Rivière amère
172 pages
Français

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Description

Les années d’insouciance où Pierre-Marie faisait la rencontre de Marie sont bel et bien oubliées. La guerre a éclaté, entraînant une période de trouble et de malheurs. Pierre- Marie, l’aîné de la fratrie, est déporté avant la naissance de son fils ; Paul, le benjamin tourmenté par son amour pour sa belle-soeur, rejoint le maquis ; enfin, Lucie, la cadette, endosse le rôle de chef de famille pour assurer le quotidien de ses proches. Marqués à jamais par l’absurdité de la guerre et du mensonge, parviendront-ils à préserver leur belle union ?

Fortement marqué par les « événements » d’Algérie, Jean- Louis Desforges est un fin observateur de la condition humaine. Grand lecteur et passionné de Giono, Zola, Steinbeck, Faulkner ou Hemingway, il se distingue par un attachement aux valeurs humanistes et à la terre. Son précédent roman aux éditions De Borée, Pierre des montagnes, reflète parfaitement cet état d’esprit et témoigne d’une rare maîtrise de l’art romanesque.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 392
EAN13 9782812913594
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Extrait
I
La vie comme une rivière


Pierre-Marie :
DE LA TERRASSE de mon appartement du quai Dauphin, en cette fin de matinée, j’ai coutume d’observer l’Isère qui roule ses flots gris-vert entre les arches du pont Vieux. Ça se presse et se bouscule comme une classe de maternelle à la sortie de l’école, ça joue des épaules, ça se rejette vers les rives et ça cogne au creux du torrent en traçant des arabesques fougueuses. Dans ce grand désordre, le cours d’eau ne sait plus où mener son courant, mais, moi qui l’ai appris dans ses moindres humeurs, je ne doute pas que tout cela est plus précis qu’une chorégraphie. Les eaux tournent et reviennent pour repartir de plus belle et rien ne peut les arrêter, c’est une figuration de notre destin qui nous bringuebale à droite et à gauche, apparemment sans sens ni raison, jour après jour, année après année, malgré nos tentatives désespérées pour redresser le fil du temps, pour ne pas laisser le bateau ivre emporté par les remous. Et quand la vieillesse vient, quand la fatigue nous dépose sur une grève tranquille, nous réalisons que nous avons avancé, bon gré, mal gré, pas tel que nous l’aurions souhaité, mais loin, sans y laisser trop de plumes. Que reste-t-il alors de nos rêves d’enfant, de ce qui nous a incités à nous battre pendant toute notre existence, de cette petite flamme que les tempêtes n’ont pas réussi à souffler ? Rien, ou pas grand-chose, nos illusions se sont usées à la râpe des épreuves, lissées, ramollies, flétries. Nous n’attendons plus le grand chambardement, nous savons que depuis que le monde est monde rien ne changera vraiment la face de l’humanité, pas plus notre vie que notre mort. Nos illusions et nos orgueils s’en vont ainsi, emportés par la course des ans. La vie va comme une rivière.

Et pourtant, je suis là, appuyé à ma rambarde. Devant moi, telle une bête furieuse, l’Isère rue dans les brancards. Elle dessine des dentelles d’écume, elle malmène ses paquets de boue comme elle le faisait quand j’étais bambin et comme elle le fera quand mon fils aura mon âge. Rien n’a changé et rien ne changera plus jamais dans le lit de cette brute impétueuse et magnifique. Plus sage pourtant que les hommes dans la folie de la guerre.
À peine eut-il déposé son paquetage après son retour de la Somme que mon père réclama son lot de bonheur à ma mère. Il avait vu trop de jeunesses fauchées par la mitraille imbécile pour ne pas rechercher frénétiquement ce qui pouvait embellir le rythme des saisons. Je fus leur premier enfant. On m’appela Pierre-Marie. Marie pour remercier la Vierge qui avait su protéger mon paternel soldat et Pierre pour honorer la mémoire d’un oncle disparu depuis des lustres mais qui avait laissé un souvenir vivace dans la famille. Après moi vinrent Lucie, puis Paul. Nous avons toujours vécu près de l’Isère, à Romans. Un dédale de venelles débouchait sur le chemin des Bœufs, ainsi nommé car il s’agissait du sentier de halage où, le pas lent, des bovidés tractaient les petites péniches. Ce quartier vétuste et sombre offrait un échantillon de ce que la ville pouvait montrer de pire et de meilleur. Le couvent résonnait de ses chants jusque dans la courette d’un hôtel borgne où des filles aguichaient les hommes de passage. Les artisans martelaient le fer ou le cuir dans leurs ateliers obscurs, des matrones s’interpellaient de leurs fenêtres. Les draps et les culottes flottaient aux vents comme les étendards d’une joyeuse armée de lavandières. Là aussi, de temps en temps, des malfrats y réglaient leurs comptes à coups de surin. Il n’était pas rare qu’un cadavre s’échouât parmi les joncs ou se prît dans les tresses d’une algue. Les mamans murmuraient à leurs enfants qu’il fallait éviter les bords de la rivière. Le rideau d’acacias et de joncs cachait l’enfer.
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