Un cri dans la nuit
154 pages
Français

Un cri dans la nuit , livre ebook

-

154 pages
Français

Description

A partir d'une intrigue captivante, tissée sur une banale histoire de tricherie, l'auteur, dans une écriture simple et libre, déroule un ensemble de thèmes dont les manifestations dans la vie quotidienne constituent de véritables freins pour le décollage de nos sociétés, pourtant en plein dans l'heure de la mondialisation : les croyances mystico-religieuses, la lutte contre la pauvreté, les Eglises réveillées, l'environnement, et l'épineux problème de la servitude de la femme.

Découvrez toute la collection Harmattan Cameroun !

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2012
Nombre de lectures 26
EAN13 9782296499584
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Un cri dans la nuit
Solange Nsomo Un cri dans la nuit Roman
© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-99086-9 EAN : 9782296990869
1
Les dernières couches des ténèbres emportant avec elles les oiseaux de nuit vers leurs nids se dissipaient dans l’atmosphère qui changeait déjà avec l’arrivée de l’aube. Dans les clairières, les bêtes traînaient, retardant de leurs cris, le retour dans les terriers pour le grand repos diurne.
A la maternité de l’hôpital missionnaire du petit village d’arrondissement où je venais de voir le jour, tout dormait encore. Ma mère qui ne dormait plus que d’un œil depuis ma naissance, ronflait. La pauvre fille, la main posée sur moi, récupérait les heures de sommeil passées assise, parfois debout à m’allaiter, à me bercer. Dehors, le jour commençait à venir et l’on pouvait apercevoir ses lueurs à travers les voiles fleuris des fenêtres vitrées. Le village s’activait d’un peu partout. Les bruits et caquetages des lève-tôt et des vendeuses de beignets du petit marché montaient : «Trois sacs pleins », cria une voix de la voiture de livraison du pain qui klaxonnait. Dans tous les services de l’hôpital, on prenait la relève. Le groupe électrogène s’éteignit. Les exclamations des unes et des autres réveillèrent ma mère. Elle s’étira et dirigea ses yeux vers moi. Son visage ensommeillé me souriait. Tout amour, tout sourire, elle baisa mon front, me câlina, me borda avant de se dévêtir de sa chemise de nuit de seconde main achetée au déballage du marché central de Ngola. En pagne à l’instar des autres mères d’enfants, elle ramassa son nécessaire de toilette et prit le chemin des douches. Des salles de bains parvenaient des bruits d’eau qui se verse, des raclements de voix et de l’eau qui coule, coule et coule interminablement. Les femmes, à leur façon, prenaient tout leur temps pour se faire belles. Toutes des jeunes filles pour la plupart, chacune munie d’un gant et d’un savon parfumé, se frottaient énergiquement le corps et se rinçaient à l’eau propre. Ma mère qui finit bien avant les autres, s’enduisit le corps du « rapide clair », et s’habilla. D’un mouvement de la tête, elle dénoua sa longue greffe rouge et la brossa mèche par mèche avant de la retenir d’un foulard vert au dos. Sur son visage poudré, elle crayonna de rouge les sourcils et relevait les cils de mascara noir quand :
5
- Hum ! Ton bébé est en train de pleurer hein ! dit une fille qui passait à sa hauteur. -La fille-là s’est déjà réveillée Eh ! ? demanda-t-elle étonnée en s’appliquant des fards à joues. Elle se dépêcha de ranger soigneusement sa boîte à maquillage et courut dans la salle des nouveau-nés où une inconnue, sensible à mes cris, essayait de me calmer : « Silence, maman est là, pleure plus petit chou », souffla-t-elle en me prenant avec elle. -Merci madame. -De rien, dit la femme. Je criais de plus belle. Ma mère tira le tabouret de chevet pour m’allaiter. En vain, je continuais de m’agiter : « Attends, je vais te laver, peut-être que les urines te démangent déjà ». Elle me déshabilla, et à l’aide du coton pharmaceutique trempé dans de l’eau tiède, elle m’essuya les yeux, les oreilles, les replis du cou et s’étonnait de ma desquamation précoce. Ointe du « lait pour bébé » et vêtue de nouveaux habits, je pris le sein qui flattait mes lèvres et m’endormis. « Rangez tout », crièrent les agents d’entretien en entrant autour de sept heures trente. Aussitôt, babouches, sacs, bassines, bouteilles d’eau et vêtements épars qui jonchaient le sol et les allées disparurent sous les couvertures. Les agents, mains gantées, tenant des raclettes et des seaux d’eau javellisée, versaient de l’eau moussante sur l’étendue de la salle, puis