On ne décore pas les petites gens et autres nouvelles , livre ebook

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À cheval entre la modernité et la tradition, les nouvelles de François Nkémé content le déclin de la justice et de la moralité face à la force de l’argent et du plaisir. Autant de situations inexplicables qui font douter de la sagesse de l’homme et de l’avenir de l’humanité.
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Date de parution

01 janvier 2008

Nombre de lectures

93

EAN13

9789956429738

Langue

Français

François Nkémé
On ne décore pas les peItes gens (nouvelles)
Proximité
© Éditions Proximité, Yaoundé, mars 2018 République du Cameroun. Tél 237 99859594/6 72 72 19 03 Couriel : editionsproximite@yahoo.fr www.editionsproximite.cm ISBN : 978 9956 429 73 8
On ne décore pas les petites gens (juin 1994)
Comme le temps passe vite ! Jamais Dokita n’aurait cru que son dernier jour de travail arriverait si vite. Tout le monde l’appelait Dokita, et très peu se souvenait encore de son vrai nom. Dokita par-ci, Dokita par-lÀ, cette appellation était pour lui le signe mme de l’intégration dans cette région qui n’était pas la sienne. Ah ! Il se revoyait, avec son unique sac en bandoulière, jeune inrmier fraîchement affecté à Nkolobourou, chef lieu de département qui n’était encore qu’une petite bourgade enclavée au sein de la fort équatoriale. Il avait alors pour mission d’ouvrir le dispensaire de la localité. à l’époque, il n’y avait comme autre fonctionnaire À Nkolobourou qu’un instituteur qui avait pris sa retraite. Aujourd’hui, le dispensaire était devenu un hôpital départemental avec trois médecins permanents et de nombreux inrmiers.  Après avoir passé trente-cinq ans ici dans cette ville, il y avait ses repères et ne pensait plus jamais quitter le lieu où il avait investi aussi bien son argent que son énergie. D’ailleurs, sa femme, Clémentine qui lui avait donné deux lles, appartenait à l’ethnie Yengono, sur ses terres en ces lieux. Ce matin-lÀ, comme d’habitude, Dokita s’était levé pour parcourir les trois kilomètres quotidiens qui le séparent de l’hôpital. Il lui fallait prendre le petit
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déjeuner que sa femme apprtait toujours la veille, car en ces périodes de journée continue, la brève pause de midi ne permettait point de se restaurer convenablement. Le petit déjeuner se devait donc de pourvoir aux besoins du corps tout au long de la journée. Aurait-il une médaille ou une récompense ? Il ne le croyait pas, pourtant, il avait tant souhaité qu’on le décorât le 20 mai devant M. le Préfet, lui, le fondateur de cet hôpital devenu moderne. En vain, les années avaient passé, il avait vu des collègues robustes partir et devenir des loques en quelques années sous les coups de la retraite et de ses corollaires : la baisse drastique du revenu, la vie dure des champs, et le souci parfois de faire tout ce qu’on n’avait pas pu faire pendant la pleine activité. à propos, en discutant un jour avec un ami, il m’afrma que le danger le plus grave qui menace les nouveaux retraités est la qualité des toilettes. Que son oncle en avait souffert énormément au village. Habitué À s’asseoir sur un pot propre en ville, il succomba très rapidement À l’exercice répété de la recherche d’un équilibre précaire sur deux planches branlantes qui vacillaient sous son poids, parfois sous le regard espiègle d’un mamba vert. Il eut non seulement une rupture du nerf sciatique, mais en plus, une peur bleue de la selle qui bloqua les selles. Bon revenons À Dokita...Le médecin chef ferait-il un discours ? Il pensait bien qu’après tant de loyaux services, la moindre des récompenses vînt au moins
