Sous les mets les mots
32 pages
Français

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Sous les mets les mots , livre ebook

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Description


Dotée d'un grand appétit pour les saveurs de la Méditerranée, Claude Pujade-Renaud nous fait goûter, dans une langue d'une grande sensualité, les métamorphoses et métissages des mets et des mots.






Petite bibliothèque gourmande contemporaine, cette nouvelle collection de livres courts propose à des auteurs contemporains d'horizons différents de donner libre cours à leur imagination gourmande, en s'inspirant d'un jeu à la fois simple et dynamique de mots-clés.
Exquis d'écrivains souhaite rendre hommage à la richesse de la langue française pour dire les plaisirs de la nourriture et constituer la mémoire littéraire de la gastronomie.
Fictions, rêves et souvenirs, chaque auteur y livre ses voyages personnels dans les plaisirs de la nourriture, sous différentes formes narratives (récits, nouvelles, dialogues, contes, poèmes...), qui donnent envie de passer à table ou de se mettre aux fourneaux.
Exquis d'écrivains, première collection demandant à des auteurs contemporains de livrer leurs plaisirs de table et de bouche, s'adresse à tous les lecteurs gourmands et gourmets auxquels elle propose des textes intimistes et variés, émouvants ou drôles, résolument appétissants et agréables à lire.







Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 07 mai 2010
Nombre de lectures 39
EAN13 9782841114269
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Collection dirigée par Chantal Pelletier

DU MÊME AUTEUR
Romans
La Ventriloque , Des Femmes, 1978
La Danse océane , Souffles, 1988 ; Actes Sud Babel, 1996
Martha ou le Mensonge du mouvement , Manya, 1992 ; Actes Sud Babel, 1996
Belle Mère , Actes Sud, 1994, prix Goncourt des lycéens ; Actes Sud Babel, 1997 ; J’ai Lu, 1997
La Nuit la neige , Actes Sud, 1996 ; Actes Sud Babel, 1998 ; J’ai Lu, 1998
Le Sas de l’absence , Actes Sud, 1997, prix de l’Écrit intime 1998, précédé de La Ventriloque , Actes Sud Babel, 2000 ; J’ai Lu, 2000
Platon était malade , Actes Sud, 1999 ; Actes Sud Babel, 2002.
Septuor , en commun avec Daniel Zimmermann, Le Cherche Midi éditeur, 2000 ; Pocket, 2002
Le Jardin forteresse , Actes Sud, 2003 ; Actes Sud Babel, 2004
Chers disparus , Actes Sud, 2004, grand prix de la Société des Gens de lettres ; Actes Sud Babel, 2006
Nouvelles
Les Enfants des autres , Actes Sud, 1985
Un si joli petit livre , Actes Sud, 1989, prix Fondation Thyde-Monnier de la SGDL, Actes Sud Babel, 1999
Suite en fin de volume

Claude Pujade-Renaud
exquis d’écrivains
Sous les mets les mots


© NiL éditions, Paris, 2007
ISBN 978-2-84111-426-9
1
À Daniel Zimmermann

Métissages

U ne randonnée dans les montagnes crétoises, une étape dans un village retiré. La femme tenant l’unique café local accepte de nous préparer une salade pour accompagner la viande séchée et aromatisée que nous transportons dans nos sacs à dos. Je la suis jusqu’à son potager étagé en terrasses, magnifiquement travaillé et irrigué, offrant une belle diversité de légumes. Je ne peux identifier toutes les herbes qu’elle ramasse, mais je reconnais la barbe-decapucin, l’ébouriffée, la mal-peignée, ainsi que le pourpier, dense, charnu. Plus deux ou trois autres, amères ou piquantes, à goût de sauvage. Au dîner, nous savourons ce mélange assaisonné d’une huile d’olive épaissie de miel, saupoudré d’un semis léger de grains de grenade et de quelques noix à demi concassées qui résistent un peu sous la dent, accentuant le caractère tonique et gai de l’ensemble. À croquer cette salade, je crois comprendre d’où proviennent la résistance et la longévité des paysans crétois.
Nous dormons à la belle étoile, protégés d’un vent glacé par un muret de pierres sèches. Avant de m’assoupir, écoutant les rafales du meltem , je me rappelle la légende de Perséphone : pour avoir malencontreusement mangé quelques grains de grenade, rompant ainsi le jeûne rituel, la jeune fille fut condamnée à demeurer dans les sombres demeures de l’Hadès. Mon allègre salade crétoise m’apparaît alors comme un beau mélange de lumière et d’ombre. Ce qui ne m’empêche pas de bien la digérer.
Encore à présent, lorsque souffle un grand vent nocturne, il m’arrive d’entendre – ou de savourer ? – le rire juteux, rutilant de la grenade, éclatant de vie comme de mort.
Récemment, je fus étonnée de découvrir une recette de hors-d’œuvre qui associe les haricots rouges, les grains de la grenade, plus des cerneaux de noix, de l’ail et de l’oignon. Aucune huile, rien que le jus de la grenade, relevé de cannelle, girofle et poivre. Une recette caucasienne. Ce recours à la grenade a-t-il transhumé de la Crète au Caucase, de la mer à la montagne, ou l’inverse ?
— Je suis excédée de ces modes exotiques, porc à l’ananas, cari de langouste, poisson au lait de coco, steaks aux bananes, sushis, sashimis et compagnie ! Le dernier chic, paraît-il, serait la tendance méditerrasiatique, la fusion food ! Soja à la grecque et gréco-sushi… Grotesque ! Je préfère les plats bien de chez nous.
— Par exemple ?
— Tiens, une vraie purée. Passée à la moulinette puis au four. Pas trop gratinée, juste dorée. Une purée d’enfance, quoi ! Le dessus à peine croûté, et l’intérieur onctueux…
— Je te rappelle que la pomme de terre nous est arrivée d’Amérique du Sud. Du Pérou, je crois bien. Et pour une Europe pauvre, ce fut en effet le Pérou.
— Bon, alors un haricot de mouton, mijoté avec oignons, thym et laurier, plus quelques lardons. Voilà un plat de terroir, un plat canaille, non ?
— Désolé de te contrarier, les haricots en grain sont aussi originaires du Nouveau Monde.
— Ah ! tu m’agaces ! Eh bien, même si c’est italien à l’origine, je me rabats sur des spaghettis à la sauce tomate. Faite maison, avec une petite carotte en rondelles, histoire d’amadouer l’acidité de la tomate, un brin de céleri, de la sauge et un très mince filet de lait.
— On ne peut plus exotique ! Les pâtes proviennent de Chine et la tomate du Mexique.
— Tu le fais exprès ! Alors un plat de fête traditionnel, tiens, la brave dinde de Noël étouffe-chrétien, bourrée à en crever de ses marrons moelleux récoltés en Ardèche.
— Va pour les marrons… Mais ce volatile insipide et lourdaud a également traversé l’Atlantique.
— Bon, qu’est-ce que tu veux me prouver ?
— Rien, sinon que les mets comme les mots vagabondent, se sédentarisent, empruntent et essaiment. Nomades poreux aux métamorphoses.
Mère

