Le Royaume des cerfs-volants
223 pages
Français

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Le Royaume des cerfs-volants , livre ebook

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Description

Des Monts d’Alsace aux volcans de Java, du quartier Marunouchi, centre de gravité de la capitale nippone, jusqu’au Monastère de Sengen au pied du Fuji Hama, les personnages de cette histoire sont à la recherche d’une chose fragile et rare qu’on nomme le bonheur. Si le bonheur est fragile, c’est qu’il peut échapper à chaque instant à qui croit le tenir, mais il est rare aussi parce que personne ne pourra jamais indiquer avec certitude où le trouver. Pour certain, il se cacherait dans le ciel impavide où passent les nuages, histoire de nous rappeler que, comme eux, nous ne faisons que passer. Pour d’autres, il serait un fruit qui se goûte dans le recueillement confiné de la prière et vaudrait promesse de salut. Certains affirment néanmoins qu’il se dissimulerait dans la beauté des choses, pour nous donner une prémonition de ce qu'est l'éternité… Qui croire ? A moins que, tout simplement, les pépites de bonheur ne soient constituées de ces petits plaisirs que nous apporte le jour qui passe, pourvu qu’on ait la sagesse de les partager avec les gens qu'on aime.

Informations

Publié par
Date de parution 03 août 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312029382
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0017€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Royaume des cerfs­volants
« Je vois bien que nous ne sommes, nous tous
qui vivons ici, rien de plus que des fantômes
ou des ombres légères. »

