Les soirées de Saint-Pétersbourg
347 pages
Français

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Les soirées de Saint-Pétersbourg , livre ebook

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Description

"Une révolte sur le champ de bataille, un accord pour s'embrasser en reniant un tyran, est un phénomène qui ne se présente pas à ma mémoire. Rien ne résiste, rien ne peut résister à la force qui traîne l'homme au combat; innocent meurtrier, instrument passif d'une main redoutable, il se plonge tête baissée dans l'abîme qu'il a creusé lui-même; il reçoit la mort sans se douter que c'est lui qui a fait la mort."

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2011
Nombre de lectures 55
EAN13 9782296390515
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0005€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le texte de la présente édition desSoirées de Saint-Pétersbourga été
établi d’après l’édition Lesne, 1842
L’éditeur remercie Jerôme Besnard et Jean-Pierre des Quatre Vents
Éditions du Sandre
57, rue du Docteur Blanche
75016 Paris ISBN 2-914958-16-1 EAN 9782914958165
code distributeur: 2-7475-8820-3
Distribution l’Harmattan
7, rue de l’École Polytechnique
75005 Paris
JOSEPH DE MAISTRE
LES SOIRÉES DE SAINT-PÉTERSBURG
ENTRETIENS SUR LE GOUVERNEMENT TEMPOREL DE LA PROVIDENCE
Préface de Bastien Miquel
Éditions du Sandre
LES SOIRÉES
par Bastien Miquel
n remontant la Neva avec Joseph de Maistre, on E aperçoit d’abord la statue de Pierre le Grand, l’homme qui hissa Saint-Pétersbourg de ses marécages. Le portrait est brillant, le trait sûr, même si la main qui le produit intrigue autant qu’elle caresse l’esprit du lecteur. On dit que cette première page est celle de Xavier de Maistre, peintre et auteur duVoyage autour de ma chambre. À qui trouvera curieux qu’un frère écrive sur les pages d’un autre frère, plus illustre que lui, il dira ce plaisant mot que la petite ou la grande aiguille indiquent nalement une seule et même heure. La conversation va bon train entre trois personnages qui jouissent sur une barque d’un paysage magique et dont on devine entre les lignes la secrète ataraxie. De quoi s’entretiennent-ils ? Ils commencent par évoquer le mal fait homme : « Je voudrais bien voir ici, dit le chevalier B. sur cette même barque où nous sommes, un de ces hommes pervers, nés pour le malheur de la société ; un de ces monstres qui fatiguent la terre... » e Nous sommes au début du XIX siècle, en Russie, peu après la révolution française, au cœur des guerres d’Empire. La ville de Pierre, où Maistre est ambassadeur du Piémont-Sardaigne, est un observatoire privilégié de cette époque du monde. Bon nombre d’émigrés, comme lui, ont été chassés d’Europe pour se
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retrouver ici, sur les bords de la Neva et les lettres de l’écrivainconservent l’écho violent des tambours qui l’ont chassé. À l’autre bout des siècles, les interrogations de ces trois amis sur le mal, sur la réversibilité des peines, sur le sens des sacrices semblent nous interpeller non moins violemment qu’alors. D’où nous vient cet étonnant parfum d’actualité ? Après Auschwitz, peu à peu, tout le monde semble s’être à nouveau penché sur ces sujets et sur Dieu en particulier. Avec le e retour en force inégalé au XX siècle de l’absurde dans l’histoire, avec deux guerres mondiales conduisant à la Shoah, le sentiment a prévalu que ce siècle n’était supportable qu’en fermant les yeux sur Dieu, ou plus précisément en faisant, disait Jean-Paul II, « comme si Dieu n’existait pas. » Il semblerait, toutes proportions gardées, que c’est bien sur les cendres d’un sentiment voisin que Maistre a voulu fonder cet ouvrage. Il a été ainsi question, après quinze ans de guerres post-révolutionnaires, d’affronter l’idée du mal, de reconsidérer Dieu pour un croyant à la lumière de ce nouveau monde qui s’annonçait en projetant la vie des hommes hors de toute harmonie. Lui a-t-on pour cela reproché jadis d’être un chrétien de tête, ou autrement dit de manquer de foi véritable ? Les reproches de ses amis, certes, mais encore ceux de ses ennemis, non moins précieux, comme dirait Antisthène ! Evoque-t-il la gure du bourreau, « moyeu inexprimable de nos sociétés depuis la nuit des temps » ? Les démocrates crient au fascisme sans lire, sur ce chapitre de la violence et du sacré, l’œuvre éclairante et sans ambiguïtés de René Girard ! Ne dit-on pas aussi de l’anti-moderne aristocrate qu’il n’a été chez lui nulle part ici-bas, et que pourtant, remarque Finkielkraut, on relève dans sa conception des nations un certain cousinage avec leVolgkeistde Spengler. C’est pourtant bel et bien déraciné, en Russie, que ce voyageur malgré lui interrogeait l’inscience de nos contemporains devant l’hyperviolence à venir, assumant son atopie sur une barque en traitant des choses de la foi comme
