Une Terre de Cailloux et de Soleil
158 pages
Français

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Une Terre de Cailloux et de Soleil , livre ebook

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Description

Rendez-vous inattendu et déroutant...



Lorsqu’elle s’était lancée à la recherche de son frère disparu, Christine Valette n’avait pas prévu qu’elle dégringolerait avec sa voiture au fond d’un ravin dans un coin reculé du Rouergue. Et si des sauveteurs se sont, par chance, aussitôt manifestés pour la recueillir, elle s’est retrouvée au sein d’une bien étrange famille...



« Elle avait écrit à son père à ce sujet une lettre que celui-ci qualifiait de délirante, où il était question pêle-mêle d’un camionneur gentil qui avait perdu sa main droite dans un accident, de sa sœur belle à damner tous les saints et de ses frères rouquins, d’une maison perdue au milieu des bois qui avait été le palais d’une chanteuse espagnole dont le mari s’était pendu, d’une scierie qui imprégnait de son odeur de bois frais tous ceux qui y travaillaient, d’une grand-mère qui ne parlait qu’en espagnol à ses petits-enfants et d’une fillette qui s’appelait Jolie et qui avait des anneaux d’or aux oreilles. »



Et toute l’existence de Christine s’en trouvera bouleversée.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2018
Nombre de lectures 2
EAN13 9782368323724
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

UNE TERRE DE CAILLOUX ET DE SOLEIL
La SAS 2C4L — NOMBRE 7, ainsi que tous les prestataires de production participant à la réalisation de cet ouvrage ne sauraient être tenus pour responsables de quelque manière que ce soit, du contenu en général, de la portée du contenu du texte, ni de la teneur de certains propos en particulier, contenus dans cet ouvrage ni dans quelque ouvrage qu'ils produisent à la demande et pour le compte d'un auteur ou d'un éditeur tiers, qui en endosse la pleine et entière responsabilité.
Florence Levet
UNE TERRE DE CAILLOUX ET DE SOLEIL
I-Le ravin
Dans un virage, le camion surgit brusquement en face de Christine. Il n’était pas très gros, c’était un de ces vieux camions gris à plateau, comme en ut ilisaient encore les artisans dans les régions rurales, on ne pouvait pas non plus dire qu’il allait vite dans la montée, ni qu’il ne tenait pas bien sa droite. Mais lorsque la jeune femme le découvrit, au détour de la route, à quelques mètres de son propre capot elle eut le réflexe, stupide bien que naturel, d’écraser la pédale de frein tout en tournent son volant pour éviter la collision. La petite Rena ult dérapa sur les gravillons, partit à la dérive, tangua sur le bas-côté et, au moment où sa conductrice espérait redresser la situation, sa roue mordit dans le vide et le léger véhicule quitta la chaussée.
Cramponnée à son volant, la jeune femme vit défiler un chaos de cailloux, de buissons et de broussailles sans dessus dessous, tandis que la chu te précipitait son corps contre les aspérités de l’habitacle, elle dégringolait inexorablement le ravin sans pouvoir arrêter le mouvement, elle ne savait même plus de quel côté était le sol et de qu el côté était le ciel, si elle faisait ou non des tonneaux ou si elle se contentait de rebondir sur l e terrain inégal. Dans un grand choc, tout s’immobilisa soudain, comme dans un film où le proj ectionniste fait un arrêt sur image, et il lui sembla à ce moment seulement recommencer à respirer.
Lentement, son esprit se remit à fonctionner et lui restitua, en accéléré cette fois, les événements qui venaient de l’amener là où elle se trouvait.