admiraient les bébés, le temps que la crasse se décolle du sol. L’instant d’après, elles se mirent à frotter le carrelage marron, allant jusqu’au sous bassement. Souriantes dans leur uniforme kaki, les jeunes femmes, sans relâche, envoyaient la raclette dans tous les coins, cirant, astiquant, tiraient l’eau sale avant de passer la serpillière. Une fois terminé, l’une d’elles porta leur seau et les deux s’en allèrent pour la salle voisine. Alors que les mamans remettaient en ordre leurs affaires, la cuisine sonna le petit déjeuner. Le petit déjeuner était l’unique repas qu’offrait l’hôpital aux femmes en couche et aux enfants en bas âge. Les deux battants de la porte d’entrée, comme toutes les fois qu’ils s’ouvraient, grincèrent. Un homme brun et trapu qui terminait l’âge adulte entra, souriant et propre dans son tablier blanc.
6
- Bonjour les mamans ! - Bonjour Ok ! L’homme poussa sa brouette chargée d’un bidon de vingt litres de couleur rouge et d’un grand sac noir, et s’arrêta au centre de la pièce. Pendant que les femmes cherchaient les gobelets et les cuillères, comme à son habitude, Ok passait entre les lits. -Petite maman, c’est comment ? -Ah ! Un peu bien, répondit une jeune fille. -Et toi jeune mère ? Bien dormi ? -Pas comme toi Ok. Il continua dans l’allée. -La mère, ça va ? -Où même ? Cette fille m’a tenue éveillée toute la nuit, je me sens si fatiguée, dit ma mère en me regardant. -C’est comme ça non, avec les ntangan* c’est toujours comme ça, répondit Ok. -Eh ! l’accouchée bonjour ! -Ah ! Ok … J’ai mal dormi. Le froid m’a mangé le corps cette nuit bien même, dit la femme du lit d’en face. -Eh ! avec les fenêtres et les vitres qui ont les rideaux, vous avez froid ? -Ah ! Oui ! Avec la porte-ci qui s’ouvre et se ferme toute la nuit, et c’est comme ça que le froid entre, expliqua la femme. -Oh !!! Magni* Tu es tranquille là ! -Ok, laisse-moi me reposer, c’est seulement maintenant quand le jour se lève que ces enfants me laissent dormir. Toute la nuit, ils tètent, ils tètent sans arrêt. -Oh! C’est rien ! L’enfant c’est bien. Et tout ça va partir avec un bon lait chaud n’est-ce pas ? Allez, on vient ! dit Ok, sourire jusqu’aux oreilles à toutes ces réponses. En rang, les femmes avançaient vers lui. Placé derrière sa brouette, il versait du lait dans chaque couvert qu’on lui présentait,
7
prenait du sac un petit pain rond chargé de margarine qu’il posait dessus et ainsi de suite jusqu’à la fin. Lorsqu’il n’y eut plus personne, l’homme leva enfin la tête et promena du regard la salle. Son coup d’œil vigilant errait sur tous les lits s’assurant qu’il n’oubliait personne. -Ok pour tout le monde ? -Ok ! répondirent les femmes. Satisfait, il tourna sa brouette et partit. « La ronde !» annonça de sa voix énergique, l’infirmière chef du fond du couloir. Sa voix qui coïncidait toujours avec la fin du petit déjeuner soulevait les femmes de leurs places malgré elles : « Celle-là va venir insulter les gens maintenant » ; « avec son mauvais cœur-là, elle gronde les gens comme les enfants » ; « elle pense que comme elle est chef, elle est chef de tout le monde. Elle et moi, on va nous entendre avant que je ne sorte de l’hôpital-ci », murmuraient- elles en se mettant à dresser leurs lits, relever les moustiquaires et envoyer sous les lits les sacs, les paniers et les plats gênants. A neuf heures un quart, les médecins effectuèrent leur entrée sous la conduite de l’infirmière chef du service de la maternité. Lit après lit, les cinq médecins que comptait tout l’hôpital s’enquéraient de l’état de santé de chaque bébé. Sereins dans leurs blouses blanches, avec au visage, ce sourire détendu, voulu, ou parfois composé qui rassure. Au lit n° 46, c’est le médecin chef en personne qui prit ma fiche. -Comment va-t-elle ? demanda-t-il après avoir suivi les commentaires de l’infirmière. -Ça va, sinon qu’elle ne dort pas assez la nuit, répondit ma mère. Sa figure entre deux âges dont le gris des cheveux contrastait avec les traits encore jeunes, s’appesantit sur les paramètres des deux derniers jours. - Mais ! Elle a repris du poids ! Et sa température est normale ! Son sommeil va se régulariser avec le temps. Ce qu’elle fait est normal. Il consulta encore la fiche et posa sur moi ses yeux cachés
8
