Les exodes
91 pages
Français

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Les exodes , livre ebook

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Description

C'est histoire d'une rencontre. Un ainé en séniorie, une infirmière de nuit. Une rencontre qui n'est pas de l'ordre de l'accident ni d'une pure nécessité. Elle ne peut se comprendre sans l'intervention du désir, de la liberté. Une rencontre entre deux époques, deux générations. Entre deux désirs de vivre. Vivre au plus proche de ce que l'on est. Et transmettre la vie. Chacun à sa façon. Une rencontre qui chemine. Sur le mode de l'exode. Exodes de guerres et exodes intimes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 08 septembre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782806121059
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Titre

Luc Bawin





Les Exodes
Copyright









D/2016/4910/39
EAN Epub : 978-2-8061-2105-9
© Academia – L’Harmattan s.a.
Grand’Place 29
B-1348 Louvain-la-Neuve
Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’auteur ou de ses ayants droit.
www.editions-academia.be
Dédicace








À Chevreuil Conciliant
À Marguerite
Exergues







« Sur son chemin, il boira à la source. C’est pourquoi il redressera la tête. »
(Psaume 109)
« Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le afin de le posséder ! »
Goethe
Les Exodes
U n nouveau jour commence.
Les pas feutrés de l’infirmière dans le couloir, le roulement du chariot à médicaments qu’elle pousse de porte en porte… C’est mon réveille-matin.
C’est l’heure où je me pose la question : ai-je encore du désir aujourd’hui ? Mon envie de vivre est-elle encore au rendez-vous de cette nouvelle journée ?
Oh le désir n’est plus celui de ma jeunesse !
Il n’y a plus ces grands élans tempétueux, ce souffle décoiffant. Ni ces vagues déferlantes qui l’agitaient en tous sens.
On pourrait croire que c’est une mer d’encre. Un désir si calme qu’il est inutile de hisser la voile du moindre projet. Pas de vent pour le pousser au large.
Oui, c’est vrai…
Pourtant, il est bien là ce désir. Fidèle au rendez-vous.
Même s’il ne s’embarque plus dans la grisante incertitude des aventures océanes.
C’est un imperceptible mouvement de fond. Mais puissant. Une force qui génère les marées. Une poussée imperturbable, prévisible, minutée. Une routine en apparence, mais que j’attends, que j’espère. Comme on se réjouit de voir la mer montante. Et une fois qu’elle est haute, de la voir redescendre.
Parce que les petits plaisirs qu’elle nous donne sont toujours renouvelés. D’abord l’écume des vaguelettes qui s’engouffre dans les tranchées autour du château de sable. Et puis, l’assaut grondant des rouleaux qui l’engloutissent inévitablement. Les pliants qu’il faut sauver à la hâte.
Ensuite, quand la mer se retire, l’empreinte des pieds nus dans la fraîcheur du sable lisse, la récolte de coquillages, les caprices du cerf-volant…
Ça peut sembler minable, les jeunes ne peuvent pas le comprendre. Mais je l’avoue sans honte : je suis ravi de ce qui m’attend aujourd’hui. Mon café du matin en premier : c’est un bonheur incontournable. Je le prolonge avec la lecture du journal (mais je garde le sudoku et les mots croisés pour après la sieste). Et puis il y aura « Motus » à la télé. Je pourrais rivaliser avec certains candidats ! Il sera vite midi. Aujourd’hui, c’est le jour des frites. Et avant cela, nous aurons droit à l’apéritif car on fête les anniversaires du mois. De retour en chambre, je passerai un CD. Un recueil de chants grégoriens. C’est mieux comme inducteur de méridienne que la « messe en si » de Bach que j’écoutais hier : trop captivante ! Surtout la seconde partie. Pas de kiné cet après-midi : Fred ne vient que trois fois par semaine. Raison pour laquelle j’ai préservé le sudoku et les mots croisés… Ben oui ! Il faut s’organiser !
Pour ma soirée, j’ai repéré un Maigret sur Arte. J’adore. Pas tellement pour l’intrigue car je ne comprends pas toujours tout. C’est surtout pour l’ambiance : la lumière tamisée du commissariat, les gros plans sur les mains de Maigret qui bourre sa pipe. Les volutes de fumée à contre-jour. J’y retrouve aussi les intérieurs de ma jeunesse avec les taques rougeoyantes des poêles crapauds, les bassines en zinc, les rideaux en Vichy. J’essaie d’identifier les voitures du début du siècle (le précédent !) : Peugeot 203, Citroën traction, Dauphine, Simca Aronde.