*
Alain aurait dû rentrer le 15 juillet. Mais dix jou rs plus tard, il n’était toujours pas là et n’avait donné aucune nouvelle. C’était alors que le docteur Valette, leur père, avait téléphoné à Christine pour lui apprendre que son frère cadet s’était vola tilisé dans la nature. Ce n’était certes pas la première fois que ce garçon fantasque faisait des siennes. Depuis la mort de sa mère, quelque dix ans auparavant, plus personne n’avait d’influence sur lui. Il avait fait les quatre cents coups, il avait suivi toutes les modes les plus excentriques, goûtés à to utes les extravagances de la jeunesse, à tous les excès, il était tombé dans le piège de tous les sno bismes et les idées qui circulaient dans l’air du temps en ces années post-soixante-huitardes. De l’extrême-gauche à l’extrême-droite, en passant par l’anarchisme, de l’économie libérale à l’écologie, la drogue, les amitiés douteuses, les conquêtes féminines et masculines, tout y était passé, au grand désespoir d’un père totalement désarmé devant les écarts de ce rejeton incroyable. Et le plus extraordinaire, c’était que le garçon restait, au milieu de ce désastre, parfaitement serein, offrant un visage naïf et imperméable à tout essai de reprise en main ou d’appel à la raison. Vingt fois au moins, il avait promis à son père et à sa sœur de s’amender, de s’acheter une conduite, de se mettre sérieusement à ses études et de préparer son avenir, serments qui n’avaient jamais été suivis du moindre effet. Résolument marginal, hors des sentiers battus, incapable de se fixer une ligne de conduite quelle qu’elle fû t, et plus encore de s’y tenir, il suivait l’inspiration du moment. Il venait, à vingt ans, d’arriver non sans peine au bout d’une première année d’études de sciences économiques et il avait disparu dans la nature avec un vague camarade, que son père n’avait jamais rencontré auparavant, pour faire du camping sauvage dans le Massif Central.
Mais, à la fin du séjour prévu, Alain n’avait pas réintégré la maison paternelle. Ce n’était pas sa première fugue, il finissait toujours par réapparaî tre lorsque le besoin se faisait sentir. Ce qui inquiétait davantage l’auteur de ses jours, c’était que son compagnon de voyage, lui, était bien revenu au point de départ à la date convenue, le docteur Valette l’avait rencontré par hasard, à l’heure de l’apéritif, attablé avec quelques amis à la terrasse d’un café du centre, quelques jours auparavant, et que ce jeune homme avait paru très surpris de l’absence prolongée d’Alain, qu’il croyait de retour
dans son foyer depuis belle lurette. D’ailleurs, malgré sa conduite hors normes, le garçon n’était pas un mauvais fils et, lorsqu’il s’en allait ainsi vadrouiller à l’aventure, il donnait de temps à autre de ses nouvelles, surtout quand il venait à changer inopinément ses projets initiaux, ce qui était chez lui chose fréquente.
Où était donc passé Alain ? En cette fin de juillet , Christine se disposait à partir à son tour en vacances avec Georges, son ami attitré, avec lequel elle entretenait des relations régulières depuis plus d’un an, et un groupe d’autres camarades, à Gruissan, au bord de la Méditerranée. Originaire de province – son père était médecin généraliste à Poi tiers –, elle avait à Paris un emploi dans une boutique de décoration, il y avait déjà deux ans qu ’elle vivait de façon indépendante. Toutefois, à vingt-cinq ans, elle avait gardé des rapports étroits avec sa famille et son père, très absorbé par so n métier – trop, disaient ses enfants –, faisait encore régulièrement appel à elle pour sermonner le cadet resté sous son toit. Encore une fois, c’était vers elle qu’il venait de lancer un appel au secours.
Laissant partir sans elle ses compagnons de vacances, la jeune femme s’était donc résolue à faire le détour par Poitiers. Elle n’y revenait pas volontiers, sa vie était ailleurs maintenant, la ville de son enfance lui paraissait vieillotte et étriquée, la petite rue sombre où s’élevait sa maison natale, derrière la Cathédrale, qui montait du bord de la rivière vers le cœur de la ville, était difficilement praticable à la circulation automobile et il était quasiment impossible de s’y garer. Elle avait trouvé son père bien inquiet, plus encore de l’absence de lettre ou de c oup de téléphone que du retard du voyageur. Laissant le praticien retourner à son cabinet et à ses patients, Christine avait pris les choses en main et elle avait tenté d’entrer en contact avec plusieurs amis du disparu. À sa grande surprise, il semblait n’avoir donné de nouvelles à personne. Seul, son co mpagnon de voyage, un nommé Bruno, avait pu lui fournir quelques éclaircissements. Les deux garçons avaient quitté Poitiers à la fin de juin et, pendant une quinzaine de jours, ils avaient tournic oté sur le Causse et dormi à la belle étoile, rencontrant çà et là d’autres groupes de jeunes, au près desquels ils s’étaient plus ou moins attardés. Puis, juste avant de rentrer, ils avaient lié connaissance avec un couple d’Allemands, en compagnie duquel ils avaient fait route une journée. Bruno devait être impérativement de retour le 15 juillet, il avait trouvé pour les vacances un petit boulot, comme il disait, il lui fallait rallier Poitiers à la date dite. Alain lui avait alors déclaré qu’il restait encore un ou deux jours, pas plus longtemps car son père devait l’attendre, et les deux garçons s’étaient séparés sur la promesse de se téléphoner un peu plus tard. Bruno n’avait pas reçu l’appel promis, toutefois, l’esprit occupé par son nouvel emploi, il n’avait guère eu le temps de s’en émouvoir.
