Une foi n est pas coutume
208 pages
Français

Une foi n'est pas coutume , livre ebook

208 pages
Français

Description

À 46 ans, avec sa femme et ses deux filles, Abdallah, informaticien tunisien, va faire partie de l'immigration choisie française ; " parce qu'en Tunisie on manque de tout, et qu'en France on manque d'informaticiens ". Dans la banlieue parisienne où il vient de s'installer, l'Iman de sa mosquée va lui demander de renoncer à son islam tunisien pour passer à celui, plus radical, qui lui est présenté comme étant du Livre.Dans le même moment, il vit les débats sur la laïcité comme une injonction républicaine à jeter un voile sur ses croyances. " Christian, mon responsable, m'a posé beaucoup de question sur mon Islam... et j'avais l'impression que ce n'était pas de réponses qu'il voulait, mais des excuses ".Dans un style vif qui mélange humour et connaissances, nous entrons au cœur d'une société française en pleine crise identitaire, au cœur d'une famille tiraillée. Il sera question d'islam, mais aussi d'amour, d'amitiés, de politique, ou encore d'Histoire. Jusqu'à ce que leur vie bascule...

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Publié par
Nombre de lectures 12
EAN13 9789973706546
Langue Français

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Extrait

UNE FOI N EST PAS COUTUME
Première édition ISBN : 978 9973 706 54 6 © Déméter,Tunis 2021.
KARIM GUELLATY
UNE FOI N EST PAS COUTUME
Roman
Déméter
A ma mère,
A mon père,
Pour mes enfants,
Avec ma femme
À la mémoire de Samuel Paty dont le dein tragique m’a amené à vouloir diuser au plus grand nombre ce livre initialement deiné à mes seuls enfants pour qu’ils trouvent les jues réponses à leurs interrogations sur une partie de leurs origines. .
Au trou
Je suis assis dans ma cellule, sur le bord de ce qui devait être jadis un matelas, sans lacets ni ceinture. Il fait sombre, l’air est humide, le sol en béton est glacial, je tremble. Probable-ment plus par peur de ce qui m’attend qu’à cause du froid hivernal. Les murs ont dû être peints à une époque, mais des siècles de détention les ont transformés en une sorte de plaques photographiques stéréoscopiques sur lesquelles les détenus ont imprimé leurs pensées, comme pouvaient l’être les parois de la grotte de Lascaux pour les chasseurs préhis-toriques. En moins poétique et beaucoup moins artistique.
La société a décidé de me mettre à sa marge, le temps de savoir si je constituais un danger pour son ordre public. D’immigré choisi, me voilà passé en quelque six mois à po-tentielle menace. J’ai glissé, ma présence dans cette cellule témoigne de cette dérive manifeste. Pourquoi ne m’en suis-je pas rendu compte ? Comment ai-je pu autant dévier ?
Je tiens ma tête entre les mains, mes coudes sur les cuisses, je regarde le sol comme on regarde un goure dans lequel sa vie tombe. Mon codétenu, d’origine russe ou ukrainienne d’après son accent, me tance d’un : « Ici, bonne cellule. Ici, pas prison, juste garde à vue. Toi proter parce que prison plus froide, plus dure, beaucoup de personnes. Toi fais quoi pour être là ? » Je ne le regarde pas, je ne lui réponds pas ; je crois qu’à ce moment-là, je pleure. « Moi déjà sept ans prison pour proxénétisme, continue-t-il. Maintenant, récidive. Moi avoir femmes qui travaillent pour moi, mais interdit en France. Tu veux femmes ? Moi
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avoir tout ce que tu veux. Toi arabe, vouloir plusieurs femmes pour coucher ? Moi faire un prix si plusieurs. » Son français est aussi approximatif que la bienséance de son interaction sociale avec moi. Sept années de prison en France ne favorisent manifestement pas l’apprentissage de la langue. Ni même la rédemption, puisque l’homme réci-dive et continue de prospecter pour sa petite aaire alors qu’il est fraîchement détenu. On parle beaucoup de radicalisation islamiste en prison, laquelle prison est censée, en plus de sa fonction punitive, mettre au ban de la société les Hommes qui la menacent. Et non les rendre encore plus dangereux. La promiscuité dans la délinquance la rend plus contagieuse.
Que fais-je ici ? Que vais-je devenir ? Si la prison se conrme, vers quoi vais-je évoluer ? Pourquoi mes garde-fous ne m’ont-ils pas empêché de glisser vers la folie ? Où se trouvait la faille dans ce que je suis ? Ma femme, mes lles vivent aux côtés d’un délinquant, je n’ai pas su les en protéger.