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de ses collègues pour atténuer l’ingratitude de l’État, son employeur, qui le laissait partir sans médaille, mme la plus petite. Sûrement, les médecins le citeraient-ils en exemple À suivre par les jeunes générations qui manquaient si outrageusement de conscience professionnelle. Trente-cinq ans sans accidents ni fautes professionnelles, il fallait le faire ! Si une bonne fée lui avait dit qu’il passerait toute sa vie À soigner des malades avec amour, sans dédain pour les cas désespérés, ni exaspération pour les « chercheurs d’histoires », il ne l’aurait sûrement pas cru. Le médecin chef et ses collègues lui réservaient sûrement une bonne surprise ce soir à la n du travail. Il importait de terminer cette journée, d’aller au bout de la tâche sans anicroches, en remerciant le Ciel de la sollicitude À lui accordée pendant toutes ces années de dur labeur. Comme d’habitude, avant les autres inrmiers, Dokita s’était mis au travail. Il voulait vivre une dernière journée simple et heureuse, avec émotion, mais sans rancœur. Il avait commencé À soigner les malades les plus graves. Peut-tre, s’attardant un peu trop devant un lit ou une plaie, comme s’il voulait léguer le reste d’amour et de passion pour son métier qui circulait encore dans son vieux corps décharné. Normalement, dut-il se contenter d’arranger ses effets personnels pour libérer son placard. Mais, comment partir sans jeter un dernier coup d’œil À
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ceux qui avaient constitué son univers ? Après tout, À titre d’effets personnels, il n’avait que des garrots, deux blouses au col élimé, des paires de gang, de menus effets qui ne lui prendraient mme pas un quart d’heure À ranger dans son sac. Bien sûr, il ne pouvait oublier, collée À la porte, la photo de sa famille qui présentait Clémentine et ses deux lles, Stella l’aînée et êva la cadette. Deux gouttes d’eau. On aurait dit des jumelles. Les deux étaient la photocopie de leur mère. Mais lÀ s’arrtait la ressemblance. Il avait tenu bon À tous ceux qui lui disaient qu’avoir des lles, fussent-elles une dizaine, c’était comme ne pas avoir d’enfants du tout ; de mme qu’avoir une femme, une seule femme, c’est comme tre célibataire. Malgré toutes les railleries de ses amis polygames et père de nombreuses progénitures, il n’avait point convolé en deuxième noce. Il arguait toujours que sa femme ne pouvait accepter une coépouse. «Ta femme, que vient-elle faire dans ta relation avec la deuxième », lui demandaient ses amis ? Seulement, le fait d’avoir deux enfants ne garantit pas que leurs comportements seraient l’excellence mme. Stella, dès le bas âge démontra des attitudes rebelles et hostiles À tout ce qui tient de la chose écrite. Pire encore, elle refusa d’apprendre un métier ; trouva que le chemin des champs est épuisant, et ne voulut se donner aucune autre peine. Prouvant par-lÀ que la bonne éducation n’est pas une fonction exclusive du nombre d’enfants.
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Après des échecs répétés au Certicat d’Étude primaire et À tous les métiers qui lui auraient permis d’tre autonome, elle se dirigea vers les chemins de l’argent facile : le plus vieux métier du monde. Dokita accepta difcilement. Mais tout compte fait, qu’aurait-il pu faire ? Les bastonnades les plus épicées suscitaient un désir plus tenace de courir les rues. Les paroles ? Les conseils ? Autant jouer de la guitare À un coq. Heureusement, il y avait êva la cadette. Elle n’était pas vraiment un génie. Sa force, elle la tirait d’une volonté farouche de réussir qui frisait la démence. Chaque ligne de son cahier était gravée, lue et relue comme si la vie mme en dépendait, comme si elle voulait prouver À son père que le Créateur ne l’avait pas défavorisé en ne lui donnant que des lles. Et elle travaillait pour deux. Pour sa sœur et pour elle-mme. Les succès scolaires l’avaient conduite aux portes du bac. Elle allait le braver cette année avec brio pour s’inscrire en faculté de médecine et continuer l’œuvre que son père avait si bien commencée. Le soleil était déjà à son zénith, un doux vent portait timidement l’odeur de l’éther dans l’hôpital. à l’ombre d’un manguier, les moutons et les cabris des quartiers voisins somnolaient tranquillement, blant de temps en temps. Sortant leur natte des bâtiments froids, certains malades s’allongeaient sur les vérandas. Dokita, le vieil inrmier s’apprêtait, après une matinée chargée, À s’occuper des cas les moins