Christine était demeurée deux jours à Poitiers. Ell e voyait son père se tourmenter, ses amis lui téléphonaient sans cesse pour réclamer sa présence à Gruissan. Elle avait cru pouvoir concilier toutes ses obligations en s’engageant à parcourir rapidement la région où Alain était censé encore se trouver, tout en descendant vers sa destination finale.
Et c’était ainsi que, le matin même, de bonne heure, elle avait quitté Poitiers, avec l’intention de faire étape, le soir, du côté de Rodez. Elle espérait qu’il ne lui faudrait pas plus de vingt-quatre o u quarante-huit heures pour vérifier si Alain se trou vait ou non encore dans les parages de l’endroit où il avait été laissé par son camarade, un petit village perdu au pied des Causses du nom de Mouras. Les indications données par Bruno étaient précises et d étaillées, elle n’aurait pas dû rencontrer de problèmes particuliers.
Mais Christine avait, en fait, mal mesuré les diffi cultés de l’entreprise. Comment se pouvait-il qu’il y ait encore en France des routes pareilles, étroites, sinueuses, serpentant à flanc de colline, escaladant les coteaux, dévalant le long de ruisseaux qui ressemblaient à des torrents et qu’il fallait passer sur des ponts minuscules, avant de remonter la pente de l’autre côté dans des conditions tout aussi périlleuses ? La jeune femme était lasse de son long chemin, entrecoupé de trop brèves pauses pour boire ou se restaurer, lasse d’enclencher sans cesse ses vitesses pour ne pas fatiguer exagérément le moteur et de tourner le volant dans tous les sens. Et quand elle avait enfin découvert, non sans peine et après bien des errances et des détours, le panneau qui indiquait le village de Mouras,
s’apercevant qu’il était beaucoup plus tard qu’elle ne le croyait et qu’elle risquait d’avoir des problèmes pour son logement de la nuit, elle s’était mise à aller plus vite, à couper un peu plus court dans les virages, son attention se relâchait, la fatigue se faisait sentir… Et c’était alors que le camion avait surgi.
Et maintenant, elle était là, au fond de ce ravin, avec sa voiture. Elle ne souffrait pas en particulier d’une partie du corps ou de l’autre, elle se sentai t plutôt moulue, meurtrie de partout. Elle ne ressentait pas non plus de crainte ni de colère. L’impression qui dominait en elle à ce moment précis était une sorte de découragement. Elle avait conscience d’avoir commis, en une fraction de seconde, un acte irréparable, dont elle se trouvait à présent contrainte d’accepter les conséquences. Ce rôle passif, qui l’obligeait à subir et ne lui laissait plus aucune initiative, puisqu’il n’était pas question de revenir en arrière, de faire en sorte de se retrouv er saine et sauve sur la route avec sa voiture, l’écrasait. La Renault reposait sur le flanc, fortement inclinée sur la droite, la jeune femme était coincée par les tôles déformées, qui n’avaient toutefois pas déchiré sa chair. Si elle n’avait pas été retenue par la ceinture de sécurité qui s’était blo quée, elle serait tombée. Pour le moment, elle était ficelée étroitement sur son siège et ne pouvait faire aucun geste utile pour se dégager. Le pare-brise avait volé en éclats, ne lui causant par bonheur qu e des égratignures sans gravité, et elle percevait le froissement des feuilles et le murmure du ruisseau près d’elle. En quelques instants, elle avait basculé d’un monde dans un autre, et elle éprouvait quelques difficultés à reprendre pied dans la réalité.
La première idée raisonnable qui lui vint était que les passagers du camion allaient lui venir en aide. Elle n’avait fait que les entrevoir, des visages pâles et flous derrière la vitre, elle ne savait même pas combien ils étaient au juste, le conducteur avait bien dû tenter de l’éviter lorsqu’il l’avait vue se précipiter sur son capot. Mais allaient-ils se cont enter de donner l’alerte, de partir chercher des secours ou avait-elle quelques chances de les voir apparaître à présent ?
