LE PASSAGE CHINOIS   ROMAN
126 pages
Français

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LE PASSAGE CHINOIS ROMAN , livre ebook

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Description

Deux êtres se trouvent, c'est la rencontre de deux mondes, de deux plaques d'espaces-temps. Le Passage chinois figure la dérive des civilisations par celle des coeurs et réciproquement, mais à travers un moment vacant de la vie d'une femme à l'aube de la vieillesse à laquelle le corps fait obstacle depuis l'enfance, et que le désir ouvre, dans l'attente, aux rêves sensuels de la Chine et de l'Europe enchevêtrés.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2011
Nombre de lectures 53
EAN13 9782296465572
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LÈ PassagÈ chinois
© L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-55223-4 EAN :9782296552234
MariÈ LarrÈy
LÈ PassagÈ chinois
Roman
LYHarmattan
Du même auteur :
À travers les étés,Prix Prométhée de la nouvelle, Ed. du Rocher, 2009
PÈinturÈ ans lYÈau
D’abord, peut-être à cause de la mauvaise qualité de la reproduction comme du papier du livre, je ne saisis pas ce que le peintre a voulu figurer. Il me semble que le dessin est fantastique, où je vois un homme flotter au-dessus d’un buisson qui s’étend en fuyant devant moi vers une rive impossible, posée presque à la perpendiculaire et comme vue du ciel.
Une observation un peu plus attentive ordonne l’ensemble et me montre au lieu du buisson rampant sur le sol un branchage aérien. Tandis que, sur la droite, le paysage terrien que j’ai vu renversé — sorte de colline à peine ondulée avec prairies et bosquets — devient le tronc auquel la branche se rattache. Les taches d’encre appuyées et rondes, que j’ai prises pour des têtes feuillues, se changent alors en nœuds, en écailles, qui donnent du relief à l’arbre unique ainsi évoqué. Elles sont très nombreuses au point où la branche prend naissance et s’élancent vers sa partie supérieure. Elles semblent glisser sur le bois clair, remonter dans un mouvement tournant sur les premiers rameaux qu’elles habillent de quelques feuilles, suggérant que sur le tronc s’enroule un lierre ou quelque autre plante grimpante et parasite.
L’image maintenant rééquilibrée, ses lignes de force ont changé de direction. Le branchage, au lieu de fuir vers la droite où j’ai reconnu le tronc de l’arbre, en descend, s’épanouit dans un mouvement large, comme pour prendre
appui dans l’espace, et finit en deux fourches minces mais très ouvertes, presque à l’horizontale.
C’est le temps, la suite des saisons, la montée de la sève, la lutte contre le vent et l’attraction terrestre qui ont donné à la branche et à ses rameaux leur architecture actuelle. Elle témoigne de l’âge de l’arbre, de son énergie à vivre et à prendre sa place dans la nature, comme elle raconte son histoire. Le présent où je suis et où il est, au moment où je découvre la structure compliquée du branchage, mène à imaginer des automnes pluvieux où le vent a plié les tiges, des hivers lourds de neige, et des printemps où s’est gonflée la sève. Le tronc penché, lui, signale qu’il a poussé sur un talus invisible, que ses racines se sont accrochées à une terre assez riche pour le nourrir, mais instable, au bord, sans doute, d’une rivière. Cependant c’est au-dessus du vide qu’il apparaît : rien ne dessine un rivage et, s’il y a de l’eau, elle n’est pas séparée du ciel. C’est pourquoi l’homme semble flotter d’abord au-dessus de la branche — créature céleste, posée sur rien. C’est seulement en y regardant de plus près qu’on l’évoque en deuxième plan, assis derrière la branche et après l’arbre. Autour de lui, un semblant de nuage. Il est vêtu d’une robe qui plisse sur les manches où viennent fleurir les feuilles de la plante grimpante.
Il est difficile pour l’œil d’installer en perspective les plans successifs : la branche, l’arbre, l’homme et ce qu’il y a après lui, car c’est toujours du vide. J’ignore à ce moment si le peintre avait pour but de dessiner en noir et blanc, à l’aide de l’encre et de la feuille de riz, ou s’il a usé de couleurs. Ainsi rien ne permet à mon imagination d’être affirmative et sélective. Ce que je vois reste incertain et mobile, un mouvement si l’on veut, un mystère aussi : je ne comprends toujours pas d’où le peintre se place, observe, admire, contemple et dit.
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Il y a un sceau sur la droite, tout près de la rupture avec le bord de l’image où le tronc disparaît : de l’écriture, une lanterne où sont peints des idéogrammes. Signature supposée du peintre, illisible à mes yeux. Me vient alors à l’esprit que cette verticalité des traits dans ce que j’appelle le sceau, la signature, trouve sa correspondance dans la face longiforme de l’homme. Malgré les courbes qui le dessinent en son vêtement — le bras gauche disparu dans la manche relevée au niveau du coude, caché par la branche, perdu dans les replis qui rejoignent la cuisse et les jambes croisées ; l’avant-bras droit exposé au contraire et finissant, uni à la main qui le tient, par un objet : pipe longue, ou marteau renversé — il n’y a rien d’évanescent dans l’expression du visage très droit, presque rigide. Le chignon tout en haut du crâne est solidement assuré, les quelques cheveux fins qui s’en échappent sur la nuque sont raides, la barbe sans la plus minime ondulation, régulièrement taillée en une longue pointe qui tombe sur la poitrine. Les yeux, deux minces traits légèrement obliques surmontés par les sourcils, sont sérieux et tranquilles. Ils ne regardent cependant ni le spectateur, ni l’arbre, ni la rive ; l’objet de leur attention est invisible. Sans se laisser distraire, l’homme conduit sa barque.
Il a fallu ce regard tourné vers l’avant, ce visage ferme, calme et puissant pour que je comprenne que l’homme est tout entier absorbé dans sa tâche et l’instant. Ce n’est pas une pipe rêveuse qu’il tient dans sa main droite, mais le manche, en forme de canne, d’une rame. Alors seulement l’embarcation, d’abord léger nuage dans un ciel sans bornes, sort du vide, on en découvre la partie avant, rectangulaire et plate, suffisante désormais pour suggérer le fleuve au bord duquel a poussé l’arbre et sur lequel navigue l’homme. Mais rien, toujours, aucune ligne, aucun remous, ne sépare l’eau du ciel, le spectateur travaille en vain à trouver d’autres
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repères, et le point de vue du peintre, sauf les yeux du rameur, reste indéchiffrable.
C’est qu’il est tout entier dans son oeuvre, dans l’arbre, l’eau, le ciel l’homme, la barque. Il n’est pas sur la rive, à faire l’esquisse de son tableau, mais dans le tableau lui-même. Il se souvient des fois, de nombreuses fois sans doute, où il a voyagé sur la rivière, où il y a pêché peut-être, où il a vu cet arbre sur le bord. C’est lui qui a ce visage calme et puissant, les yeux regardant droit devant, emplis de cette vision qu’il a peinte ou peindra :le peintre dans une barque.
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