Oujda
287 pages
Français

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Description

Yacine envisage d'aller en Algérie, mais une étrange hésitation le retient, qui devient l'occasion d'un retour sur le passé de son père, l'évocation de blessures nées de la guerre d'Algérie. Août 1975. Un homme emmène sa femme et ses enfants voir sa famille en Algérie. Il se voit refuser l'entrée de son pays natal et se retrouve seul, bloqué pendant vingt jours à Oujda, ville frontière entre le Maroc et l'Algérie. Plusieurs récits se croisent, plusieurs époques. Roman généreux, Oujda retrace la vie de femmes et d'hommes dissemblables, complexes, mais animés par un même espoir.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2010
Nombre de lectures 255
EAN13 9782336263830
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Collection « Vivre et l’écrire » dirigée par Pierre de Givenchy
(voir en fin d’ouvrage la liste des titres de la collection)
Oujda

Benabdallah Dridj
© L’HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmatcan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296114753
EAN : 978229609114753
Sommaire
Collection « Vivre et l’écrire » dirigée par Pierre de Givenchy - (voir en fin d’ouvrage la liste des titres de la collection) Page de titre Page de Copyright Dedicace De nulle part Le voyage Je vais parler de toi Tout était impossible Insouciance La loi des grands Le Paradis Ils n’étaient plus… Le safir Les dessous de l’Histoire Houria Kaddour Laisse, mon fils Arlan L’enlèvement Entre frères Le vieil homme La fête Les sanglots de Houria La règle d’or Joseph Priati Désobéir ? L’opération Le choix La situation n’est plus compliquée Djeloul La raison du plus faible La lettre L’arrêt du combat Retour à la frontière Revenez, chimères L’encre du serment Les échoués À l’arrière du camion GLOSSAIRE Collection Vivre et l’écrire – Déjà parus : Vivre et l’écrire 12 rue ND de Recouvrance 45000 ORLÉANS
À mes proches et tous ceux qui m’ont entouré pour ce livre
De nulle part
De la cour de la maison, on entend, on reconnaît le bruit du moteur fatigué, poussif du camion de l’homme débouchant dans l’allée. L’odeur du gas-oil et le tintamarre de l’engin à l’arrêt faisaient toujours sourire Yacine. Son vieux père revenait avec son chargement de moutons qu’il allait purifier pour la fête de l’Aïd. Yacine riait des bêlements des pauvres bêtes qui venaient de subir l’épouvante, durant quatre heures de route, dans un bruit d’enfer. L’homme apparut au portail de sa maison, vêtu de son bleu de travail crasseux, quelques brindilles de paille accrochées au pull : « Tiens ! Tu es là toi ? À te voir buller sur cette terrasse, j’aurais dû faire chef moi aussi. » Son fils s’était bouché le nez : « Pouah ! T’approche pas s’il te plaît, je préfère encore la fumée de ton char au fumet de tes boucs qui te colle aux fringues. » L’homme avait répondu, professoral : « C’est pour mieux les attraper dans l’enclos. Ils se méfient moins, et comme il me reste encore quelques cheveux blancs bouclés, ils me prennent pour l’un des leurs. » La voix nasillarde avait rétorqué : « Alors fais attention de ne pas finir comme eux, dans la chorba. » À ce moment-là la mère de Yacine était sortie sur le seuil de la porte, l’air courroucé : « Pas question que tu rentres dans cet état, lança-t-elle à son mari, c’est dans le garage que maintenant tu te déshabilleras et non dans la salle de bains. C’était devenu pire que les toilettes après que tu y sois passé. » Avec son air faussement peiné l’homme s’était adressé à son fils : « Tu vois comment elle m’accueille. Grâce à mes extra elle vit dans le confort, mais crois-tu que cela suffirait ? Non ! Tu veux que je te dise, fiston, Abraham, c’était pas un mouton qu’il aurait dû sacrifier, mais sa vieille grincheuse de Sarah, et on l’aurait tous imité ensuite avec nos pimbêches. » Il tira la langue à sa femme, pour la narguer avant de s’éclipser dans le garage.
L’homme était depuis peu en retraite. Il était de cette génération, de ce type d’hommes qui ne connaissent pas le repos. Peut-être le craignaient-ils ? Ils n’obéissaient qu’à la nature, à laquelle ils préféraient leur nature, celle dont ils pensaient qu’elle peut encore et toujours un peu plus, aller encore et toujours un peu plus loin, aidée par les bienfaits des prières. L’homme disait souvent que l’on ne décide pas pour son corps. C’est lui qui un jour nous dira « khlass », stop. Il se mettra à geindre pour le moindre effort. À ce moment il se pliera, il abdiquera face à la douleur, non pas physique, mais celle de son corps duquel il se sépare sans aucun doute. Il sait que la retraite n’est pas du repos. Elle est présentée comme un cadeau, alors qu’elle