La réponse à cette question ne se fit guère attendre. Elle entendit un léger bruit sur la pente et, presque aussitôt, elle distingua une silhouette ent re les arbustes. Quelques instants plus tard, l’homme prenait pied à côté du véhicule accidenté. Il s’approcha et, cette fois, elle le vit distinctement à travers la vitre latérale, vingt-cinq ans tout au plus, un beau visage grave, avec des cheveux noirs, coupés trop court pour leur permettre de friser naturellement comme ils en avaient envie, et des yeux sombres et doux. Ils échangèrent un regard. Christi ne s’attendait à ce qu’il lui pose une question banale, du genre « ça va ? » ou « vous n’avez pas trop de mal ? », mais, au contraire, ce fut lui qui affirma :
« — Je vais vous sortir de là ».
Une belle voix aussi, basse, bien timbrée, un peu voilée – mais peut-être était-ce le fait d’avoir couru le long de la pente qui venait l’altérer –, a vec une pointe d’accent de la région, mais sans excès… On entendit un appel, un peu plus loin, et le jeune homme se redressa.
« — Hé, par ici ! ».
Deux autres personnages apparurent, deux frères ceu x-là sans doute, peut-être même deux jumeaux, pareils de taille et d’allure, deux rouquins à peine sortis de l’adolescence. Le garçon brun s’était déjà attaqué à la portière de Christine et, durant quelques minutes, la jeune femme n’aperçut plus que le haut de leurs têtes, tandis qu’ils s’acharnaient sur le mécanisme d’ouverture qui s’était bloqué dans la chute, avec des jurons et des exclamations diverses.
« — Ah, j’ai cassé mon couteau !
— Prends le mien, essaie avec le poinçon, peut-être…
— Non, je n’y arrive pas ».
Renonçant pour le moment à sortir la jeune femme accidentée par ce moyen, ils se rabattirent sur la portière arrière, qui céda presque aussitôt.
« — Je vais passer dans la voiture et j’essaierai de décoincer de l’intérieur ».
Le jeune homme se glissa entre les banquettes et s’accota tant bien que mal, à genoux, dans le siège du passager incliné à quarante-cinq degrés.
« — Ça va aller, maintenant », déclara-t-il à sa manière tranquille, tout en manipulant la ceinture pour délivrer Christine.
Mais, là encore, le système avait souffert et il engagea la lame de son couteau sous la sangle pour la couper, en posant sa première question.
« — Vous n’avez rien de cassé ?
— Je ne crois pas », répondit la jeune femme.
Et elle ajouta, spontanément, comme l’idée lui venait tout à coup :
« — J’ai eu de la chance ».
Ce n’était pas ce qu’elle avait voulu dire, et pourtant si, elle se sentait soulagée, elle n’avait plu s l’impression désespérante d’impuissance qui l’avait accablée un peu plus tôt, comme si la simple présence de ce garçon à ses côtés eût suffi à l’apaiser et à la rassurer. Il ne répondit pas à sa remarque, mais un petit sourire éclaira son visage sévère et le fit paraître plus jeune. À ce moment-là, la ceinture céda d’un coup et la jeune femme dégringola directement dans les bras de son sauveteur. Elle se heurta le visage dans son cou, perçut sur lui l’ode ur de sa sueur, qui se mêlait à celle du bois fraîchement coupé et à celle, plus légère, de la fu mée de cigarette, une odeur qui n’était pas déplaisante, bien au contraire, et qui fit naître dans l’esprit de Christine l’envie fugace de poser u n baiser sur le triangle de peau hâlée que dévoilait l’échancrure de la chemise. Mais il fut plus rapide qu’elle et, au moment où deux bras robustes la saisissaient pour la redresser, elle entrevit son visage tout proche et ses lèvres effleurèrent les siennes, en un contact si fugitif qu’elle n’eut pas le temps de s’y dérober. Elle se retrouva adossée à lui, elle ne pouvait plus voir l’expression de ses traits. Il tâtonna pour récupérer son couteau qui avait filé sous la banquette et, en s’étirant derrière le dos de Christine, il essaya de pousser de l’intérieur la p ortière récalcitrante, sur laquelle les autres continuaient à s’acharner au-dehors. Elle sentait son contact et sa chaleur, mais cela ne lui répugnait pas, elle était trop lasse et trop secouée pour s’étonner ou se choquer de quoi que ce fût, de l’aspect inattendu de ces camionneurs par rapport à leurs semblables qu’elle avait jusqu’ici rencontrés sur les routes, de l’assurance tranquille dont faisait preu ve le garçon brun ni même de son attitude précédente.