derrière des lunettes. Bien, bien ! La petite blanche peut rentrer chez elle aujourd’hui, conclut-il. Le crissement des roues du chariot, une demi-heure après le départ des médecins, nous prépara à l’administration des soins et des traitements divers de ceux des nouveau-nés souffrants. Poussé par une jeune aide-soignante, l’appareil transportant le plateau en inox rempli de coton, seringues, alcool, sachets de glucosé, ampoules vitaminées, s’arrêtait à toutes les allées. La dame, nullement troublée par les cris et les pleurs des enfants, saisissait à chaque lit un fragile petit bras autour duquel elle attachait une fronde, puis tapotait une partie ou l’autre du bras pour faire apparaître la veine. Ceci prenait une à deux minutes. Deux minutes de torture durant lesquelles ces mains inexpertes quelquefois, piquaient et repiquaient la tendre chair avant que la seringue ne s’enfonce dans la veine. Après quelques petits réglages, la perfusion se mettait à passer. Ce travail de routine n’était pas toujours facile. Il y avait des jours où, comme par sortilège, soit c’étaient les enfants, soit c’étaient les perfusions, tout allait de travers. Pour ce jour-là en tout cas, les choses allaient comme sur les roulettes. En l’espace d’une heure, tous les piquets qui soutenaient les lits portaient chacun un sachet de glucosé jaune. La jeune femme soulagée, fit le tour de tous les lits puis, tira son chariot vers la sortie. En passant devant mon lit, elle et ma mère se sourirent. Nonobstant les bercements, les enfants, même après la piqûre, continuaient de pleurer. Les mères, inlassablement, les calmaient tout en tenant immobilisée la partie du corps où était plantée l’aiguille. Un peu plus tard, peut-être à cause de la douleur ou de l’effet des médicaments, les pleurs cessèrent. Dans les douze coups de midi, le soleil, étouffé depuis le lever du jour, déchirait les nuages et sa chaleur envoyait les uns et les autres à l’ombre. L’infirmière revint dans la salle surveiller les perfusions, rectifier le débit des unes et remettre en place celles qui avaient sauté. Par la même occasion, elle remit à ma mère le billet de sortie dûment signé. Midi était aussi l’heure des visites et les visiteurs qui guettaient l’heure, entrèrent. Ils entraient, seul ou par vagues, ils entraient avec la nourriture et le bavardage. Du
9
coup, la salle se réveilla de la somnolence. Mon père aussi entra, nous embrassa, me prit dans ses bras avant de s’asseoir sur le lit. - Nous sortons aujourd’hui hein ! annonça ma mère. - Ah ! Enfin ! Coucou ! m’interpella mon père. Tu vas découvrir la maison où nous vivrons une nouvelle vie. Il me recoucha entre les oreillers et s’empressa de ranger les quelques affaires apportées l’avant-veille. Une à une, il les transporta hors de la maternité de l’hôpital. Un vieil hôpital datant de l’époque coloniale dont les bâtiments, çà et là, revernis de blanc et de bleu, rappelaient encore sa période de gloire. Réputée pour son sérieux et la qualité de ses soins, cette structure recevait, sans distinction, des malades venant des coins les plus reculés, parcourant des kilomètres de routes à pied en voitures ou en motos. Assis sur l’un des bancs du hangar qui servait de lieu d’attente des visiteurs, on attendait, libérés et apaisés, l’arrivée de la voiture louée pour la circonstance. Dans l’air, la brume sèche et le rayonnement solaire se disputaient la vedette. A l’hôpital, la vie continuait. Le personnel médical et les agents vaquaient à leurs occupations, riant, plaisantant, indifférents à la souffrance qui émaillait leur vécu quotidien. Je vagissais, emmaillotée dans les bras protecteurs et généreux de mon père, heureuse d’être venue à la vie, heureuse et effrayée en même temps de faire désormais partie de la terre des hommes. La 4 x 4 double cabine arriva avec une demi-heure de retard et stationna bruyamment au beau milieu de la cour. Nous y montâmes, sous les regards envieux des personnes alignées devant le guichet d’achat du billet de cession. La voiture, assez lentement, s’élança sur la seule voie d’entrée et de sortie bordée de courts arbres à fleurs. Au niveau du portail, le gardien tira le vieux portail rouillé et nous regarda passer avec attendrissement. Les soubresauts intempestifs du véhicule, plus assez neuf, caracolant le long du tortueux itinéraire jonché de nids-de-poule, me réveillèrent. Un bâillement ponctué d’un faible cri rauque étira désagréablement ma petite bouche rouge. Instinctivement, celle qui, des heures auparavant, me gardait encore dans son sein, défit sans pudeur les agrafes qui retenaient les bretelles fines de sa gandoura rose brodée d’or. Un gros sein
10
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents