point, mais aussi en attente de lui-même. Il y a longtemps qu’il s’était mis sur une voie d’évitement. « N’oubliez pas votre rendez-vous avec la vie ! » Cette dernière phrase, sur le coup, avait sonné à ses oreilles comme un énorme cliché. Et voilà que ces mots tourbillonnent dans sa tête et soulèvent sur leur passage des images inattendues.
À travers le pare-brise, son regard fixe la formation des lames de neige sur l’asphalte et tout ça le ramène loin dans le passé, à New Carlisle.

Adéodat est ado, il veut aller à l’université. Il sait que ce ne sont pas les études qui l’attirent, mais la ville, Québec, à moins que ce ne soit que la fuite de New Carlisle. La fuite du « trop petit ». De la maison paternelle, après quelques zigzags gauche-droite, il s’engage sur la légère pente de la rue Church, traverse la voie ferrée et met les battures dans sa mire. Son parcours est accompagné de fines lamelles blanches d’une première neige poussée par le vent, comme des petits frissons d’asphalte qui guident ses pas vers la baie des Chaleurs. Plus il approche de la mer, plus il pense à son père dorénavant seul, encore plus veuf que seul.

Adéodat pourtant bien assis dans l’auto, au chaud, relève son col.

La mer s’étire devant lui. Il prend à gauche vers le rocher, entre sel et sol, là où il allait souvent après le décès de sa mère. Il y a une caverne creusée par les vagues : un utérus de pierre. Il s’y engouffrait des heures dans de vaines tentatives de corriger une malformation du temps, ce temps qui lui avait volé sa maman. Émergé de l’utérus, il se trouvait face à la mer et seuls les embruns salés qui humectaient son visage camouflaient la salinité de sa tristesse.
Il quitte New Carlisle, promet à son père de revenir souvent. Il ne tint pas sa promesse.

Adéodat active les essuie-glaces pour désembuer son point de vue. Son œil est attiré par une plaque d’immatriculation : la fleur de lys trône sur le « Je me souviens ».
— Je me souviens.
Adéodat s’étonne d’avoir dit cette phrase à voix haute. Cette voix, la même que celle de son père.

— Fiston, tu vas me donner des nouvelles ?
— Ben oui, p’pa.

Mais Québec, la grande ville, l’a en quelque sorte « amnésié ». Même s’il comprenait le goût du fils pour l’ailleurs, le père d’Adéodat avait ressenti ce choix comme une sorte de petite trahison. Jamais père et fils n’avaient abordé le sujet, mais il était clair pour les deux que la distance d’abord physique se métamorphosait, au fil des absences, en distance émotionnelle. Ils assistaient, dans du non-dit, à l’érosion de leur complicité.

New Carlisle ne fait pas le poids avec sa voie ferrée qui divise le territoire ; d’un côté, la ville et de l’autre, la plage, deux parties également plates, selon ses dires. À Québec, il y a la haute-ville, la basse-ville, l’Université Laval, ses corridors souterrains aux néons de couleurs, les études, les rencontres. LA rencontre.
Même dans ses rêves, elle n’était pas aussi parfaite : Lorraine. Il modifie son horaire pour s’infiltrer dans ses cours ; il modifie sa vie pour être sur son cours. New Carlisle se résume à un repère de ses origines. Son accent charme Lorraine. L’amour fou. Des années parfaites. Les études terminées, le brouhaha de la vie et Lorraine enfin enceinte. Elle rayonne.
L’accouchement se passe bien malgré qu’il s’agisse d’un siège. Après plusieurs manœuvres aussi délicates pour le bébé que pénibles et souffrantes pour la mère, l’enfant rapidement extirpé par les pieds est déposé sur le ventre de la patiente.
Le gynécologue, ignorant la parturiente, marmonne quelques mots à l’intention de l’infirmière dans un charabia propre au personnel médical. Lorraine entend quelques mots : « Possible hypotonie bénigne congénitale, mais rien d’alarmant », aux dires du gynécologue causant toujours à l’infirmière. Dans les faits, un muscle du cou a été trop sollicité lors du passage de la tête. Le bébé pleure et a la tête qui penche sur le côté. Rien à voir avec l’hypotonie, mot qui fait néanmoins un tintamarre d’enfer dans la tête de la nouvelle maman et qui couvre même les pleurs de Charles.
Lorraine connaît bien ce mot. Alors à peine âgée de dix ans, elle s’apprêtait avec sérieux et avec un évident bonheur à devenir une « grande » sœur. Au demeurant, son bonheur était beaucoup plus grand que celui de sa mère qui, à trente-six ans, n’avait pas envisagé l’avenue d’une nouvelle maternité. La maman accoucha d’un petit garçon atteint du syndrome de Down et d’hypotonie qui survécut à peine quelques jours après l’accouchement. La petite Lorraine avait vu à la pouponnière cet être fragile dont la tête se tenait à midi et quart comme celle de Charles là sous ses yeux de mère affolée. Si la petite fille croyait avoir laissé ces images troublantes dans sa prime jeunesse, l’adulte d’aujourd’hui était à même de constater que ces images n’avaient été mises que sur la voie d’évitement.
Dès les premières heures de vie de Charles, quelque chose change. Lorraine a un sourire étrange. Elle tient cette petite vie dans ses bras, elle sent le vide utérin et l’équilibre ne se rétablit pas encore tout à fait, sans doute la petite déprime post-partum.
Pourtant Charles est bien vivant, son cœur bat, tout fonctionne à merveille. Quelques exercices en orthopédie permettent à court terme de renforcer le cou et de replacer une tête bien droite au-dessus des épaules. Mais Lorraine, obsédée par les mots du médecin, s’ingénie à lui déceler une fragilité sous-jacente, une absence de combativité, un abandon de naissance. Cette crainte irraisonnée ne la quitte plus. Malgré les tentatives d’Adéodat pour la raisonner, il n’y a rien à faire, la mère poule devient mère surprotectrice, voire mère-boa. De guerre lasse, et pour éviter les disputes, Adéodat rend les armes : Lorraine et sa hantise envahissent le territoire familial.
Charles grandit. Bien que physiquement un peu chétif, l’enfant se développe normalement. Charles va à la garderie. Charles entre à l’école. Charles franchit l’adolescence, apparemment sans heurts, mis à part une nette propension à s’isoler. Doucement, Charles se laisse de plus en plus inhiber par l’humeur chagrine de Lorraine qui, elle, s’épuise à se tourmenter. Elle en arrive parfois à penser que le fils n’aurait jamais dû sortir de l’utérus. Son corps demandait à sortir, mais la formation « existentielle », celle qui, on ne sait trop comment, insuffle l’instinct de survie dès la première bouffée d’oxygène, n’était peut-être pas achevée.
Ainsi, Charles vogue dorénavant

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