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Socrate se plaisait à le faire de celles de la raison. « Chaque goutte de sang royal en coûtera des torrents à l’humanité, prophétisait-il à la mort de Louis XVI. » Faut-il entendre par là qu’il se contentait de damner par la prophétie l’idée même révolutionnaire ? Ne serait-ce point plutôt une formidable appréhension historique qu’il reste à méditer sur un cycle de violence dont 1789 serait le relais dans les siècles. Si Thucydide envisageait l’histoire de la guerre comme celle d’une longue pathologie avec pour point d’origine en son temps un conit entre cités-Etats (pensons ici aux conits des républiques sœurs de 1805 à 1918), aggravé de guerres civiles et révolutions (observons les années 30), débouchant nalement sur une «peste», « ébranlement intérieur radical et nihiliste qui nous guette avec la guerre froide» dit Glucksmann, Maistre songeait quant à lui à envisager des tables de la guerre ainsi que l’on prend la température d’un malade. Il reste queLes Soirées de Saint-Pétersbourg sont une bien belle promenade sur la Neva, en « compagnie de l’Europe » comme disait le comte.
B.M.
Bastien Miquel est l’auteur deJoseph de Maistre, Un philosophe à la cour du tsar,Albin Michel, 2000
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PREMIER ENTRETIEN.
Au mois de juillet 1809, à la n d’une journée des plus chaudes, je remontais la Neva dans une chaloupe, avec le conseiller privé de T***, membre du sénat de Saint-Pétersbourg, et le chevalier de B***, jeune Français que les orages de la révolution de son pays et une foule d’événements bizarres avaient poussé dans cette capitale. L’estime réciproque, la conformité de goûts, et quelques relations précieuses de services et d’hospitalité, avaient formé entre nous une liaison intime. L’un et l’autre m’accompagnaient ce jour-là jusqu’à la maison de campagne où je passais l’été. Quoique située dans l’enceinte de la ville, elle est cependant assez éloignée du centre pour qu’il soit permis de l’appelercampagneet mêmesolitude ; car il s’en faut de beaucoup que toute cette enceinte soit occupée par les bâtiments ; et quoique les vides qui se trouvent dans la partie habitée se remplissent à vue d’œil, il n’est pas possible de prévoir si les habitations doivent un jour er s’avancer jusqu’aux limites tracées par le doigt hardi de Pierre I . Il était à peu près neuf heures du soir ; le soleil se couchait par un temps superbe ; le faible vent qui nous poussait expira dans la barque que nous vîmesbadiner. Bientôt le pavillon qui annonce du haut du palais impérial la présence du souverain, tombant immobile le long du mât qui le supporte, proclama le silence des airs. Nos matelots prirent la rame ; nous leurs ordonnâmes de nous conduire lentement. Rien n’est plus rare, mais rien n’est plus enchanteur qu’une belle nuit d’été à Saint-Pétersbourg, soit que la longueur de l’hiver et la rareté de ces nuits leur donnent, en les rendant plus désirables, un charme particulier ; soit que réellement, comme je
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le crois, elles soient plus douces et plus calmes que dans les plus beaux climats. Le soleil qui, dans les zones tempérées, se précipite à l’occident, et ne laisse après lui qu’un crépuscule fugitif, rase ici lentement une terre dont il semble se détacher à regret. Son disque environné de vapeurs rougeâtres roule comme un char enammé sur les sombres forêts qui couronnent l’horizon, et ses rayons, rééchis par le vitrage du palais, donnent au spectateur l’idée d’un vaste incendie. Les grands euves ont ordinairement un lit profond et des bords escarpés qui leur donnent un aspect sauvage. La Neva coule à pleins bords au sein d’une cité magnique : ses eaux limpides touchent le gazon des îles qu’elle embrasse, et dans toute l’étendue de la ville elle est contenue par deux quais de granit, alignés à perte de vue, espèce de magnicence répétée dans les trois grands canaux qui parcourent la capitale, et dont il n’est pas possible de trouver ailleurs le modèle ni l’imitation. Mille chaloupes se croisent et sillonnent l’eau en tous sens : on voit de loin les vaisseaux étrangers qui plient leurs voiles et jettent l’ancre. Ils apportent sous le pôle les fruits des zones brûlantes et toutes les productions de l’univers. Les brillants oiseaux d’Amérique voguent sur la Neva avec des bosquets d’orangers : ils retrouvent en arrivant la noix du cocotier, l’ananas, le citron, et tous les fruits de leur terre natale. Bientôt le Russe opulent s’empare des richesses qu’on lui présente, et jette l’or, sans compter, à l’avide marchand. Nous rencontrions de temps en temps d’élégantes chaloupes dont on avait retiré les rames, et qui se laissaient aller doucement au paisible courant de ces belles eaux. Les rameurs chantaient un air national, tandis que leurs maîtres jouissaient en silence de la beauté du spectacle et du calme de la nuit. Près de nous une longue barque emportait rapidement une noce de riches négociants. Un baldaquin cramoisi, garni de franges d’or, couvrait le jeune couple et les parents. Une
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