Trophée des Plumes 2021 - Turbulences
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Trophée des Plumes 2021 - Turbulences , livre ebook

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Description

Turbulences (Trophée des plumes 2021) Trois coups de baguettes, et la musique mit de l’ambiance dans le studio. Percussions rythmées et guitare s’ajoutaient aux subtils frottements de cymbale ; un sublime cocktail de Jazz, de Pop et de mbalax. Ahmed était en face du microphone, en sueur, une Road Series dans les bras. La façon qu’il avait de chatouiller les cordes, cette voix vigoureuse et classique expulsée de son ventre, ce jeu de jambes à tout le moins excentrique n’étaient pas sans rappeler le cultissime Mory Kanté à son époque de gloire. Sa touche artistique un peu culotée rendait d’ailleurs nostalgiques tous les fanas du grand homme, de son vivant, et le sacra, du jour au lendemain star internationale. «— Dernière prise ! Lança le producteur musical de l’autre côté de la vitre. Ahmed était un féru du travail acharné, un phénomène de foire, mais cela ne l’empêchait pas de détourner quelques fois le regard, et de sourire… Une jolie jeune fille lui faisait de l’œil. Au moment où Hélène, sa femme entra dans la pièce —ils avaient déjà bouclé l’enregistrement —, il roula les yeux au plafond en soupirant. Dans le hall les attendaient une petite colonie de journalistes armées jusqu’aux dents. — Monsieur ! Monsieur ! — Ahmed ! Juste une question, s’il vous plait !— Vous avez refusé d’aller jusqu’au procès et des rumeurs font allusion à des dessous de tables ! Affirma un des journalistes qui collait presque son appareil sur la joue du musicien.

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Publié par
Date de parution 17 juin 2021
Nombre de lectures 9
Langue Français

