Les roses rouges , livre ebook
88
pages
Français
Ebooks
2025
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Découvre YouScribe et accède à tout notre catalogue !
Découvre YouScribe et accède à tout notre catalogue !
88
pages
Français
Ebooks
2025
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Les roses rouges
Du même auteur :
Romans :
Le Jardinier , Éditions du Lau, 2008
La Caresse , Éditions Jets d’Encre, 2009
Le Chemin , Éditions Jets d’Encre, 2011
L’Absent , La Société des Écrivains, 2013
Le Voyage, La Société des Écrivains, 2014
Sous l’amandier en fleur , L’Harmattan, 2017
L’étreinte , Éditions Complicités, 2018
Un si beau sourire , Éditions Complicités, 2021
Poésie :
Quelque part dans le monde, Éditions du Lau, 2007
L’Alouette, Éditions Jets d’Encre, 2014
La Caresse de septembre, La Société des Écrivains, 2015
Sous le prunus en fleur, Éditions Complicités, 2017
Chaque printemps sera plus beau, Éditions Complicités, 2019
Parce que mon amour vaut plus que tout , Éditions Complicités, 2020
Le bonheur du jour , Éditions Complicités, 2022
La source , Éditions Complicités, 2024
Nouvelles :
Portraits de femmes , L’Harmattan, 2021
Portraits de famille , L’Harmattan, 2022
Théâtre :
À toi dans cent ans , Éditions Complicités, 2023
© Éditions Complicités, Chez Pierres de Paris – 44 rue Rouelle, 75015 Paris, 2025
ISBN : 9782386477096
Dépôt légal : 2 e trimestre 2024
www.editions-complicites.com
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L.122-5.2° et 3°a), d’une part que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (Art. L-1222-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Agnès Marin
Les roses rouges
Éditions Complicités
« Un film vaut les kilomètres de pellicules de baisers au cinéma : c’est une scène de « La ballade du soldat 1 » où le fiancé et la fiancée sont dans un train bondé, où le jeune homme avec son doigt suit le profil de sa bien-aimée. La pudeur, c’est ce que j’aime. La pudeur de l’amour. » Lino Ventura.
Le printemps : On dirait qu’il puise dans nos yeux, dans notre émerveillement, toute la force de sa jeunesse.
Chapitre 1
Soudain, au détour d’un regard, le printemps apparaissait. Il était là, certes, depuis plusieurs jours – la lumière, la date, les premières fleurs ainsi qu’une légère gaieté qui commençait à poindre – mais le perpétuel mouvement du corps, l’habitude de le revoir comme si cela nous le rendait acquis pour toujours, empêchaient de le goûter pleinement. Il revenait et Adèle se demandait par quel mystère ce miracle, malgré la nature distraite des hommes, insistait auprès d’eux.
Il était là, beau, puissant, silencieux. Elle s’était arrêtée.
Elle l’avait déjà peint, chanté en secret. Elle n’avait cette fois ni pinceau ni papier sous ses doigts. En cet instant, ce n’était pas de le décrire qui importait, c’était la force avec laquelle il l’enlevait à l’ordre du monde.
La lumière, à la fois tendre et sacrée, sertissait chaque détail du jardin sans éblouir, en restituait l’extrême beauté. Par une étrange opération, les bruits habituels étaient coupés et Adèle n’entendait plus que le chant d’un oiseau.
— Soixante-deuxième ? Soixante-troisième ? comptait une voix au fond d’elle-même. Depuis tous ces printemps, appréciait-elle enfin le bonheur d’être là ?
— Tu es là, Adèle ?
Le claquement d’une canne se fit entendre. Sa mère la cherchait.
— Encore un printemps pour toi, Maman !
Elle voulait la faire sourire. Elle venait là pour elle, resterait la nuit.
— J’ai quel âge ? demanda sa mère en posant un pied dans le jardin.
— Quatre-vingt-treize ans, Maman.
— C’est merveilleux, non ?
Sa mère hocha la tête et relevant les yeux vers la lumière, fit une grimace.
— Mets un chapeau.
Elles s’installèrent sur la terrasse. Il y avait dans les gestes lents de sa mère une lenteur qui rassurait Adèle.
— On est bien, là, dit-elle en déposant un verre d’eau sur la table.
Devant elle, la fresque des rosiers.
— Tu les vois ? demanda sa mère comme si elles venaient d’apparaître.
La semaine précédente, au même endroit et sous le même soleil, sa mère avait posé la même question.
— Les roses rouges, répéta sa mère.
Quand elle prononçait cette phrase, le mot « rouge » ressortait. C’était parce qu’elles étaient rouges que les roses existaient, que sa mère se souvenait d’elles. Et c’était comme si cette couleur, soudain, lui montait à la tête, irriguait sa vie d’un sang neuf. Sa mère ne disait pas « les roses », mais « les roses rouges ».
Sous le soleil, tout s’embrasait.
En attendant la venue d’Adèle, elle s’était recouchée. Maintenant elle oubliait cette fatigue que l’âge lui avait appris à faire sienne.
— Ton frère les a arrosées ce matin avant de partir travailler.