J ’ai six ans. J’ignore quasiment l’existence de la viande : ma mère est végétarienne. Elle a, aura toujours, une fâcheuse propension à confondre son corps et le mien, et m’impose donc son régime. Sans fanatisme, puisque les œufs et les fromages ne sont pas proscrits. Ni, de loin en loin, les volailles. Crudités, céréales et gratins de légumes constituent l’essentiel de nos repas.
Cet été-là, Parisiens en vacances sur la côte landaise, nous sommes invités un dimanche chez l’oncle et la tante de ma mère, béarnais, que je rencontre pour la première fois. Dans cette vieille ferme, tout paraît étrange, sale et délabré à la petite citadine que je suis, vivant en appartement.
La tante sert une énorme poule au pot. Je suis stupéfiée par la taille gargantuesque de la marmite. Émerveillée par la succulence de l’odeur, les ocelles blonds du bouillon, cette peau grasse, d’un jaune épais, qui se détache de la chair. Ma mère insiste pour que je mange surtout de ces bons légumes. La tante la contredit : il me faut de la viande pour grandir, forcir – maigriotte et maniérée, cette gosse de la ville, a-t-elle dû penser.
À ma stupéfaction sortent ensuite du four deux poulets bien dorés. Je suis éblouie. Cette famille doit être très riche pour servir deux plats de viande au même repas !
Ce déjeuner dominical, que de petits paysans pauvres offraient selon la tradition – le bouilli, le rôti – à l’élégante cousine mariée à Paris, est resté dans ma mémoire comme le festin premier, fabuleux. Même si j’en ai connu par la suite de plus raffinés.
Le végétarisme maternel n’était pas strict. Sans doute parce que c’était la guerre et qu’il fallait me fortifier advenait parfois le rituel de la sanguette. Ma mère recueillait le sang d’un lapin dans un bol, ajoutait aussitôt un filet de vinaigre, puis le faisait prendre à la poêle avec un peu de chapelure, du persil, salait et me le servait.
Une drôle de galette plate, la sanguette, d’un brun rougeâtre. Elle ne me répugnait pas, je consommais de la viande, enfin ! Si on peut appeler viande cette curieuse consistance caoutchouteuse.
Mais qui donc tuait le lapin ? Ce ne pouvait être ni mon père ni ma mère, tous deux citadins. Un voisin ? Avec lequel nous partagions le lapin ? De ces arrangements du temps des restrictions ?
La sanguette suppose un lapin, ou une volaille. Les abattis dans la soupe, un poulet. Pourquoi n’ai-je aucun souvenir de la bête en son entier, seulement de ces abattis à la fois gluants et croquants qui donnaient un si bon goût au bouillon ? J’aimais m’emparer d’une aile ou du cou, grignoter et ronger autour de cette multitude de petits os. J’aimais extraire une patte écailleuse, m’attaquer au cartilage lisse et nacré, bien rond, qui résistait agréablement sous la dent.
La répugnance de ma mère pour les viandes rouges pouvait s’expliquer : en 1918, elle fut très affaiblie par une fièvre typhoïde et le médecin la contraignit à se rendre aux abattoirs afin de boire le sang des bêtes qu’on venait de sacrifier.
Le dégoût chez la mère se transforma en appétit chez la fille. Appétit ou revendication ? C

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