Une balle dans le canon
142 pages
Français

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Une balle dans le canon , livre ebook

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142 pages
Français

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Description

D'inspiration autobiographique, le livre parle de l'âge difficile, du passage effectif de l'adolescence à la maturité, ce qui arrive beaucoup plus tard que l'émergence de la condition de mineur et le passage du bac. Après diverses épreuves initiatiques - vues comme telles - le héros semble assumer progressivement le jeu de société qui consiste à vivre-suivre parmi ses semblables.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2011
Nombre de lectures 50
EAN13 9782296805187
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Une balle
dans le canon
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www. librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-54560-1
EAN : 9782296545601

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
Tiberiu Anna Rusu


Une balle
dans le canon

Prose


L’Harmattan
UN
1.0.
Après plus de vingt-quatre heures de captivité dans les chaussures étriquées, les plantes des pieds se posent voluptueusement dans l’herbe, goûtent la fraîcheur de la rosée, se tiennent un temps immobiles, ensuite, très lentement, commencent à esquisser des pas sans perdre le contact de l’herbe, la caressant et s’en faisant caresser.
Avant de toucher le quai, elles s’arrêtent.
Le frisson est monté dans les globes des yeux épuisés par la veille de la semaine de concours, par la fumée du train omnibus archibondé, par l’effort de les garder ouverts. Le front se déride et les paupières descendent, soulagées ; la peau des épaules accuse la présence d’un soleil encore timide pendant que, soudain, stridente, la sirène de la fabrique de meubles se met à marquer sept heures du matin.
J’ouvre les yeux et je regarde la rive : déserte ; dans l’herbe verte, trop verte pour mes yeux fatigués, la valise jaune, lourde de livres et de cahiers. Pourquoi l’avoir trimballée jusqu’ici ?
Je tourne mon regard vers l’eau - personne ; les pêcheurs sont installés plus haut, la pêche est interdite ici, à trente mètres en amont du barrage ; comme la nage d’ailleurs.
J’ai la chair de poule, envie d’éternuer, un pas - je suis sur le béton du quai. Les plantes humides s’y collent avec reconnaissance, en absorbant la chaleur estompée du soleil d’hier et en l’acheminant vers le haut, vers la fraîcheur du corps. Puis, lorsque la superficie couverte s’est refroidie, elles glissent à côté, vers une nouvelle dose de chaleur - chaleur de jours passés - en laissant des traces d’un début de pied plat.
Dans les oreilles pénètre le bruit du barrage, se superpose un temps à celui, rémanent, des roues du train, pour s’imposer ensuite avec une intensité réduite, familier - fond sonore discret pour odeur de rivière et d’herbe, pour cinq peupliers immobiles sur la rive opposée. Pour une larme découverte dans des cils résignés.
Beaucoup d’air dans la poitrine et je m’assois. J’allonge mes jambes sur les dalles du talus, prends appui sur les paumes : la superficie de chaleur a augmenté. En bas, devant moi - l’eau, pas tout à fait limpide : il aurait plu à la montagne.
Cette fois-ci j’ai été à seize centièmes du dernier admis. Seize.

Je me lève. Dans l’eau, sur l’ombre droite, compacte du quai - mon ombre. J’ai un mètre soixante-dix-neuf et dans les soixante-dix kilos. Je lève les bras, les plie, m’étire. Mes articulations engourdies par le voyage craquent.
Maintenant !
Je m’arc-boute et je plie les genoux en m’aidant des bras portés à l’arrière : mon plongeon doit être long afin de dépasser le seuil en béton qui s’aperçoit à quelques centimètres sous l’eau. J’inspire profondément et me détends, m’éjectant dans un saut que je voudrais faire durer aussi longtemps que possible.
Les doigts tendus percent la surface lisse de l’eau qui me monte, froide, jusqu’à la tête ; les bras pénètrent dans des couches plus profondes, stagnantes, plus chaudes : je ferme les yeux et je me mets à éliminer l’air des poumons pendant que je glisse dans un corps à corps total avec la rivière ; je la pénètre et elle me pénètre, elle m’attire et me repousse vers la couche supérieure, fraîche.
J’ai fini d’expirer, mais je fais retarder le moment de la sortie jusqu’à ce que, arrêté, je sente sur les épaules la fraîcheur sèche de l’air. A partir de là, par un mouvement des bras vers le bas, je commence ma course vers l’autre rive, en papillon, de plus en plus vite, en faisant sortir tout le buste au temps des bras, et en courbant brusquement les épaules ; les jambes ondoient, les pieds battent l’eau ; je respire bruyamment, je ne sens pas la fatigue ; encore plus vite, me voilà à moitié de la course : j’ai recouvré mon rythme.
Dans deux trois heures ce sera la foule, le bruit du barrage - englouti par le brouhaha des transistors, magnétophones, guitares, cris ; il n’y aura plus moyen de nager à cause des canots.

