Les enfants de Gédéon
137 pages
Français

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Les enfants de Gédéon , livre ebook

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Description

Qu’ils soient médecin, journalistes, cuisinier, les personnages de ce recueil sont liés. Instituteur en Kabylie pendant la guerre d’Algérie, Monsieur Gédéon est de ces maîtres que l’on n’oublie pas. Ainsi, de Djemila à Argenteuil, de l’Algérie des années noires à la banlieue d’aujourd’hui, Mélissa, Zara et


Farid partagent les valeurs qu’il leur a transmises.


Recueil de douze nouvelles, accompagnées de douze poèmes interstitiels.



« En refermant ce recueil de nouvelles, c’est un long voyage qui s’achève, de ceux dont on revient enrichi de rencontres, de paysages et d’émotions. Ce livre est un cheminement dans un univers aux saveurs oniriques mais qui s’ancre dans un monde bien réel. » L K Réalisatrice.



Editions Tangerine nights

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 mars 2020
Nombre de lectures 1
EAN13 9791093275499
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Geneviève BUONO
 
 
LES ENFANTS DE GÉDÉON
 
 
 
Douze nouvelles et douze poèmes interstitiels
 
 
Nouvelle édition
 
 
 
Collection Nouvelles des étoiles
 
 
eT n T angeRine nights
 
Les Éditions Tangerine nights
46, Domaine du Vert Coteau 14800 Touques
 
ISBN : 979-10-93275-09-3
EAN : 9791093275093
ISBN NUMÉRIQUE : 979-10-93275-49-9
EAN NUMÉRIQUE : 9791093275499
 
 
 