Des cliquetis de clés dans une serrure, des verrous qu’on déverrouille, des portes métalliques qu’on ouvre, des pas dans un couloir où personne ne marche, deux policiers ap-paraissent devant nos barreaux.
« Abdallah ? Debout. Contre le mur, les mains dans le dos. » Puis, en me menottant : « Tu es libre », me dit-il en nissant de fermer la menotte sur mon poignet gauche. Drôle de paradoxe que de devoir menotter quelqu’un pour le libérer. Le protocole carcéral vous entrave quand il vous libère, la prison vous radicalise pour garantir la paix pu-blique. « Tu vas être convoqué par le juge. Il lance une instruction. Tu es libre, mais on ne va pas te lâcher, mon pote, parce que les gars de ton espèce, il ne faut pas les lâcher. » En me retournant, je leur réponds : « Mais je vous assure que… — Oui, ils nous assurent tous, m’interrompt celui qui
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n’avait pas encore parlé. Ils nous assurent tous qu’ils ne savent pas ce qui leur est arrivé, ils ne comprennent pas ce qui leur est passé par la tête. Abdallah, maintenant qu’on t’a dans le radar, c’est ta vie qui va devenir un cauchemar, ce n’est plus toi qui vas faire de la nôtre un enfer. — Mais appelez… — Qui ? Ton avocat ? Ton imam ? Les gars de ta cité ? Non, on n’appelle personne. Ce n’est pas une cabine télé-phonique ici. On repasse prendre tes aaires, et tu dégages. Tu dégages, mais on sera derrière chacun de tes pas jusqu’à ton jugement. Après, on te conduira jusqu’au siège de l’avion qui te ramènera au bled. » Ils n’ont pas tort. Appeler qui ? Les autres ? Je ne peux les déclencher qu’en cas de péril imminent ; j’en suis loin, même si ma vie bascule. Ma femme ? Pour lui dire quoi ? Je n’ai pas d’avocat, mon imam n’apprécierait pas que je l’appelle d’une cellule de garde à vue, fût-elle dans le com-e missariat du très chic 8 arrondissement de Paris.
On me conduit à travers de longs couloirs crasseux jusqu’à un escalier étroit qui nous mène au rez-de-chaussée. On revient des caves. On me présente à un guichet où l’on me rend mes eets personnels. Je signe les papiers de restitu-tion après qu’ils m’ont démenotté. On me raccompagne jusqu’à la sortie.
Le plus dur reste à faire : rentrer chez moi, aronter ma femme et mes lles. Nous sommes le 13 novembre, il est 19 h 30. Il fait noir dans ma tête, comme il fait nuit sur la ville. Je sais cette rancœur qui pénètre mon cœur. Verlaine feignait peut-être de l’ignorer, moi je sais pourquoi il a tant de peine. Mon dessein n’a pas abouti, le deuil de ma vie a ses raisons.
Allahou Akbar
Que de chemin parcouru depuis mon arrivée en France ! Des boulevards aux avenues, des rues aux ruelles, puis l’impasse. Une implacable voie qui m’a conduit à ne plus avoir d’issue. En cette n de première année, je suis passé par des trous d’aiguille pour arriver au canevas de ma vie actuelle. Peut-on parler de vie lorsqu’on est nalement pri-sonnier de ses propres interrogations ?
Chacun ses turpitudes, le juge saisi doit se prononcer, me concernant, sur leurs caractères pathologiques, dogma-tiques ou, pire, extrémistes. Si j’avais eu à raconter tout « ça » dans un livre je l’aurais appeléAllahou Akbar. Ou peut-être pas, bien que je sois musulman.
Il faut reconnaître que «Allahou Akbar» est servi à toutes les sauces. Des terroristes aux terrorisants, des criminels aux pousse-au-crime, chacun le contextualise à ses ns, sa di-mension mystique première s’étant perdue dans les limbes de la mondialisation rhétorique. C’est nalement devenu trop quelque chose, sans savoir quoi exactement. Pas assez quelque part, sans savoir où précisément. Dans cette inni-té de sens, j’ai du mal à trouver le mien. Même si celui de ma vie ne fait désormais plus de doute : je suis voué à ma cause.
Plutôt qu’un titre, peut-être un bandeau ? Un tiers de la couverture, en rouge, sur lequel aurait été imprimé en grosses lettres blanches italiques «Allahou Akbar» ? Moins vendeur que « Prix Goncourt », certes, mais reconnaissons qu’Allahou Akbar possède cette propension à interpeller presque autant qu’une toux grasse, sans masque, devant un étal de fruits et légumes d’un supermarché en temps de pandémie.
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