vous condamne. C’est une sentence à compter les journées interminables, à regarder son avenir au sourire perfide, à faire le moins de bruit possible, à attraper froid à toutes les fins de soirée. Si vous demandez à l’homme ce qui l’irrite, il vous répondra évidemment que son corps n’a rien réclamé. Mais voilà, l’administration a eu raison de ses incantations. Contre une obole, après quarante ans à suer tantôt en usine, tantôt dans le bâtiment, elle lui confisqua ce qui était sa raison d’être, le seul rôle qu’il se devait de remplir encore, avant tout et pour tous. Il avait beau leur dire que sa maison n’était pas finie de payer, qu’il avait un enfant aux études, il dut redonner ses clés et quitter sa deuxième famille, comme ça, penaud, réduit à l’impuissance, assigné à domicile comme une femme. Daniel, Pierre et Bernard, ceux de son équipe sont bien passés quelques fois, pour l’apéro, mais avec le temps, ils n’avaient plus le temps. Des déserts l’homme en avait traversés, mais celui où les horaires ne comptent plus, où rien ne l’attire, où personne ne l’appelle, lui parut infini, infranchissable. Il allait attendre gentiment sur son banc, sur la terrasse de sa maison, de partir pour de bon. Au retour du pot de départ, avec sous le bras ses cadeaux ; une valise toute neuve et une perceuse, il portait difficilement l’humiliation qu’il avait ressentie ; comme ce jour où il a dû fuir son pays.
Il a essayé comme tous les retraités, de gratter son jardin, de le chatouiller pour en obtenir de beaux légumes. Le cœur n’y était pas. Il s’excusait d’avoir des gestes malhabiles qui griffaient la terre. Il a aussi flirté avec le bricolage. Il n’aimait que le gros œuvre quand il pouvait donner libre cours à sa hargne. La reconstruction était toujours approximative et la finition était toute relative. Sa femme et ses enfants ne manquaient pas de l’encourager, mais ils affichaient toujours une mine circonspecte devant la grossièreté des enduits, du carrelage pas droit et des joints de différentes épaisseurs. L’homme partait alors en grommelant, piqué au vif, comme ces petits personnages de bande dessinée, avec leur nuage noir au-dessus de la tête quand ils sont fâchés.
Un soir il était revenu tout sourire de la mosquée. Il avait expliqué à sa femme qu’un « frère » s’était plaint de ne pas trouver de viande vraiment halal. Celle des étals des grands magasins ne lui inspirait aucunement confiance, avec leur emballage faussement spécifique. L’homme s’égaya soudain comme si Djibril, l’archange souffleur de versets, lui avait susurré à l’oreille la bonne idée. Sa femme lui suggéra que le petit ange était peut-être son ami en quête de viande. Il rétorqua qu’il avait du mal à voir ce cinquantenaire acariâtre, tout nu, tout rose, avec deux jolies petites ailes blanches dans le dos et un arc pour les coups de foudre. Ce serait plutôt un vautour noir avec dans ses serres un grand chaudron plein de lave qu’il déverserait sur l’humanité entière, et sur ses « frères » d’abord. L’homme se disait donc estampillé hadj depuis son retour de la Mecque, il avait de l’espace pour bricoler un abattoir au fond du garage et avait un savoir-faire certain pour préparer un mouton ou des poulets. Il allait donc fournir, à tous les croyants du quartier, une viande des mieux convertie, en rajoutant « à la mode de chez nous ». Depuis, sa retraite avait pris une autre saveur. Il s’était taillé un rôle de bienfaiteur dans sa communauté. Sa viande n’était pas meilleure qu’ailleurs, mais elle était préparée par l’un des leurs, fervent musulman qui plus est, et vendue à moindre coût ; ce qui stimulait la ferveur et les papilles de tous les « frères ».
Il vivait avec sa femme dans un petit pavillon moderne, dans un lotissement tranquille, aux abords de la grande ville. Leurs trois enfants leur rendaient régulièrement visite. L’aînée était professeur de mathématique. Elle vivait dans un petit appartement avec son mari et ses deux enfants. Elle passait presque tous les jours déjeuner avec ses parents. Elle appréciait ce temps pour elle, loin du brouhaha du lycée. Elle s’occupait de tous les petits tracas administratifs qui agaçaient son père. Il ne lui demandait jamais directement de l’aider. Il s’installait à la table de la cuisine, près de sa fille, son courrier devant lui. Il chaussait ses lunettes, se raclait la gorge, avant de se lancer dans la lecture du document. Au bout d’une minute il se penchait vers sa fille pour qu’elle déchiffre un ou deux mots. C’était toujours en reprenant sa lecture que sa femme intervenait : « Diable ! Mais qu’as-tu fait pendant les deux années de cours du soir ? Quand tu auras fini de l

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