Extrait

Turbulences (Trophée des plumes 2021)
Trois coups de baguettes, et la musique mit de l’ambiance dans le studio. Percussions rythmées et guitare s’ajoutaient aux subtils frottements de cymbale ; un sublime cocktail de Jazz, de Pop et de mbalax. Ahmed était en face du microphone, en sueur, une Road Series dans les bras. La façon qu’il avait de chatouiller les cordes, cette voix vigoureuse et classique expulsée de son ventre, ce jeu de jambes à tout le moins excentrique n’étaient pas sans rappeler le cultissime Mory Kanté à son époque de gloire. Sa touche artistique un peu culotée rendait d’ailleurs nostalgiques tous les fanas du grand homme, de son vivant, et le sacra, du jour au lendemain star internationale.
«— Dernière prise ! Lança le producteur musical de l’autre côté de la vitre.
Ahmed était un féru du travail acharné, un phénomène de foire, mais cela ne l’empêchait pas de détourner quelques fois le regard, et de sourire… Une jolie jeune fille lui faisait de l’œil. Au moment où Hélène, sa femme entra dans la pièce — ils avaient déjà bouclé l’enregistrement —, il roula les yeux au plafond en soupirant.
Dans le hall les attendaient une petite colonie de journalistes armées jusqu’aux dents. — Monsieur ! Monsieur ! — Ahmed ! Juste une question, s’il vous plait !— Vous avez refusé d’aller jusqu’au procès et des rumeurs font allusion à des dessous de tables ! Affirma un des journalistes qui collait presque son appareil sur la joue du musicien. Est-ce pour vous une façon de plaider coupable aux accusions de viol qui pèsent sur vous ?! Un homme de forte corpulence écarta de suite tout le monde sur le chemin, comme un essaim de mouche.— Monsieur ! Dites quelque chose !
Dans le véhicule roulant, au calme, une voix retentit depuis le fauteuil passager du conducteur : « Quelqu’un a dû les prévenir. » Ahmed et Hélène, à l’arrière, ne s’adressaient pas la parole. Elle, montrait son inquiétude, son souci en tentant de se rapprocher de son mari distant. Lui, pensif, était happé par le paysage urbain qui défilait à sa fenêtre. Un papier journal était posé dans la boite de rangement entre les deux sièges du devant. Interpellée, Hélène s’en empara. Il était écrit en première page de couverture : « Scandaleux ! Présidente de l’Association pour les droits des femmes ou pour les doigts dans la f…» Elle referma aussitôt le torchon et le froissa pour le jeter par la fenêtre.
Arrivé à l’aéroport, la nuit, un avion privé était déjà prêt à les embarquer. Le sifflement lourd et perçant des hélices étouffait toute communication verbale. — Ne t’inquiète pas, mon chéri, rassura Hélène qui parlait fort au téléphone, papa et maman vont rentrer bientôt. Sois sage avec ta tante. Je t’embrasse très fort. Bisous !
Ahmed montait seul les marches d’escalier.
L’hôtesse se présenta à peine à eux en poussant son chariot garni de boissons, qu’Hélène prit l’initiative de servir elle-même son mari. Un verre de whisky. Celui-ci, à l’aise dans son siège, nettoyait avec une poétique délicatesse sa guitare. Puis, se
mit de nouveau à jouer. Sa mélodie, ici, sans accompagnement instrumental, sans artifice numérique, était douce, presque charnelle. Ça parlait de désamour. Quand il fredonnait, on entendait plus le moindre bruit ambiant en ces lieux. Ce qui sortait de sa bouche, bien qu’inaudibles sonnait vrai ; toute cette sincérité, cette honnêteté émanant du fond du cœur, cette impudeur venaient soutenir la beauté des mots. En écoutant cela, Hélène avait le cœur en miette. Et tandis qu’il continuait de la faire souffrir en chanson, elle s’en remit à son reflet larmoyant dans le hublot.
Elle se tenait à présent en face de la porte d’avion, fixant du regard le loquet. Il n y avait personne dans les parages. Elle le saisit alors et l’abaissa. D’un coup, son corps fut éjecté au dehors.
(Cette pensée lui effleura l’esprit.)
L’hôtesse leur demanda d’attacher leur ceinture. — Nous risquons de traverser une zone de turbulence.
Des rafales de vent s’élevèrent aussitôt et les nuages noirs grondaient en scintillant. A l’intérieur, les secousses de plus en plus fortes malmenaient les passagers qui se cramponnaient tant bien que mal à leur siège. Ahmed, par mégarde, laissa tomber sa guitare qui se heurtait de piètement en piètement. Il pleuvait dans un vacarme impossible des objets ; des bouteilles en verre, des assiettes qui éclataient au sol. L’avion sous ce toit céleste orageux tanguait, aussi tourmenté qu’un bateau ne l’est par une nuit de tempête. Dans le feu de l’action, la femme décrocha sa ceinture face à son homme ébahi : « Qu’est-ce que tu fais ?! s’écria-t-il ». Elle prit son courage à deux mains et alla chercher l’instrument de musique. Il lui arrivait de glisser, de se cogner la tête ou d’être projeté sur les parois. Malgré tout elle continuait d’avancer, plus téméraire que jamais. C’est ainsi qu’elle avait pu remonter la pente, victorieuse mais sans plus d’énergie, avec la même abnégation, la même dévotion sans faille. Moins d’une demi-heure plus tard, les turbulences cessèrent enfin et la situation se stabilisa.
Il n y eut pas de blessés graves mais on prodigua des soins de premier secours à ceux qui en avaient besoin. Ahmed tenait dans ses bras sa précieuse guitare — ou du moins ce qu’il en restait. La caisse de résonnance était endommagée et les cordes rompues. Hélène quant à elle était adossée sur son siège, silencieuse – l’esprit ailleurs —, un pansement recouvrant sa lèvre. Cela faisait plusieurs années, maintenant, qu’elle endurait tout cela. Son égoïsme, son manque de considération, son irresponsabilité… ses infidélités. Il était déjà parti une fois et ça avait été un choc. Un choc au point qu’elle envisagea le pire. Mais alors quel genre de mère serait-elle aux yeux du monde, à ceux de ses proches, à ceux de son fils ? Si elle était encore debout, c’était grâce à lui. Si elle avait accompli tant de choses, c’était à cause de lui. Et puis, combien de catastrophe, ou de scandale n’avait-elle pas surmonté enfin de compte ? Un de plus ou un de moins, quel que pouvait être son envergure, n’aurait rien changé, se disait-elle.
— Je ne t’en voudrais pas, avoua Ahmed qui brisa le silence, si tu décidais de me quitter. Et puis, tout à coup, naquit sur le visage d’Hélène un sourire difficile et impromptu. On eut dit qu’elle se moquait de la douleur physique. C’était en fait un sourire de
soulagement, de joie étouffée, de bien-être aussi, de repenti. Ce qu’elle éprouvait désormais à cet instant était un agréable sentiment de liberté.
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