Saber et la drôle de machine
164 pages
Français

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Saber et la drôle de machine , livre ebook

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Description

Dans cet univers romanesque quasi kafkaïen, l’auteur dresse uneréalité étrange, mais jamais étrangère au lecteur, celle d’un mondequi, dans sa singularité rappelle sans cesse, et au-delà du parcoursatypique de Saber, les égarements d’une machine, les turpitudesd’une société où sévissent tant de lâchetés et de trahisonsindividuelles.A travers le combat de Saber contre “la machine”, le romancierplonge le lecteur dans le tiraillement d’une société en quêtedésespérée de vrais repères.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2018
Nombre de lectures 219
EAN13 9789938072846
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

















Salah El Gharbi







Saber et la drôle de
machine
Roman









ARABESQUES 2018












Livre: Saber et la drôle de machine
Auteur: Salah El Gharbi
Première édition
Couverture : Bayrem Ghanmi
Tous droits de reproduction, de traduction
et d’adaptation réservés à l’éditeur:
EDITIONS ARABESQUES
ISBN: 978-9938-07-284-6
33, rue Lénine-Tunis 1000
Tél: 51 783 154
www. editions-arabesques.tn
E-mail: editionsarabesques.tunis@gmail.com







« La justice sans la force est
impuissante : la force sans la justice
est tyrannie. »
Blaise Pascal, Les Pensées.

« Il est moins grave de perdre que
de se perdre »
Romain Gary- Chien blanc,
Gallimard, 1970.































Avertissement


Les personnages et les situations de ce
récit étant purement fictifs, toute
ressemblance avec des personnes ou des
situations existantes ou ayant existé ne
saurait être que fortuite.