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urgents. Quelques malades attendaient de se faire injecter, assis sur un banc. Dans la matinée, il avait vu ses collègues tenir une qute discrète et discuter sans qu’on daignât le convier. Avec plaisir, il avait vu balayer la grande cour des manifestations de l’hôpital. Les travailleurs y avaient tracé un petit cercle blanc. Dokita, le vieil inrmier se disait : « Mes camarades ne m’ont pas oublié. Peut-tre mme le préfet viendra-t-il me coller une médaille. Mais, le préfet pourra-t-il se déplacer pour moi, pour moi seul ? » Il ne le croyait pas. Si l’administration avait été si ingrate, au moins ses collègues s’apprtaient-ils À faire quelque chose pour lui. Comment pouvait-on laisser partir un inrmier dévoué comme un vulgaire visiteur ? Sans remerciements, sans aucune attention pour les services rendus, pour sa vie ainsi sacriée au service de l’État ! Evidemment, pensa le vieil homme, la n des vocations n’est pas étrangère À cette indifférence de l’administration qui mélange dans un sac poubelle bons et mauvais employés. Oh ! il avait du plaisir À voir ces préparatifs se dérouler. Dommage que Clémentine ne soit pas lÀ. Elle, qui ne le prenait jamais au sérieux, aurait pu voir la cérémonie et les discours que ses patrons lui réservaient. Avec une frénésie inhabituelle, il s’appliqua À injecter les derniers malades. Qui sait, peut-tre la cérémonie commencerait-elle quand on s’apercevrait qu’il avait enn accompli sa tâche, toute sa tâche.
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DéjÀ les premiers curieux envahissaient la place de l’hôpital. Bientôt, mon heure de gloire, se dit-il ! Les collègues ne m’ont pas abandonné ! Dokita se mit À sifoter un air congolais de sa jeunesse. Soudain, une voiture rouge arriva À grande allure et stoppa en pleine cour de l’hôpital, dispersant les curieux et les collègues qui devisaient tranquillement. Dokita pensa À un émissaire tardif du ministre de la Santé, mais la négligente tenue de la voiture lui t comprendre que ce n’était point une composante du cortège ofciel. Il maudit cette voiture qui venait s’arrter en pleine cour, lÀ où les manifestations étaient prévues. D’ailleurs, une roue pleine de boue salissait et effaÇait le petit cercle blanc. Dokita, de mauvaise humeur, se concentra sur son dernier malade. Après l’injection, il irait dire deux mots à ce chauffeur qui ne savait point reconnaître les lieux d’une grande manifestation. Quand il vit Eva descendre de la voiture, le vieil inrmier bénit le ciel de son intelligence. Sûrement, venait-elle assister À la décoration de son père. à n’en point douter, la fte serait grandiose. Oh ! Ciel ! Comme tes mobiles sont insondables ? Trente-cinq ans de pratique médicinale ne mettent point À l’abri d’une bévue ! Le vieil homme sursauta, et poussa tout le contenu de la seringue encore pleine en une fois dans la veine du malade abasourdi. Comme en transe, il poussa un cri profond, long et douloureux que l’écho répercuta
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À travers tout l’hôpital en une plainte atroce. Stella était aussi dans la voiture. Incapable de marcher, on la levait d’une marre de sang dont l’écoulement faisait disparaître le petit cercle blanc qui devenait rouge. L’homme que Dokita injectait eut la présence d’esprit de lui prendre la seringue des mains et de l’extirper avant qu’elle ne se brisât dans son corps. Dokita démarra aussi vite que ses pieds fatigués le lui permirent. Il rattrapa le cortègefunèbreaux portes du bloc opératoire. Des collègues le retinrent, l’empchant de troubler l’action salvatrice des médecins qui avaient besoin de calme pour le diagnostic et l’intervention. Il voulait se rouler par terre, griffer, mordre... Le destin, en ce dernier jour de travail lui réservait le pire. Tout ce qu’il n’avait jamais vu. à peine, venait-il de lui donner l’espoir d’une récompense humaine offerte par ses collègues, qu’il lui coupait la joie d’une violente façon : sa lle, sa lle Stella, portée sur ce brancard funèbre qui avait conduit tant de vie À trépas. Etait-ce lÀ, le destin, l’espiègle destin, au milieu de cette alternance de chaud et de froid, sa faÇon À lui de lui faire payer un tribut À toutes les vies qu’il avait sauvées dans ce triste lieu ? Lesmédecinsconstatèrentquec’étaitunavortement qui se compliquait. Stella était extrmement fatiguée, il fallait lui passer du sang de toute urgence. La douleur de Dokita devint encore plus vive quand il sut qu’il s’agissait d’un avortement. De grosses larmes roulèrent sur ses joues, des larmes
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