Quel jour sommes-nous ? Le 10 mai…
C’est un anniversaire mémorable ! Aussi important pour moi que le jour de ma naissance.
Chaque année, à cette date, je me demande où j’ai rangé mon vieux carnet de notes.
Cette fois, Il serait peut-être temps que je m’y replonge… Si je le retrouve.
Ce soir, c’est Priscilla qui fait la veille. Elle en fait cinq d’affilée. Ensuite cinq jours de récupération.
Priscilla, c’est l’étoile de mes nuits. Avec le temps, je suis devenu son confident.
Après la tournée de mises au lit, quand il n’y a plus de sonnettes et que tout est calme, elle vient dans ma chambre faire papote. C’est très fort mon attachement à Priscilla ! Et complexe à la fois. Il n’y a pas d’âge pour apprécier la compagnie d’une femme charmante.
Elle s’assied toujours dans le même fauteuil. Son parfum, je le reconnaîtrais entre mille. Sa voix est posée, satinée. Elle me cajole le cœur.
Quand Priscilla se confie à moi, je sais que je suis important pour elle. Et ça attise le feu de la vie que d’être important pour quelqu’un. Si elle me divulgue ses secrets, elle sait que je les garderais. Elle se sent libre parce que je n’émets aucun jugement quand elle me raconte les aléas de son histoire. Et elle attend que demain ou plus tard je lui en reparle. Que je lui dise mes étonnements, mes questions, mes craintes, mes satisfactions. Et ça la fait grandir.
Certaines fois, c’est à mon tour de compter sur elle. Car la présence en moi d’un désir toujours vivant n’empêche pas les moments de nostalgie. Le temps propice de la nuit fait parfois ressurgir les souvenirs douloureux, les regrets. À qui d’autre pourrais-je en parler ?
S’il m’arrive aussi de me confier à Fred, le kiné, quand il me masse le dos et que je ne croise pas son regard, c’est pour évoquer des choses plus anodines, qui prêtent à sourire. Des confidences certes, mais dont on peut blaguer entre hommes.
On ne parle pas de la même façon à une femme et à un homme. On ne leur dit pas les mêmes choses. Les attentes sont différentes.
À minuit, Priscilla me quitte. Elle me fait un bisou sur le front puis elle part faire sa ronde. Mais il me reste son parfum. Ces nuits-là, je ne prends pas mon Lorazepam. Je suis comblé, serein.
Je sais que mon sommeil sera agréable.
A uguste Brassine n’oubliera jamais ce jour où il est entré à la maison de retraite.
Ce fut une décision difficile à prendre. Pas en raison de ses craintes car il n’en n’avait pas.
Il se définissait lui-même par un paradoxe : un solitaire incapable de vivre seul.
S’il aimait par-dessus tout les moments d’isolement, s’il en avait un besoin vital pour rêver, se souvenir, élaborer ses pensées, il lui était tout aussi indispensable de se savoir entouré. De pouvoir compter sur une présence. Il fallait qu’à d’autres moments il se sente attendu, qu’il soit accueilli. Que quelqu’un d’autre puisse partager ses idées, du moins celles qu’il était disposé à révéler. Ou réagir à ses hypothèses.
Mais il aspirait aussi, plus simplement, à engager la conversation sur les sujets les plus communs, curieux des dédales où elle pourrait l’emmener.
Bref, c’était un Ulysse du monde des pensées. Toujours avide d’explorer mais dans l’attente du retour à Ithaque.
Mais voilà : depuis le décès de Rose et de leur fils Louis, le port était aussi désert que le large. La solitude d’Auguste Brassine n’avait plus de contenant, elle se répandait en lui, engluait son esprit, le figeait de l’intérieur.
La solution de la maison de retraite s’était donc imposée à lui assez naturellement. C’était un lieu de vie où des rencontres étaient possibles.
La difficulté venait des autres. Plus précisément de ses proches défunts. Auguste s’était senti infidèle à d’implicites promesses, il contrevenait à leurs avis sur la question.
Rose avait subi de multiples hospitalisations. Au fil des ans, le diabète lui avait bouché des artères, asséché un rein, altéré la vision. Les ulcères des pieds ne se refermaient plus. Sa tension était incontrôlable. Il avait donc fallu poser des stents, traiter les rétines au laser. Des séances de dialyse s’étaient avérées nécessaires. Pour Rose, le fait de quitter sa maison

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