« — Tire plus fort, Tavi, je sens bouger la serrure ».
L’attention de Christine se détourna vers les deux mains que le jeune homme appuyait contre la portière et ce fut seulement à ce moment qu’elle remarqua le bandage de cuir qui enserrait la moitié de sa main droite et s’attachait autour du poignet, qui lui avait été dissimulé en partie jusqu’ici par la manche de sa chemise à carreaux rouges et noirs. Les doigts qui en dépassaient semblaient morts, seuls le pouce et l’index avaient une certaine mobilité.
Des craquements annoncèrent que les efforts conjugu és des trois hommes commençaient à porter leurs fruits. Les charnières lâchèrent brutalement, le rouquin cramponné à la portière partit en arrière avec un juron, son frère éclata de rire. Mais, aussitôt redevenus sérieux, ils se mirent en devoir de tirer Christine de sa fâcheuse position, tandis que leur compagnon achevait de dégager doucement les jambes de la jeune femme.
Ils se retrouvèrent tous quatre près de l’épave, Christine à demi allongée, adossée à un arbuste auquel le jeune homme brun s’appuyait d’une main, l es deux autres assis sur leurs talons. À part l’état lamentable de la voiture, le bilan ne semblait pas trop lourd, les jeunes gens s’en assurèrent rapidement. Autant qu’on pouvait en juger, la condu ctrice n’avait ni fracture ni blessure grave, elle n’avait pas perdu connaissance, tout se résumait à des ecchymoses et des meurtrissures diverses et quelques égratignures, un tee-shirt taché de sang et un genou de jean déchiré.
« — Qu’est-ce qu’on fait maintenant, Eloy ? », questionna celui que son compagnon avait appelé Tavi, celui qui était tombé avec la portière.
Il prononçait « Eloï », à l’espagnole ou à la méridionale, en détachant les voyelles finales, et, cette fois, Christine s’étonna des prénoms insolites de ces gens peu ordinaires. Mais elle n’eut pas le loisir de poser des questions.
« — Le mieux est de ramener cette dame à la maison pour ce soir », répondit le garçon brun, qui semblait être le chef de l’équipe. « Tu vas pouvoir la porter avec Vidal ?
— Pas de problème », dit l’autre. « On va faire la chaise.
— Mais je peux marcher », protesta Christine, agacée de les voir disposer d’elle sans lui demander son avis, bien qu’elle ne fût pas vraiment sûre de ce qu’elle avançait là.
De fait, ils négligèrent son intervention et continuèrent à parler entre eux comme si de rien n’était.
« — On devrait peut-être plutôt la transporter chez un médecin ?
— Si ça ne va pas, on pourra toujours aller chercher le docteur Cassagne. Et, en attendant, Marthe s’occupera d’elle.
— De toute façon, on ne va pas la laisser là. Allez, on y va ».
Ils étaient déjà debout, Eloy allumait une cigarett e sans en offrir à personne. Tavi et Vidal entrelacèrent leurs mains, chacun resserrant ses doigts autour des poignets de l’autre pour réaliser la fameuse « chaise », improvisant un siège, et ils se penchèrent pour permettre à Christine d’y prendre place. Elle respira sur eux la même odeur de bois coupé que sur leur compagnon, ils devaient en transporter dans leur camion. Entre les deux garçons, un bras autour du cou de chacun, elle se sentit soulever et ils se mirent en marche.
« — Est-ce que vous pouvez m’attraper mon sac dans la voiture ? », demanda-t-elle à Eloy demeuré en arrière.
Il ne répondit pas mais obtempéra, se glissant dans l’épave pour saisir le baluchon qui avait basculé sur le siège arrière et qui contenait papiers et objets de première nécessité. Elle pensa à sa valise dans le coffre, mais ne voulut pas abuser de la situatio n. L’image de la main mutilée du garçon lui était venue, elle préféra garder le silence et ils poursu ivirent lentement l’ascension qui devait les mener hors du ravin.
« — On ne vous secoue pas trop ? », demanda Tavi.
« — Non, pas du tout », se hâta-t-elle de protester.