Mathieu, tout en menant sa vie à l’extérieur, rentrait dormir chez sa mère. À la demande de cette dernière, Adèle et lui feraient tout pour la garder chez elle. Lorsque Mathieu découchait, Adèle venait.
— Tu n’as pas trop chaud ?
— Non, Maman.
Elles contemplaient les fleurs ensemble. Un doux silence, bercé par la brise, les reliait. Parfois sa mère s’assoupissait. Elle restait droite sur sa chaise, ne tombait pas. Quand la paix venait ainsi entre deux courtes répliques qui ne prêtaient pas à conséquence, mais rappelaient surtout à sa mère qu’elle n’était pas seule, une ombre s’insinuait. Adèle songeait qu’à n’importe quel âge, ce printemps-là pouvait être le dernier. Au moment où elle le pensait, tournant brièvement les yeux vers sa mère, elle vit qu’elle était regardée avec une curiosité presque malicieuse. Ce regard, unique, démontrait qu’elle était sa fille, son souci, sa fierté peut-être.
— Ton mari, tes enfants vont bien ?
Avec le temps, toutes deux avaient appris la mesure des choses. Tout n’allait pas si mal. Et puis sa mère avait toujours su l’essentiel. Alors, celle qui ne s’était jamais permis de poser des questions sur son couple, demanda soudain, avec un œil plein de convoitise :
— Qu’est-ce que tu manges ?
Tout ce que sa fille grappillait ne pouvait qu’être bon. C’était du chocolat. Et sa mère, sans complexe, engloutit le reste de la plaque.
En ces longs après-midis de juin, le jour baissait à peine et la haie de rosiers brandissait ses fleurs rouges, toujours aussi flamboyantes.
— Elles sont belles, n’est-ce pas ?
Avec ces mots simples, elle dirigeait le regard de sa fille, lui transmettait son obsession. Avec elle, Adèle avait appris qu’on n’employait pas un mot pour un autre. Et ainsi, elle les avait aimés.
Adèle opina. Sa mère avait beau se répéter, elle la laissait dire. Car c’était là l’expression de son amour des fleurs. Elle s’y accrochait pour ne pas les voir disparaître, pour ne pas mourir, tout comme Adèle, devant cette lumière prodigieuse qui l’avait inondée, embrasée au plus profond d’elle-même… Comment croire, en cet instant, que sa mémoire défaillait ?
Tant pis si tout à l’heure elle ne saurait même plus où se trouve son portable, si elle lui redemandait où elle habitait, si elle se trompait de jour et ne se souvenait plus de ce qu’elle avait fait la veille… « Les roses rouges » dans sa bouche, ne fanaient plus.
Elles dînèrent tôt et se couchèrent. Adèle dormait dans le salon qui jouxtait la chambre de sa mère. À travers les losanges des volets, elle guettait les dernières lueurs du jour. Juste avant la nuit, la fauvette chantait ses notes d’or et Adèle trouvait à cette gaieté tardive des accents troublants.
Juste avant, elle avait bordé sa mère dans son lit. Elle la bordait comme sa mère la bordait enfant et dont le souvenir lointain, faute de netteté, se mélangeait à une part d’imaginaire. Le cérémonial était précis. Sa mère dictait la manière de replier le drap et de le remonter jusqu’aux épaules, la couverture restant au niveau du ventre. Puis il fallait bien fixer le tout d’un côté du lit seulement, et laisser libre l’autre pour lui éviter d’avoir à tirer et à fatiguer son corps. Tout était ordonné, calculé, conçu pour assurer une nuit aussi paisible que possible, et Adèle voyait dans ce qui pouvait apparaître comme une manie de vieille dame non seulement un rite protecteur mais un désir touchant et louable de se faire du bien. Adèle calait deux oreillers sous sa tête, vérifiait que le portable et la canne fussent à portée de main, puis éteignait la lumière.
Chez sa mère, Adèle s’endormait vite. Il arrivait que sa mère la rappelle. Elle voulait s’assurer que la maison était parfaitement fermée, portes, volets et appareils éteints. Les premiers temps, Adèle se relevait, vérifiait. La maison était grande et sa mère, qui avait l’ouïe fine, percevait le moindre bruit. Il y a longtemps, un inconnu s’était introduit par la fenêtre de la cuisine. Avec les années, la solitude de sa mère devenait plus rude. Depuis le décès de son époux, à la douleur de la perte s’était greffée la peur de dormir seule… Elle était déjà tombée.
— Tu as du savon, Adèle ?
C’était sa mère qui, de son lit, se souvenait qu’elle devait veiller à son tour au bien-être de sa fille. Oui, elle avait tout. Elle répondait une fois et sa mère pouvait s’endormir.
Elles étaient seules, chacune dans leur lit. La nuit pouvait venir – une nuit qui soudain ressemblait à celles de son enfance et chassait toutes ses peurs présentes.
Il faisait encore sombre mais les losanges percés dans les volets laissaient voir une légère clarté qui annonçait le jour. C’était la première chose que ses yeux repéraient quand ils s’ouvraient et qui lui indiquaient qu’elle avait bien dormi. Elle aimait re