A l’oral j’ai donné plein de variantes pour L’expression de la concession à partir de « Roland - blesser - grave - sonner - cor. »
Bien qu’il fût / bien que, quoique / grièvement blessé, Roland sonna son cor.
Malgré sa grave blessure…
Quelque grave que fût sa blessure…
Il était grièvement blessé, et pourtant…
Grièvement blessé, Roland sonna quand même…
« Oui, ça y est, c’est pas mal », a dit l’examinatrice en jetant un œil sur ma fiche pour voir les notes des épreuves écrites. Après quelques mots chuchotés à l’oreille de son collègue moustachu et morose, elle m’a lancé : « Vous avez un petit accent, comment dirais-je, exotique… », en calligraphiant un 8 (huit) / 10 (dix).
J’aurais eu un neuf ou si ma moyenne du bac avait été plus haute d’un cran. Ou si…
Petit accent : elle, bonne Moldave de souche, avait reconnu en moi le bâtard transylvain qui parle un roumain perverti par les langues des « nationalités cohabitantes » {1} : la nasalisation, le o ouvert, les ö , ü - absents en roumain moldo-vlaque.

Halte ! Mes doigts ont atteint la vase, il est temps de continuer à pied la course vers la berge sablonneuse. Je me redresse, la vase m’arrive au-dessus des chevilles, l’eau au niveau des cuisses, je lève un genou pour faire le premier pas. Tout mon corps est concentré afin que les pas soient aussi longs que possible, malgré les deux résistances que ressent chacune de mes fibres – au décollement de la vase et lors de l’avance de la jambe dans l’eau.
Encore un, deux, trois, quatre, cinq, hop là, la berge, un bond, à bout de souffle, le lit de sable, je m’abandonne, je m’écroule, je halète. Je ferme les yeux, je halète, je ruisselle. Epuisé je suis.
J’avais quatre ou cinq ans lorsque, accompagnés par ma tante de Reghin, nous nous engageâmes, moi et mes deux cousins, à passer la rivière dans un endroit où, deux jours auparavant, sa profondeur ne dépassait pas le niveau de mes genoux. Mais cette fois-ci, une brusque crue faisait que, vers le milieu du cours, l’eau nous touche le haut de la poitrine à nous, les enfants, et ma tante décida qu’il valait mieux y renoncer.
Nous fîmes volte face et, nous tenant par les mains, nous commençâmes à avancer en direction de la rive que nous venions de quitter mais, sur les galets glissants et à cause du courant qui paraissait plus fort qu’à l’aller, deux d’entre nous tombèrent en entraînant les autres aussi dans leur chute.
Nous ignorions que nous nous trouvions tout près d’un large trou dû aux excavations de gravier. Soudain, nous perdîmes pied et nous nous trouvâmes dans l’eau profonde mais beaucoup moins rapide ; avec un peu de sang froid nous aurions pu, par quelques mouvements, atteindre la berge - surtout que nous avions déjà pris des leçons de natation en piscine.
Cependant, la surprise, la peur annulaient toute initiative ; nous nous abandonnâmes à l’eau, nous nous laissâmes emporter en attendant quelque aide du dehors, une aide qui ne pouvait venir, en aucun cas, de la part de la grand-mère asthmatique laquelle, sous un saule pleureur, nous regardait horrifiée et poussait des cris rauques.
Un homme qui faisait son foin dans le verger voisin, alerté par les au secours de ma grand-mère et de ma tante, arriva en courant, plongea tout habillé et nous sauva tous - grappe autour de la tante.
Moi, j’étais en train de penser au sort de mon cadeau d’anniversaire : le pistolet à bouchons tellement convoité…
Depuis lors, bras salvateur s’est à chaque fois identifié pour moi à des muscles tendus sous la chemise à carreaux, mouillée, collée à la peau, déchirée à l’épaule et sentant la sueur.
Le lendemain je rencontrai notre sauveur, mon sauveur, et j’éprouvai un sentiment de gêne profonde dès que je l’eus reconnu ; je fus sur le point de rebrousser chemin, j’étais seul sur la route

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