Les deux porteurs ne semblaient pas peiner, malgré la pente raide. Ils avaient de gros souliers qui mordaient bien sur le terrain accidenté, leurs pas et leurs gestes avaient l’harmonie de ceux de gens habitués à vivre et à travailler ensemble. Christine les regardait attentivement, notant entre eux de subtiles différences qui permettaient de les distinguer. Ils devaient avoir tous deux une vingtaine d’années, mais Tavi était un peu plus grand que son frère, les yeux et le teint de Vidal étaient plus
clairs et il avait davantage de taches de rousseur sur les pommettes. En revanche, ils avaient le même sourire communicatif, avec de petites dents régulières et très blanches.
Ils arrivèrent en haut de la déclivité et prirent pied sur la route, remettant Christine sur ses jambes au bord de la chaussée. Le camion était resté le long de la paroi, les garçons avaient seulement pris le temps de déplier des triangles de signalisation, un peu plus loin, des deux côtés, pour avertir de la présence du véhicule immobilisé dans le tournant. Le conducteur avait dû tenter au dernier moment une manœuvre désespérée, son aile droite avait raclé le rocher, on en voyait les marques, et les roues mordaient encore sur l’accotement le long de celui-ci.
« — Ça va ? » demanda Tavi, en faisant mine de soutenir Christine, qui ébauchait quelques pas en boitant.
Elle le rassura d’un sourire, mais son genou droit lui faisait mal, et la cheville aussi, du même côté, était meurtrie. Demain, elle serait sûrement couverte de bleus et cousue de douleurs, se disait-elle, mais elle préférait ne pas y penser. Elle devait être affreuse, en outre, avec les égratignures, dues aux éclats de pare-brise, qui lui cuisaient les joues…
Eloy s’était hissé au volant pour dégager son véhic ule, tandis que Vidal allait récupérer les triangles. Apparemment, personne n’avait emprunté la route pendant le temps où ils étaient restés hors de vue, on n’avait entendu aucun bruit de moteur. Eloy avança de quelques mètres, descendit de son siège pour aller jeter un regard à son garde-bo ue tordu, et, avec Tavi, il aida Christine à grimper dans l’habitacle, auquel un marchepied trop haut et malcommode donnait accès. Ils tiendraient tous les trois sur la banquette, Vidal monterait derrièr e, dans le plateau à moitié vide, où quelques planches voisinaient avec des rouleaux de corde.
Ils repartirent, lentement, le rythme poussif du véhicule ne permettait certainement pas de faire de la vitesse, surtout en montée. Calée entre les deux garçons, qui ne paraissaient ni l’un ni l’autre décidés à la presser de questions ni à l’abreuver de paroles, Christine s’abandonnait à la fatigue qui lui semblait soudain retomber sur ses épaules. Mais, en même temps, la conscience de ce qui était en train de lui arriver lui revenait, la perspective de se trouver immobilisée plusieurs jours sans voitu re, de devoir prévenir son père, Georges et ses amis, son assureur… Et Alain ?
Et encore, elle l’avait échappé belle, un vrai miracle après une pareille chute, elle aurait pu être maintenant en train de rouler vers un hôpital, plus ou moins estropiée, elle aurait pu être morte au fond du ravin. En plus, tout cela était de sa faute , elle s’en rendait compte maintenant en voyant conduire Eloy, il n’avait rien d’un fou du volant, son vieux camion était incapable de prouesses, il montait doucement la pente en tenant bien sa droite. D’ailleurs, le jeune homme devait connaître parfaitement le chemin puisqu’il était originaire du coin, il le suivait sans doute tous les jours, peut-être même plusieurs fois par jour. C’était elle qui avait commis la sottise d’aller trop vite, de se croire trop sûre d’elle sur la route déserte, elle était entièrement responsable de ce qui venait de se passer. Pourtant, aucun de ses compagnons n’avait f ormulé le moindre reproche ni la moindre observation à ce sujet.
« — Je m’en veux, c’est ma faute », dit-elle tout haut.
« — Cette route est dangereuse », répartit Tavi, « il y a déjà eu plusieurs accidents ».
Elle se tourna vers lui, il avait l’air sincèrement désolé pour elle.
« — J’allais trop vite », reconnut-elle bravement. « Vous avez abîmé votre camion à cause de moi.
— Ne vous inquiétez pas, il en a vu d’autres, et le patron ne va pas mettre Eloy à l’amende à cause de vous, c’est un ami ».
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