7


Je venais d’achever la lecture d’El
gorilla, un roman en langue arabe, un
texte qui faisait écho à un autre
roman, commis par un autre auteur,
au titre vraisemblablement racoleur,
en l’occurrence, « Enfants de
Bourguiba ». Aussitôt, la suspecte
fascination, commune aux deux
écrivains, pour la supposée bâtardise
attribuée outrancièrement à ces
pauvres enfants, m’interloqua et me
poussa à me demander comment une
réalité sociale, marquée
historiquement, pouvait être
transformée, subrepticement, en une
sulfureuse légende et comment cette
dernière, faite de la sédimentation de
tant de délires mesquins et
malveillants, continuait encore à
alimenter l’imaginaire de ces
littérateurs qui se piquaient d’être
subversifs.
D’ailleurs, l’exploitation
présomptueusement « romanesque »
de cette question finit par réveiller en
moi beaucoup de souvenirs de ma
9 propre enfance, ceux de ma jeunesse
et, particulièrement, surtout ceux de
l’époque où j’étais étudiant, attentif
aux discours fougueux des jeunes
tribuns des meetings fustigeant, avec
mépris, les forces de l’ordre public,
anciennement appelées « Bop », en
les traitant d’« enfants de
Bourguiba », une « honteuse »
filiation qui expliquerait, selon ces
apprentis révolutionnaires, la
supposée cruauté de ces agents. À
l’époque, ces propos fallacieux et
outranciers m’agaçaient énormément
parce qu’injustes et indignes, d’autant
plus qu’ils étaient proférés par de
prétendus progressistes, sans pour
autant que je cessasse d’admirer le
courage et la pugnacité de ces êtres à
l’intelligence frêle, trahis par leur
« matérialisme dialectique ».
Ironie du sort, quelques décennies
après ces élucubrations estudiantines,
un jour, en consultant quelques sites
sur Internet, je fus abasourdi de me
retrouver face à ces mêmes
ahurissantes et pathétiques allégations.
La légende avait la peau dure. En
effet, sur la Toile, les « fous d’Allah »
s’étaient emparés de « la brûlante
10 question ». Assurément, la bêtise avait
changé de camp. Ainsi, selon ces
illuminés, les soldats lâchement
assassinés dans la montagne du
Chaâmbi seraient plutôt « victimes de
policiers, enfants de Bourguiba… »,
une thèse farfelue que mon voisin, qui
venait de marier sa fille à l’une de ces
têtes brûlées, avait tenu à me confier
avec une inébranlable et sidérante
conviction.
Cette obsession quasi collective qui
consistait à tisser d’aussi pernicieuses
histoires m’était, à la fois, scandaleuse
et révoltante. J’avais du mal à
admettre comment cette parole
particulière, à la fois, volatile,
désinvolte et malsaine, pût, avec le
temps, se calcifier de la sorte pour
donner lieu à de monstrueux
vacarmes communs. Face à ce délire
général, l’exaspération qui m’habitait
céda la place à un fort sentiment de
colère et je finis par me résoudre à
quitter ma réserve, rompre le silence
pour éructer contre l’hégémonie de
cette intelligence atrophiée et
décadente.
Mais, quelle métaphore pour
exprimer mon indignation et mon
11 dégout, rendre compte de
l’ignominie, de la lâcheté et de la
bêtise ? Quelle histoire pour dire la
faillite de l’intelligence et la cruauté
de la masse ? L’entreprise me
semblait difficile voire même, trop
risquée. Il ne faudrait surtout pas
compter sur moi pour tailler les
aspérités de ce fort sentiment de rage
qui me rongeait ! Écrire, en soi, est
déjà un acte pénible, que dire de
parler de la laideur et de la
méchanceté des êtres ? Que faire face
à ces têtes pleines de bouses, ces
esprits grégaires, arrogants et futiles ?
Comment forcer tous ces pauvres
autistes à entendre ma frêle voix?...
Je ruminais mon indignation,
quand, un jour, je reçus un mystérieux
SMS qui allait troubler le train-train de
mon quotidien. Ce fut Saber, un
auteur que j’avais croisé, il y a trois ans,
à l’occasion d’un colloque sur « Le
roman maghrébin », et qui,
aujourd’hui, cherchait à me rencontrer.
À l’époque, le seul livre que j’eusse lu
de cet homme, fut un court récit
vraisemblablement autobiographique.
D’ailleurs, je n’arrivais même plus à me
rappeler du titre. Pourtant, je me
12 souvenais avoir échangé avec cet
auteur quelques propos anodins. Et
même si la pressante sollicitation de
Saber me flatta, sa démarche me
sembla étonnante ce qui ne
m’empêcha pas de me résoudre à y
répondre favorablement, poussé plutôt
par la curiosité.
La rencontre eut lieu dans un petit
café de la Médina. Ce jour-là, je fus
surpris d’avoir, face à moi, un
individu étrange, hésitant, presque
bredouillant et au maintien maladroit.
Fumant nerveusement, sans toucher
à son café, l’homme finit, après
quelques détours, par me confier son
souhait de me soumettre une histoire,
sa propre histoire, à y donner vie.
- Vous êtes le mieux placé pour
la raconter, cette histoire. Elle vous
appartiendrait, si vous acceptiez »,
expliqua-t-il.
- Mais elle reste d’abord, la
vôtre. Ce serait à vous de…
- Justement. C’est parce qu’elle
est mienne que je m’interdis de la
mettre en mots. Je n’arrive pas à
parler de moi… Je me méfie du
« je »… Je me sentirais nu… J’ai peur
de déraper… J’ai dû passer des mois
13 à chercher à surmonter le sentiment,
à la fois, d’écœurement et de révolte
qui tapit au fond de moi… En vain.
Autant je suis à l’aise quand il est
question de parler d’autrui, autant je
suis contrarié s’agissant de mon
propre vécu… Ce serait un
calvaire… Je n’arrive pas à me
soumettre à cet exercice périlleux…
- Soit ! Mais, pourquoi moi ?
- Votre dernier roman m’a
beaucoup touché… Bouleversant !
… L’expression d’une conscience
anxieuse, meurtrie… On est du même
bord, je pense…
- Vous croyez ?
- Plus que sûr.
- Je ne suis pas aussi certain que
vous. Mais enfin !... Je suis flatté et
désolé, à la fois. Car en ce moment,
je croule sous la charge de certaines
obligations professionnelles. J’ai
besoin de temps pour y réfléchir,
conclus-je, un peu embarrassé.
Et nous nous quittâmes avec la
vague promesse de nous revoir pour
en reparler.
Tard, le soir, en rentrant chez moi,
j’étais incapable de chasser de mon
esprit le souvenir de cette rencontre
14 incongrue. Malgré la fatigue, le
sommeil me quitta. « Une conscience
anxieuse, meurtrie », disait-il. « Moi,
une conscience anxieuse ? Où est-ce
qu’il est allé chercher ça ? »… « On
est du même bord »... Elle est bonne
celle-là !… C’est le comble !… Mais,
je n’ai rien à voir avec ce type paumé
qui, semble-t-il, aurait commis
quelques opuscules… Et puis,
qu’estce qu’il voulait dire par
« Anxieuse?… Pourquoi pas tragique
tant qu’il y est? Mais, quel délire !»
En me retournant dans mon lit, je
regardai ma femme qui dormait.
« Qu’est-ce que Farida en penserait ?
C’est à un psy que cet individu aurait
dû s’adresser et non pas à moi. Il
fallait, ne surtout pas, se laisser
importuner par cet être étrange…
Plutôt me concentrer sur mon
projet… Et puis, il est inutile d’en
parler à ma femme. Assurément, elle
en rirait. Je préfèrerais m’épargner son
sarcasme… D’autant plus que ce que
ce bonhomme racontait n’était
nullement vraisemblable. « Victime ! »,
se disait-il !... Mais, qui ne l’est pas,
d’une manière ou d’une autre. La
société des anges n’est que chimère ».
15 Deux semaines passèrent sans
avoir de nouvelles de l’énigmatique
« écrivain ». J’étais vampirisé par les
évènements, accaparé par la rédaction
de quelques articles sur l’actualité, de
petites colères, des sautes d’humeur,
sans pour autant que l’image de Saber
ne me quittât un instant. Et
subitement, à mon insu, je me mis à
m’interroger sur la démarche de cet
homme, laquelle commençait peu à
peu, à me paraitre tantôt saugrenue,
tantôt compréhensible. « Moi aussi, je
ne me risquerais jamais à me raconter,
à me dévoiler, à me mettre à nu, me
dis-je. J’aurais honte de moi. Comme
j’abhorrais les demi-mesures, je serais
capable d’aller jusqu’au bout, au fond
des choses, et de m’exposer, ainsi, à
tous les dangers… Déjà, en matière
d’écriture, le risque est toujours là.
Quel que soit le sujet, on n’est jamais
à l’abri. »
Un matin, dans la cuisine, je
prenais calmement mon petit
déjeuner, l’air distrait, suivant du
regard les bouffées de tabac que je
m’amusais à pourchasser des yeux,
quand Farida, qui venait de se
réveiller, m’interloqua:
16

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