Terres promises
199 pages
Français

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Terres promises , livre ebook

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Description

Ce fut un temps quand les Borsellino, les Campo, les Giacalone, lesGandolfo, les Garsia, les Strazzera, les Campisi, les Caruso … vinrents’installer en Tunisie.Ces gens étaient des maçons, des charpentiers, des agriculteurs, despêcheurs, mais surtout de grands travailleurs … ils surent bâtir etdonner naissance à des quartiers entiers disséminés dans tout lepays, appelés ” Petite Sicile ” et ils surent s’intégrer à la populationlocale.Des milliers de Siciliens partirent en Argentine, en Amérique du Nord:à Brucculino (Brooklyn), à Tampa, à Détroit …Dès la fin du XIX siècle, l’île de Favignana et toute la région deTrapani, furent particulièrement touchées par le phénomènemigratoire vers la Tunisie et les femmes après les hommes quittèrentà leur tour la Sicile avec l’espoir d’y revenir un jour …Un voyage passionnant dans la Sicile de l’après-guerre vers des ”Terres Promises “, l’espoir d’un avenir meilleur, raconté à travers leregard de notre héroïne : Ilaria.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2020
Nombre de lectures 21
EAN13 9789938074567
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait














Alfonso Campisi





Terres
promises

Roman










ARABESQUES 2020













Livre : Terres promises.
Auteur : Alfonso Campisi.
Tous droits de reproduction, de traduction et
d’adaptation réservés à l’éditeur: ARABESQUES
EDITIONS
ISBN : 978-9938-07-456-7
33, rue Lénine-Tunis 1000
www.editions-arabesques.tn
E-mail :editionsarabesques.tunis@gmail.com


DU MÊME AUTEUR

– L’influsso latino sul dialetto siciliano, Ed. La
Méditerranée, Tours, 1997.
– Ifriqiyya et Siqilliyya, un jumelage méditerranéen,
Ed. Cartaginoiseries, Tunis, 2009.
– Filologia siciliana, studio filologico delle parlate di
Sicilia, Ed. Finzi, Tunis, 2013.
– Voyageurs arabes en Sicile normande XI-XIIème siècles,
MC-éditions, Tunis, 2014.
– Mémoires et contes de la Méditerranée. L’émigration
sicilienne en Tunisie entre XIXe et XXe siècles,
MCéditions, Tunis, 2015.
– Mparamu u siciliano, livre de Langue et
civilisation siciliennes, éditions LEGAS, N.Y.,
USA,2018.
– Les métisses italo-africains au Corne d'Afrique : un
parcours dans la mémoire post-coloniale italienne, 2020.




