LA PASSERELLE
 
Sur le chemin taillé dans le roc, Laury courait vers le ciel. Pour arriver en haut la première, il fallait contourner le gros rocher, et elle avait pris son envol. Il faisait chaud, et, rougies par l’effort, ses joues étaient maintenant brûlantes. Mais elle touchait au but. De toute la force de ses petites jambes, elle escalada la dernière marche et le paysage vint à elle comme une récompense. Éblouie par le champ infini de la mer, elle s’arrêta net. Perché sur la falaise, on dominait le monde bleu.
Bleu le ciel sans nuages, et bleues les mouettes et les dauphins. Bleues les vagues, bleue la barque et bleu le dos courbé du pêcheur. Bleu le banc de mulets, la main de l’homme sur la rame, et la petite sirène prise dans les mailles du filet. Bleu le frémissement des herbes au bord de l’abîme. Bleu l’arc du varech sur la plage et les gourbis cachés derrière la haie de roseaux. Bleu le souffle du sirocco, le braillement de l’âne, l’ombre de l’olivier. Bleue la kouba blanche où sommeillait le marabout. Bleus les néfliers, les palmes, les figuiers de Barbarie dressés comme de mauvais géants, la musique des vagues et le sel sur les lèvres. Bleus les récifs et les lointains, bleue la corniche comme une chevelure dénouée et, suspendue au-dessus du vide, la maison d’oncle Boris. Bleu nuit, bleu jour, bleu pervenche comme un éclat de rire. Et de rire, il n’était que temps.
Bleu de Sèvres ou bleu d’Alger, bleu cristal le tout et le rien, bleus les rochers au pied de la falaise, la baie offerte et le paquebot lointain. Bleu, bleu, furieusement bleu. Bleu comme étaient bleus la robe et les yeux de Laury. Un oiseau de mer plongea du côté des récifs où il disparut dans les eaux sombres. Bercé par la brise côtière, le flanc de la mer vibrait de soupirs silencieux. De temps à autre, une vague accrochait un rayon de soleil et une paillette, éclat arraché à l’œil d’une baleine invisible, miroitait gaiement.
Là-bas, loin devant, impossible de dire si c’était le ciel qui plongeait ou la mer qui s’évaporait. La gamine se tourna vers les autres, qui piétinaient en contrebas. Tout occupées à parler de choses sans intérêt, sa mère et Jeanne, la femme de Boris, n’avançaient pas vite. Quant à leurs époux, Mam’s lui avait glissé un jour qu’ils parlaient politique. Sans nul doute, il s’agissait d’une exaction et, pour l’instant, ils n’accordaient aucune attention à cette mer pourtant si belle. Tantôt ils progressaient à une allure de limace, tantôt ils devançaient leurs épouses qui se répandaient alors en protestations.
Les cris de Jeanne, Laury les avait en horreur. Elle s’arrangeait alors pour fausser compagnie aux adultes. Chloé fit un geste de la main pour lui dire de revenir et le groupe fit demi-tour. Le but de la promenade, c’était l’appartement d’oncle Boris, là-bas. Autant prendre un raccourci.
Elle sautillait sur le sentier lorsque parut un obstacle inattendu : une passerelle de bois. Elle était jetée au-dessus du vide, et Laury n’avait que quatre ans. À l’aplomb, la mer se déchaînait contre les rochers, et cette eau noire chargée d’écume ne ressemblait pas à l’autre. Laury jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. À trois pas en arrière, Pierre se baissait pour ramasser quelque chose. Pierre était son petit oncle. Avec ses cheveux de paille, il ne ressemblait à personne. Laury l’admirait et le craignait tout à la fois. Il connaissait des choses que seuls les grands savent, et Mam’s ne l’écartait pas des conversations de grandes personnes.
Une pierre à la main, il se redressait. Il surprit son regard et fit mine de la viser. On pouvait s’attendre à tout de sa part. Elle se plia en deux pour éviter le projectile, ce qui le fit rire aux éclats. Puis, les mains en porte-voix, il corna dans sa direction:
« Gare aux raz de marée ! »
Pierre avait vu un rat ! Un soir, en bas de l’immeuble de Mam’s à Alger, une boule de poils courait sans bruit sur le trottoir. À peine si on avait eu le temps de la voir, elle se coulait derrière les poubelles. « Un rat d’égout ! C’est dégoûtant ! » avait dit Mam’s en poussant la porte de l’immeuble.
Mais il devait être énorme, ce rat de mer ! La fillette se dévissa la tête dans tous les sens à la recherche de l’animal. Puis, appuyant ses mains sur le sol, elle s’accroupit et tendit la tête vers l’abîme. Il avait dû regagner sa tanière, sans doute une grotte souterraine. Pierre avait eu bien de la chance de l’apercevoir. Il avait la vision la plus perçante de la famille et, plus tard, il piloterait des avions de chasse.
Plus le courage d’avancer. La passerelle au dessus du vide, l’animal immonde, et pour finir cette succion de la vague lorsqu’elle s’arrachait au rocher, tout ça était insoutenable ! Quand Mam’s se détournait pour ramasser un plat dans la desserte, Pierre avait une façon répugnante de lécher son assiette à la dérobée, comme un chien. Voilà que le bruit qui montait de l’abîme ressemblait au lapement de Pierre. C’était à donner le frisson.
Il fit un pas dans sa direction :
– Regarde bien.
D’un large moulinet du bras, il projeta la pierre dans le ciel, où elle décrivit une magnifique parabole, avant de se fondre dans la colère des eaux.
– On dirait la guerre.
Elle avait dit ça comme ça. Elle s’assit sur un coin de rocher où Pierre la rejoignit. Les adultes étaient encore loin derrière.
– La guerre ! reprit Pierre. Sur ce thème-là, il en connaissait un rayon. On le lui avait assez répété, qu’il était né à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Et il allait lui apprendre, à cette minable ! Il tira une ficelle de sa poche :
– Toi, tu fais les Allemands et moi, les Français.
Cette idiote se laissa attacher les mains dans le dos sans rien dire. Pendant qu’il serrait le double nœud, elle demanda à prendre son mouchoir, mais il refusa. Quand on fait la guerre, il n’y a pas de mouchoir qui tienne. Même ligotée, elle conserva le même sourire exaspérant pendant qu’il la secouait en lui criant de gros mots à l’oreille.
Une fois vérifié que le monde adulte se tenait à distance, il lança une offensive aérienne. Premier piqué en chandelle, toutes griffes dehors, sur les joues de l’ennemi, puis un autre, et un autre encore. À chaque passage, augmenter la pression. Bon signe, les étoiles rouges, preuves que la cible est atteinte, il ne reste plus qu’à l’anéantir, facile ! Aux commandes de la DCA, arroser de poignées de sable tous les Messerschmitt à la ronde, en la personne de Laury. Un mélange de pétarades, de sifflements, de ricanements, de « Touché coulé, sale boche ! » accompagnait le combat. Les yeux pleins de sable, Laury fondit en larmes.
La troupe des adultes approchait, annonçant la fin du jeu. Il fallait se dépêcher de défaire le nœud.
– Maintenant, tu sais ce que c’est ! Retourne-toi, je vais te libérer.
– Est-ce que je peux prendre mon mouchoir ? demanda Laury, les épaules secouées de sanglots.
Cette maudite ficelle refusait de se défaire, il allait être obligé de la couper avec ses dents. Pas le temps de s’occuper des chichis de mademoiselle.
– La prochaine fois, on fera la guerre d’Indochine, tu verras... Ceux -là aussi, ils veulent nous trouer la peau.
– Allons, veux-tu te taire ? Ces gens se battent pour leur liberté. Nous n’avons rien à faire là-bas !
Boris venait de les rejoindre. Un Boris très en colère. Jamais encore Laury ne lui avait entendu cette voix mauvaise.
– Elle voulait que je lui explique la guerre, répliqua le garçon et, comme elle se taisait, il la secoua par le bras:
– Dis-le-lui, toi !
Laury ouvrit la bouche, mais aucun mot ne lui vint.
– On m’accuse tout le temps ! J’en ai marre, dit le garçon en frappant le sol du pied, avant de s’en aller de son côté.
– Et moi, je t’interdis de maltraiter la petite ! Si tu recommences, tu auras de mes nouvelles !
C’était la première fois que Boris se fâchait comme ça. Il ne regardait même pas Laury, il fixait quelque chose, loin là-bas, sur l’horizon. Elle traversa la passerelle à petits pas, la main dans celle de l’oncle. <

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