Ulysse, dans l’Ajax de Sophocle
Pierre Gustin
Le Royaume des cerfs­volants
















LES ÉDITIONS DU NET
22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2015
ISBN : 978-2-312-02938-2
Chapitre 1 : la guérison de Fuko
Dans la demie clarté de la petite chambre, le temps s’éveille en paressant. Il s’étire, tergiverse, indifférent au combat que l’aube à peine née livre à l’obscurité. Vaincue, rétive pourtant à se résigner, la nuit bat en retraite, chassée par la rumeur de vie qu’on entend grossir au dehors. Elle cède pied à pied, s’accroche aux angles des murs, hésite, cherche un refuge et se ramasse, telle une bête traquée, sous la chaise où, pêle-mêle, on a jeté les habits de la veille. Sur le sol, de fines épées de lumière transpercent l’ombre ; tombées des persiennes, elles grimpent à l’assaut du lit défait, se brisent dans le désordre des draps tire-bouchonnés, pour triompher en plantant leurs drapeaux de victoire sur l’épaule du dormeur où elles tracent un tatouage léger peint à la couleur du matin.
Tokyo, vers le milieu du mois d’avril. Dans le modeste appartement qu’il occupe depuis bientôt quinze ans à l’orée de la banlieue nord, Fuko émerge lentement d’un sommeil sans fond. L’esprit encore engourdi et les yeux clos, il songe au printemps qui arrive et se demande en frissonnant s’il finira bientôt par chasser un hiver qui ne veut pas reculer.
« Tiens, ma première pensée n’est pas allée vers Sakura aujourd’hui ! »
Depuis des années, c’est la première fois qu’il ouvre les yeux sans reconnaître le visage de la jeune femme, imprimé dans la matière grise de son cerveau et encore perceptible dans la transparence de ses rêves. Cette constatation le dérange et il en éprouve une sorte de culpabilité sournoise, comme s’il venait de commettre une infidélité. On pourrait même envisager un symptôme plus grave, l’escamotage du visage chéri de sa mémoire ; ou encore, à l’inverse, l’effacement de sa propre image dans la mémoire de Sakura, empêchant ainsi la connexion habituelle entre leurs deux esprits ? Sans comprendre ce qui se trame dans les nimbes embués de ce réveil si peu banal, il a l’impression que ce jour nouveau, en se faufilant sans gêne entre les fentes horizontales des volets de sa chambre, ne ressemblera pas à ceux auxquels il s’est habitué.
L’impression n’est pas fausse ; Fuko émerge à l’instant d’une nuit qui a duré plusieurs années, le temps nécessaire pour un long voyage confiné qui vient de se terminer sans qu’il sache où il est arrivé. Parti d’une plage de la baie d’Ise dont il avait marqué le sable de ses pas, mêlés à ceux de Sakura, le voici seul aujourd’hui devant une étendue vide, à se demander où il est.
Malgré le désarroi de ce réveil si différent de ceux qu’il a connu ces dernières années, il a tout de même une infime certitude : pour ne pas disparaître, avalé par le trou noir du temps la menace est réelle, il la sent roder autour de lui , il a besoin d’ouvrir sa vie à quelque chose d’inédit. Il retrouvera peut-être ainsi le goût de former des projets. L’ennui, c’est qu’il n’a pas la moindre idée de ce que pourrait être le quelque chose en question ; il le voit seulement comme un point de départ, une rupture qui le débarrasserait des fantômes qui tiennent table ouverte chez lui depuis trop longtemps.
Au départ de Sakura, il a laissé se dénouer un à un les liens qui le rattachaient au reste du monde. Ce n’était même pas une volonté affirmée, la déconnexion s’est produite à son insu, sans même qu’il la souhaite. Pour sortir de cet état de petite mort, il a besoin de mouvement, d’inattendu ; la lumière qui force ses volets, les bruits de la rue, tout cela lui rappelle aujourd’hui que le monde existe et qu’il en fait partie.
Il faut dire que jusqu’ici, tous ses dimanches se ressemblaient : invariablement, inlassablement, Fuko les consacrait à peindre. Que serait-il devenu sans la peinture ? Elle a donné un sens à ses semaines ; en lui permettant de représenter le retour de Sakura, elle l’a aidé à y croire.
Chaque dimanche, au moment de préparer son sac pour Oyodo, le souvenir de sa mère lui revient à l’esprit. Quel que soit le temps, au lieu de profiter de sa matinée dominicale, sa mère se rendait à la messe d’Azabu qui était la paroisse la plus proche de leur domicile. Etant jeune, il l’avait accompagné quelques fois et ce n’était pourtant pas la porte à côté, cette église ! Il fallait compter trois bons quarts d’heure de train avant d’y arriver, mais la distance n’était pas un problème pour sa mère. Au contraire, le sacrifice d’une matinée de dimanche, associé à l’idée que la route serait longue, représentait déjà pour elle un commencement de prières.
Pour Fuko aussi, la peinture aurait pu ressembler à un acte de foi s’il avait su à qui l’adresser. Depuis des années, la plage d’Oyodo lui tient lieu d’autel et c’est aux vents de la baie d’Ise qu’il fait tourner son moulin à prières, sans savoir où s’envolent les actes de foi dont il encense sa toile. Sa peinture possède la persévérance d’une incantation ; sans se lasser, rien qu’en faisant danser les brosses au mariage des couleurs, il répète la scène imaginaire avec laquelle, faute de mieux, il vit depuis dix ans et qui figure le retour de Sakura. Dans le grand fracas de l’océan, la jeune femme lui est rendue au terme d’un voyage long comme une succession d’éternités. Les vagues la déposent avec précautions sur la grève, habillée d’algues et nacrée d’écume ; elle se redresse et marche vers lui, l’eau ruisselle sur son corps et lui tresse un habit de perles qui scintille au soleil. Elle le regarde longuement avant de retourner, comme à regret, vers l’océan qui referme aussitôt sur elle ses bras d’amant ombrageux.
Pourtant ce matin, la perspective de préparer son barda toiles, crayons, pinceaux, chiffons, pâtes de couleurs , la pensée de faire deux heures de train et de rentrer chez lui à la tombée de la nuit, lui donne le sentiment d’un effort inutile. Une lassitude indéfinissable instille un anesthésiant torpide dans son corps et dans ses pensées. Comme si cela ne suffisait pas, une idée bizarre, insidieusement sortie des brumes du sommeil, a germé dans sa tête en le prenant au dépourvu. Pour sa mère, ce genre de lubies était amené par des petits animaux vivant dans le monde mystérieux des fées et des lutins. Ils y formaient, disait-elle, la gent trotte-menu des souris vertes. « Comme les fées et les farfadets, les souris vertes sont des êtres invisibles, ajoutait Madame Satomi en prenant un air grave. Elles entrent dans nos pensées par nos oreilles et ressortent de la même façon, sans qu’on se soit aperçu de rien. On ne peut pas arrêter leurs vas et viens même si, au passage, les petites coquines en profitent pour nous grignoter gentiment le cerveau ». Tout cela était affirmé avec tant de sérieux que Fuko, émerveillé, imaginait la chose en se faisant de douces frayeurs d’enfant. En particulier, il se demandait comment on pouvait connaître la couleur de la robe de ces petits animaux puisqu’on les disait invisibles et il attendait, inquiet mais impatient, de recevoir un jour leur visite. Des années ont passé sans que la gent trotte-menu ne s’intéresse à lui, et brusquement ce matin la présence dans son esprit d’idées aussi bizarres lui font envisager quelque intrusion intime. L’un de ces petits rongeurs facétieux l’attendait sans doute au détour d’un rêve, avec l’aplomb de ceux qui se savent insaisissables. En lissant ses moustaches, il aura profité de la langueur où était plongé son hôte pour lui souffler le projet de rendre une visite au sculpteur de Sengen. Quelle malice aura inspiré une idée si farfelue ? Quoi qu’il en soit, l’envie de revoir Yasuda ne le lâche plus. Dérangeante, exclusive, elle s’impose à son esprit avec l’obstination d’une idée fixe.
Entre lui et le sculpteur, une histoire d’amitié s’est écrite sans qu’il s’en ape

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