Un remerciement
particulier à Michel
Auguglioro





1


Quitter Favignana


Les guerres laissent derrière elles deuils,
désastres, douleurs et séquelles inimaginables,
la faim, les maladies, le chômage.
En ces lendemains de guerre, à Favignana,
environ cinq mille âmes dispersées sur une île
en forme de papillon de l’archipel des Égades,
dans la province de Trapani, se demandaient
inlassablement : « Que faire ? »
Eh oui, que faire ? Va-t-on pleurer du matin
au soir les morts tombés en Russie, en
Cyrénaïque, dans les combats navals, à Marsa
Matruh ?
« Non, pardi ! » tonnait Mastru Cicciu,
quand il entendait pleurnicher sur les désastres
du passé. Il faut, au contraire, trouver une
solution et en finir avec ces jérémiades !
Mastru Cicciu était le cordonnier du quartier
de la côte sur ce pan de colline où s’étageaient
les maisons qui conduisait vers le centre du
village. En homme téméraire, il disait qu’il
fallait enterrer un passé désastreux... C’est ainsi
qu'on surmonta les malheurs après la Première
Guerre mondiale, du moins jusqu’en 1923.
9 Peu après, les ennuis recommencèrent avec
le Fascisme, période durant laquelle, on avait
« de quoi faire »...
Dans son échoppe, Mastru Cicciu ne cessait
de recueillir des nouvelles de tout genre,
fraîches et moins fraîches, bonnes et
mauvaises. Une caisse de résonance si chargée
de misères humaines qu’en passant devant
cette boutique, les gens faisaient les cornes
pour conjurer le mauvais sort.
Le travail fut l’unique souci des discussions
qui alimentaient les débats publics. Il est vrai
qu’il était si rare, presque introuvable à
Favignana. Cependant, même si par chance on
en trouvait à l’occasion de la « mattanza », la
pêche au thon et les récoltes saisonnières, le
chômage humiliant sévissait de plus belle.
« Mais en dehors de la Sicile, du travail il y
en a !, clamait Mastru Cicciu. Soyez maudits,
vous tous jusqu’à la septième génération ! Vous
restez plantés là sur cette terre de misère. Vous
crèverez de faim vous, vous le savez bien ; moi
je garde toujours les oreilles dressées, comme
un lièvre, pour recueillir tout ce que j’entends
ou qu’on me rapporte... »
Sur sa lancée, tout en continuant à tirer sur
un fil enduit de cire vierge, filée avec une
quenouille, il poursuivit sa litanie : « À deux
pas de cette malheureuse île, chaque jour, des
dizaines de jeunes et moins jeunes partent pour
le continent. Ils vont à Brescia, à Milan, à
Turin. Ils trouvent tout de suite du travail. Ici,
il est en train de se passer ce qui s’est déjà
10 passé en 1911 et 1912, après Tripoli. Des
milliers de Siciliens sont partis en Argentine et
en Amérique du Nord : à Brucculino
(Brooklyn), à Tampa, à Détroit, mais beaucoup
sont allés en Tunisie, surtout ceux de
Favignana et de toute la région de Trapani. »
Les informations de Mastru Cicciu étaient
exactes, et personne ne pouvait les réfuter. En
effet, les premiers à partir de Favignana furent
les frères Bagnino, qui ouvrirent la voie vers le
continent, et de là vers l’Allemagne, la Suisse,
l’Angleterre et la Tunisie.
Le bien-être ne tarda pas à réapparaître au
premier coup d’œil. Bien vite, des bruits
coururent sur les versements des mandats que
les émigrés envoyaient à leurs familles, qui, à
leur tour, déposaient de l’argent dans l’unique
banque du village pour payer leurs dettes,
acquérir une maisonnette, un lopin de terre ou
compléter la dot d’une soupirante ou d’une ou
de plusieurs sœurs.
Maintenant, il faut le dire, à cause des
guerres d’Espagne et d’Afrique orientale et de
cette fureur collective appelée la Seconde
Guerre mondiale, la population de Favignana
enregistra alors une réduction du nombre
d’hommes et un accroissement du nombre de
femmes, qui réclamèrent à leurs parents le
droit d’émigrer, elles aussi.
Entre-temps, dans le quartier haut perché,
ce n’était que misère. Un climat de deuil
accablant pour les jeunes filles, dont le destin
depuis des temps immémoriaux était toujours
11 le même : aider à la maison et, dans les
moments libres, broder un trousseau de
mariage, dans l’attente d’un mari. Quand leurs
familles étaient nombreuses, elles se
consacraient aussi à la garde et aux soins de
leurs plus jeunes frères et sœurs.
De longues discussions se tenaient du matin
au soir, à propos de ces conjurations du sort.
L’habileté de Mastru Cicciu, estimé et apprécié
dans tout le quartier pour son talent et pour
ses bons conseils, eut une fois de plus un rôle
décisif.
De leur côté, les jeunes filles disaient à leurs
parents que les temps où la fille devait rester
attachée aux jupons de sa mère étaient bien
révolus. D’ailleurs, à une époque bien plus
risquée pour une jeune fille, nombre d’entre
elles de Favignana avaient émigré au-delà de
l’Allemagne et de l’Angleterre, et étaient
arrivées sans garde ni chaperon en Amérique.
Et n’hésitaient pas à citer les noms de ces
héroïnes : Angela et Maruzza Ingoglia, Pinuzza
Lo Cicero, Graziella La Paglia, Fana Pitarresei,
et soutenaient même qu’elles ne valaient pas
moins qu’elles !
Mais ce front uni ne resta pas longtemps
soudé, car les obstacles à cet élan
d’affranchissement des filles ne manquèrent
pas de surgir. En effet, la crainte de souffrir du
manque de respect que susciterait la colère,
voire la damnation, de leurs pères, seigneurs et
maîtres, l’égoïsme de leurs mères, jalouses de
leur garde et soucieuses de perdre leur aide
12 dans les tâches ménagères, mirent un frein aux
rêves d’émancipation des filles... Certaines,
cependant, prirent l’initiative de partir, et, après
de sombres années de vassalité, qui les mirent
sous la coupe de leurs parents et de leurs
frères, firent fi de leurs vetos absurdes et de
leurs soi-disant principes surannés... Ainsi
mûrit, jour après jour, une sorte de libération
des jeunes filles en âge de se marier.
Dans ces quartiers, où le respect, la timidité,
et la pudeur leur faisaient rougir les joues, les
jeunes filles acquirent de l’assurance : la
présence d’étrangers et les fonctionnaires de la
direction départementale du Travail ne
provoquaient plus jamais la pâleur de leurs
visages.
Depuis lors, un vrai miracle et une réelle
transfiguration se produisirent pour bousculer
défensivement les us et coutumes de ce petit
village, comme le souhaitait le visionnaire
Mastru Cicciu...




13














2


Rosa Badalucco


Un ami de la famille Badalucco, installé
depuis quelques années dans la capitale de la
Sicile, avait eu des contacts avec la
« Pasionaria » du groupe. Ilaria, était une des
quatre enfants de Rosa, et menait une existence
difficile dans un corps fragile.
Séparée de fait de son mari, Salvatore
Magro, de qui elle avait eu un enfant, Rosa
avait continué à en avoir d’autres. Dans son
quartier, pourtant personne ne la considérait
comme une prostituée, ou une putain, même si
dans les faits elle faisait discrètement
commerce de son corps, en pleine conscience
de sa situation. En tout cas, elle n’avait
aucunement honte d’elle-même, c’était son
statut, et basta !
Elle était semblable à Turiddu Magro,
surnommé « le Sec », comme le désignaient son
nom et sa physionomie. Il n’ignorait pas que sa
femme était volage et qu’elle se prostituait,
mais il n’en faisait pas un drame : « L’eau la
mouille, disait-il, le vent la sèche », se disait-il.
De plus, celui qui s’avisait à le traiter de cocu,
15 Turiddu Magro, répondait qu’il le savait et qu’il
n’était pas nécessaire de le lui rappeler...
Singulier, ce Magro, était un être
exceptionnel dans un pays où les scènes de
jalousie et les combats de chiens enragés
faisaient rage, selon le code que l’on appelait
code de « chevalerie paysanne ».
La vie dissolue de Rosa Badalucco dérogeait
aux règles communément établies de l’honneur et
du déshonneur, et choquait, dans les bas quartiers
où une femme comme elle était considérée
comme une « putasse ». Ironiquement, on ajoutait
même, histoire de le rappeler, que la Madeleine de
l’Évangile était une pécheresse, et les bigotes
n’omettaient pas de le signaler quand elles
passaient devant sa porte, exactement comme
elles le faisaient devant l’échoppe de Mastru
Cicciu.
Le prénom d’Ilaria avait plu aux membres
de la famille. En fait, lorsqu’ils donnaient un
prénom à leurs enfants, les anciens
entrevoyaient leur avenir. En fait, la tradition,
dans le monde chrétien, venait et vient encore
aujourd’hui de la Bible. Les quelques élus, ce
fut Yahveh en personne qui avait dicté leurs
prénoms. Mais, personne, dans le village,
n’avait pensé que « Ilaria » avait le sens caché
de prédestination. C’était un prénom, comme
tant d’autres, que l’on donne à celui qui,
quittant l’obscurité

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